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Billet de blog 22 octobre 2025

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Sarkozy et la Françafrique

Ce qui devait être une leçon collective sur les errements de la Françafrique se transforme sous nos yeux en un procès fait à la justice. Il faut donc dire et redire ce que la condamnation de Nicolas Sarkozy aurait dû nous apprendre ou nous rappeler sur la politique internationale de la France.

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L’Etat de droit a-t-il été respecté ? Quels livres l’ancien président emportera-t'il pour occuper son temps à la Santé ? Sa sécurité sera-t-elle bien assurée durant son incarcération ? Toutes les questions, mêmes les plus idiotes, mêmes les plus inconvenantes, auront été posées en boucle par les médias décérébrés et/ou bollorisés. Mais les plus importantes auront été soigneusement glissées sous le tapis. Comment 30 ans après le début de l’Affaire ELF, peut-on se retrouver à nouveau avec un président condamné à 5 ans de prison pour un financement illégal de sa campagne, fondé sur un pacte de corruption avec un dictateur terroriste ? Un Etat n’apprend-t-il jamais de ses erreurs ? La France est-elle incapable de lutter efficacement contre la corruption de ses élites ?

Replacer l’affaire Sarkozy dans l’histoire longue de la Françafrique

Pour dépasser les effets de sidération, rien n’est plus efficace que de contextualiser, c’est le b.a.-ba de l’historien. De la même façon que la complicité de l’Etat français dans le génocide tutsi ne peut se comprendre que si on la replace dans le cadre des accords de défense militaires qui ont structuré les rapports postcoloniaux de la France ; le pacte de corruption passé par N. Sarkozy avec Kadhafi ne peut se comprendre qu’en le replaçant dans le contexte général du financement françafricain de la vie politique française depuis le début de la Ve république.

Un petit effort de mémoire et toutes les images se mettent à défiler, des diamants de Bokassa à l’inénarrable Roland Dumas. Des associations comme Survie ont documenté l’enracinement de la corruption de la vie politique française depuis les indépendances. La seule nouveauté avec N. Sarkozy, c’est le partenaire, choisi en dehors de l’ancien pré carré, mais c’est une erreur de débutant que de concevoir la Françafrique comme ne relevant que de l’ancien domaine colonial. Bien des questions demeurent, jamais posées. Pourquoi Kadhafi ? Pourquoi ne pas réactiver les réseaux éprouvés ? Risquons des hypothèses : les anciens réseaux étaient devenus trop voyants ; un renouvellement était nécessaire ; la Libye de Kadhafi offrait une opportunité d’externaliser le contrôle des flux migratoires pour celui qui était alors ministre de l’Intérieur et rêvait de démontrer son efficacité contre les clandestins.

Ce faisant, N. Sarkozy a franchi un pas dans l’ignominie. Le parallèle avec le Rwanda peut de nouveau être utilisé. Dans ce pays, la compromission de l’appareil d’Etat français avec de sombres dictateurs a franchi une limite en aidant par tous les moyens un pouvoir génocidaire. Avec le pacte de corruption passé avec Kadhafi, N. Sarkozy franchit lui aussi une limite : jusque-là les hommes politiques français n’avaient pas de scrupules à se financer auprès de dictateurs qui maltraitaient leurs peuples, ici le candidat à l’élection présidentielle de 2007 n’a pas hésité à pactiser avec un dictateur responsable de l’assassinat de citoyens français. L’affaire Sarkozy restera pour le financement de la vie politique française ce que le Rwanda fut pour la coopération militaire de notre pays.

Tirer les leçons de la justice

Le bruit médiatique, inepte, fait de diversions et de manipulations en tout genre, empêche enfin de revenir sur la séquence du printemps arabe où notre pays s’est bien mal illustré, une fois de plus. Le « deux poids deux mesures » des autorités françaises face à la révolte des peuples trouve une explication documentée, jugée, dans le procès Sarkozy et sa condamnation. Car souvenons-nous de Mme Alliot-Marie proposant à la représentation nationale de faire profiter le dictateur tunisien Ben Ali du savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre. Et souvenons-nous comment la France fut le fer de lance, diplomatique et militaire, de l’opération qui se solda par l’élimination du dictateur Kadhafi en 2011. Les lecteurs de Mediapart le savent bien et on ne saurait trop recommander la BD de vulgarisation cosignée par Fabrice Arfi sur cette affaire : Sarkozy Kadhafi. Des billets et des bombes (La Revue dessinée / Delcourt, 2019). La justice vient de dire ce qu’il en était sur le volet « billets ». Qu’en est-il sur celui des « bombes » ? C’est la vraie question, cruciale pour notre histoire, qui devrait être posée aujourd’hui, maintenant que l’association de malfaiteurs a été prouvée.

La condamnation de N. Sarkozy qui aurait dû être un moment de prise de conscience collective sur le niveau de corruption de nos élites et le pourrissement de la vie politique française se transforme sous nos yeux en un procès fait à la justice et une occultation active de notre histoire récente.

La vraie histoire est tue.

Un backlash, que l’on peut anticiper d’une rare violence, se prépare contre la justice.

La Françafrique, que l’on dit moribonde depuis plus de 30 ans, peut continuer à répandre ses méfaits.

On aura connu victoire moins amère.

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