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Billet de blog 23 juin 2023

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Et l’hydrogène fut... ou le thorium ?

La découverte d’un grand gisement d’hydrogène naturel en Lorraine et la mise en service d’une centrale au thorium en Chine font sensation, alors que l’urgence à réduire nos GES se resserre. En quoi ces innovations pourraient-elles changer les données du problème écosystémique ?

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Le pic pétrolier et le réchauffement climatique ont mis les acteurs économiques et politiques sur la piste de nouvelles sources d’énergie, si possible non émettrices de GES (gaz à effet de serre). On voit ainsi la filière nucléaire, moribonde après la catastrophe de Fukushima, renaître de ses cendres et même être défendue par une part notable des écologistes[1]. La controverse sur l’hydrogène est à peine moins virulente, panacée pour les uns, nouvel habit du techno-solutionnisme[2] pour les autres[3]. C’est qu’en l’absence de gisement naturel, c’est du moins ce qu’on a longtemps cru, il faut le produire, ce qui pose des problèmes de rentabilité et de nocivité. Par exemple, la fabrication par électrolyse nécessite beaucoup d’électricité et pose donc la question de l’origine de cette électricité. L’hydrogène industriel ne pourra donc pas être une solution miracle, mais une piste de plus dans la recherche de nouveaux mix énergétiques et de solutions pour le stockage de l’électricité produite par des sources intermittentes.

Mais avec la découverte de gisements d’hydrogène naturel, longtemps crus impossibles, comme celui qui vient d’être mis au jour en Lorraine, c’est le rêve d’une solution miracle à tous nos problèmes qui réapparaît[4]. En effet, il ne s’agirait rien de moins qu’un substitut parfait et non polluant au pétrole qui serait sur le point d’être mis au jour. Il faut mesurer l’ampleur de la nouvelle alors qu’un rapport scientifique vient de mesurer qu’il faut désormais diviser par deux le total de GES que l’on a encore le droit d’émettre si l’on veut éviter un réchauffement d’1.5° avant la fin du siècle[5]. L’hydrogène naturel serait donc la promesse de convertir rapidement notre économie fonctionnant aux hydrocarbures mortifères en une économie tout aussi performante mais propre[6]...

Faut-il se réjouir alors des perspectives ouvertes par l’hydrogène naturel ? Faisons un peu de prospective fiction et commençons par énoncer que, à l’instar de bien d’autres problèmes, il faudrait distinguer les conséquences à court et long terme. A court terme, si les promesses de l’hydrogène naturel étaient tenues, et il y a encore loin – très loin - de la coupe aux lèvres, il pourrait devenir un allié indispensable dans une guerre qui semblait perdue, celle de la lutte contre les GES et le réchauffement climatique[7]. Mais à long terme, il risquerait de freiner les mutations nécessaires pour empêcher l’humanité non pas de franchir, c’est déjà fait, mais de limiter la zone de franchissement des autres limites planétaires[8]. Car si le réchauffement climatique est un problème majeur à solutionner en urgence, il ne faut pas oublier qu’il n’est qu’une des huit limites définies par les scientifiques, si l’on veut que la planète reste habitable par l’être humain[9]. Comment croire en effet, que de nouveau munie d’une source d’énergie abondante (voire renouvelable et donc inépuisable[10]) et qui plus est nimbée d’une aura verte, l’humanité ne s’en servirait pas pour prolonger son mode de vie destructeur pour la planète ?

En d’autres termes, si l’hydrogène naturel devait tenir ses promesses, s’il n’était pas rapidement rangé dans la liste des pétards mouillés du technicisme et des illusions du capitalisme, il permettrait de solutionner ou de réduire significativement le problème du réchauffement climatique mais encouragerait l’humanité dans son modèle industriel et énergivore qui détruit les sols, les milieux naturels, et étouffe toute forme de vie sous ses déchets. Il risquerait donc de donner raison à ceux qui « ne croient pas au modèle Amish », manière bien marconienne de réaffirmer qu’il n’y a pas d’alternative à la croissance sans fin... jusqu’à extinction de la vie sur terre.

Il en va de même avec la filière nucléaire au thorium. On apprend en effet cette semaine que la Chine vient d’autoriser pour la première fois l’exploitation d’une centrale utilisant cette technologie, dans le désert de Gobi[11]. Présentée par ses thuriféraires comme plus sûre et plus durable, elle fait l’objet de controverses anciennes et difficilement décidables, dans le cadre d’une pensée croissantiste[12]. Pour les tenants d’une bifurcation anthropologique de notre présence sur terre[13], cette information ne fait que confirmer la prégnance du techno-solutionnisme et de sa violence répressive dans les instances dirigeantes du monde. Ces dernières ne veulent lâcher ni la chimère d’une croissance infinie, ni les délices mortifères de la compétition[14] entre puissances, surtout si elles s’y trouvent en position de force, ce qui est banalement humain ; mais même quand elles y sont en position de faiblesse, ce qui devient doublement suicidaire.

[1] Aux États-Unis, des écologistes séduits par le nucléaire, par Maxime Robin (Le Monde diplomatique, août 2022) (monde-diplomatique.fr)

[2] Le « solutionnisme technologique », cette foi en l’innovation qui évite de penser le changement (lemonde.fr)

[3][3] L’hydrogène, une solution incertaine pour la mobilité (lemonde.fr)

(1059) Hydrogène, la révolution verte ? | Documentaire CNRS - YouTube

(1059) L’hydrogène : miracle ou mirage énergétique ? | Les questions qui fâchent | ARTE - YouTube

[4] Hydrogène blanc : l'énergie que personne n'attendait (francetvinfo.fr)

[5] Le réchauffement planétaire s’accroît à un rythme sans précédent (lemonde.fr)

[6] (1051) Gisement d’hydrogène blanc en Lorraine - L’Édito de Patrick Cohen - C à vous - 09/06/2023 - YouTube

[7] Voir notre billet « 1.5° ? ».

[8] Sept des huit limites planétaires dépassées : un diagnostic « très grave » (reporterre.net)

[9] (1084) Interventions Aurélien Barrau MEDEF 2022 - YouTube (notamment à 2’25)

[10] IL faut en effet distinguer les stocks fossiles des flux permanents créés par des phénomènes géologiques, voir L’hydrogène naturel : curiosité géologique ou source d’énergie majeure dans le futur ? | Connaissances des énergies (connaissancedesenergies.org)

[11] Première mondiale, la Chine va faire fonctionner un réacteur nucléaire au thorium à sels fondus - Transitions & Energies (transitionsenergies.com)

[12] Nucléaire : pourquoi la Chine veut se doter d’un réacteur au thorium (france24.com)

[13] Bruno Latour, Où atterrir ?, La Découverte, 2017, (1148) Bruno Latour - Où atterrir ? : Comment s'orienter en politique - YouTube

[14] Il n’est pas inutile de relire le regretté Albert Jacquard, Voici le temps du monde fini, Seuil, 1991.

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