Pour alimenter la problématique de notre blog qui scrute dans l’actualité les permanences, les mutations et les points de rupture dans le flot quotidien d’événements plus ou moins marquants, je pourrais replacer la placardisation[i] de la bande à Charline dans la longue histoire des relations ambivalentes des humoristes avec le pouvoir politique. Guillaume Meurice, un des piliers de la troupe, et Charline Vanhoenacker elle-même, s’y sont essayés[ii]. Plutôt que de ressasser des choses bien connues et risquer de tomber dans des clichés, je voudrais faire ici l’éloge du rire joyeux et émancipateur que la bande à Charline nous a offert durant ses neuf années de présence quotidienne sur les ondes de France Inter.
L’humour pratiqué par l’équipe de C’est encore nous est en effet un humour joyeux, ce qui ne va pas de soi. Faisons un effort pour nous remémorer les émissions à vocation drolatique du PAF, ces dernières années. Avec qui avons-nous pu partager de tels moments de connivence, l’impression de participer à des fous rire comme si nous étions dans la même pièce ? Hormis la bande à Charline, je ne vois pas. Les plateaux de talk-shows rappellent tous sans exception les joutes d’esprit décrites dans le film Ridicule de Patrice Leconte[iii]. Entre-soi et rivalités sourdes, rires jaunes et mépris des invités, sont devenus la marque de fabrique des médias mainstream ; les nouilles mises dans le slip d’un chroniqueur par Cyril Hanouna en resteront le symbole[iv]. Dans le film Ridicule, le marquis de Bellegarde explique ainsi sa mansuétude à l’égard de Grégoire Ponceludon, son protégé : « la droiture et le bel esprit sont si rarement réunis »[v]. Elle explique également notre attachement à la bande à Charline.
Le rire de « C’est encore nous » est d’autant plus un rire joyeux qu’il émane d’une troupe dont le bonheur d’être ensemble est communicatif, qu’il ne se fait jamais aux dépens des dominés, qu’il ne s’impose pas comme une clause d’un cahier des charges mais laisse au contraire toute leur place aux autres émotions. Ainsi dernièrement, l’émission avec Sandra NKaké, bijou d’intelligence, de sensibilité et de résistance à l’oppression, d’où qu’elle vienne, par la joie de vivre sans cesse cultivée[vi].
Un humour de cette qualité revêt forcément un caractère subversif en ce moment particulier de notre histoire où le pouvoir dissout les soulèvements de la terre, où les médias bollorisés voient de l’écoterrorisme là où les gens résistent à l’écocide, et où Anticor se voit empêché de lutter efficacement contre la corruption. Cet humour est subversif parce qu’il est d’abord émancipateur. Il nous fait réfléchir, et ce faisant nous libère des haines réactionnaires en vogue, comme des doxas matraquées par l’appareil de communication gouvernemental et ses relais, qui se logent parfois dans les étages de direction des médias[vii]. Mais une heure d’humour critique au milieu d’une grille qui ressemble par ailleurs à un rouleau compresseur de la pensée tiède macron-compatible, c’était déjà trop pour un pouvoir de plus en plus ivre de son hubris[viii]. La réforme des retraites est passée, ils « n’ont pas craqué » et ils n’ont pas fini de nous faire payer notre résistance.
Que ce pouvoir se souvienne cependant que lors des heures les plus sombres de ces dernières années, alors que la vraie menace terroriste frappait nos concitoyens, celle venue du djihadisme international alimenté par une géopolitique schizophrène, c’est aussi grâce à cet humour que nombre d’entre nous sommes sortis de notre état de sidération. Je ne me souviens pas avoir jamais éclaté d’un rire plus libérateur que celui provoqué par Frédéric Fromet entonnant « Koulibali Koulibalo » au lendemain des attentats contre Charlie et l’hyper Cacher[ix]. Que ce pouvoir qui organise l’évasion fiscale des riches[x] et dilapide le fonds Marianne[xi] tout en supprimant la redevance[xii], se souvienne que ceux qui luttèrent le plus efficacement contre les séparatismes de toute nature, en nous faisant rire et penser, c’était la bande à Charline.
[i] Charline Vanhoenacker perd son émission quotidienne “C’est encore nous”, sur France Inter (telerama.fr)
[ii] Guillaume Meurice, Le roi n’avait pas ri, J.-C. Lattès, 2021, Charline Vanhoenacker, Aux vannes, citoyens ! : Petit essai d'humour politique, Paris, Denoël, 2022.
[iii] Ridicule — Wikipédia (wikipedia.org)
[iv] Cyril Hanouna, le côté obscur de la farce (lemonde.fr)
[v] Le film est tiré du magnifique texte de Rémy Waterhouse, Ridicule. Il n’épargne personne, Pocket, 1996 p. 87.
[vi] La chanteuse Sandra Nkaké (radiofrance.fr)
[vii] Radio France: Sibyle Veil en guerre contre le service public | Mediapart
[viii] On peut être inquiet pour l’émission « La terre au carré », autre quotidienne qui en faisant son travail d’information se trouve souvent en positon critique par rapport à la politique gouvernementale.
Voir La Une de Mediapart du 20/06/2023
[ix] (1177) Frédéric Fromet - Koulibali koulibalo - super drôle contre les les terroristes - YouTube
[x] La crise a un nom : évasion fiscale - Anticor
[xi] L’affaire du fonds Marianne | Mediapart
[xii] Assauts de propositions pour démanteler l’audiovisuel public | Mediapart