La Cour de cassation sanctionne l'impéritie juridique et sécuritaire de l'opposition. Celle-ci s'est manifestée la semaine dernière grâce à l'intervention d'un commandant de police et d'un syndicat de policiers. Le ministre de l'intérieur et le secrétaire national de l'UMP à la sécurité, que le ministre vient de promouvoir à un grade élevé de la haute fonction publique (1), se sont emparés en choeur de cet évènement. Ils ont joué une partition identique : celle de la sécurité et de l'ordre. C'était sans compter un rappel à la loi.
Les règles de la prescription relèvent, comme de nombreuses autres, du domaine exclusif de la loi.
Ce principe constitutionnel a été souvent méprisé pendant les dix années où l'opposition a dirigé les affaires publiques, tendant à faire prévaloir le pouvoir réglementaire sur la loi. C'est une inversion normative. Cette forme édulcorée de putsch permanent n'a pas soulevé beaucoup de contestation.
Deux arrêts de la Cour de cassation viennent de mettre un terme à un de ces abus.
Ils sont ici :
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 juin 2013, 12-81.646, Publié au bulletin
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 juin 2013, 12-88.265, Publié au bulletin
La Cour de cassation ne se prononce pas sur le décret pris par l'UMP en 2004 viant à suspendre la prescription. La procédure employée, par voie de règlement, contourne le débat public et la compétence exclusive du législateur. Elle porte atteinte à la forme démocratique des institutions.
La Cour de cassation ignore donc ce décret, à bon droit.
Elle se contente de constater l'inexistence de dispositions législatives permettant d'interrompre la prescription.
Ces décisions laissent donc entrevoir la libération prochaine d'environ quelques milliers de personnes.
Le seul responsable de cette situation est l'opposition qui a pris le décret n°2004-1364 du 13 décembre 2004 , au mépris de la Constitution et des Libertés publiques :
JORF n°291 du 15 décembre 2004 page 21247
texte n° 1
DECRET
Décret n° 2004-1364 du 13 décembre 2004 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) et relatif à l'application des peines
NOR: JUSD0430240D
Le Premier ministre,
Sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice,
Vu le code de procédure pénale, notamment ses articles 2-15 et 712-1 à 712-22 ;
Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, notamment ses articles 20-9 et 20-10 ;
Vu la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, notamment son article 23 ;
Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, notamment ses articles 207 et 211,
Décrète :
Fait à Paris, le 13 décembre 2004.
(...)
Jean-Pierre Raffarin
Par le Premier ministre :
Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Dominique Perben
La secrétaire d'Etat aux droits des victimes,
Nicole Guedj
La Cour de cassation vient de sanctionner l'inversion normative dont s'est régalée pendant dix ans le marketing sécuritaire au mépris des droits fondamentaux.
Cela devrait amener ses promoteurs zélés à plus de circonspection quant ils s'émeuvent des conséquences de la surpopulation des prisons, comme le relate le Figaro dans son article :
Délinquants remis en liberté : Manuel Valls soutient ses policiers
"L'affaire de Dreux entre dans l'arène politique. Vendredi soir, Le Figaro avait révélé le contenu du rapport alarmant d'un commandant de police de Dreux adressé à sa plus haute hiérarchie. L'officier, numéro deux du commissariat, protestait contre la remise en liberté dans sa ville, le 1er août dernier, de trois malfaiteurs censés être placés sous écrou par le parquet de Chartres au prétexte que la prison locale était pleine.
La réaction du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, ne s'est pas fait attendre. Il a appelé personnellement, dès samedi, le commandant de police pour écouter son récit. Et au sujet du comportement du magistrat mis en cause, il s'est déclaré «très surpris de cette décision et inquiet de ses conséquences». L'hôte de Beauvau a ajouté: «Cette décision très étonnante va à l'encontre de la stratégie décidée conjointement par la Chancellerie et l'Intérieur qui vise à accroître le concours des forces de sécurité pour faire exécuter les peines.»"
(...)
"Le député maire UMP de Nice, Christian Estrosi, s'est dit «indigné et révolté» par ce qui s'est passé à Dreux. Il a annoncé qu'il avait écrit à la garde des Sceaux «pour lui demander des explications». Bruno Beschizza, le secrétaire national de l'UMP chargé des questions de sécurité a renchéri sur le réseau social Twitter: «Les policiers confirment ce que nous dénonçons depuis des mois: l'impunité institutionnellement instaurée!» Cet ancien syndicaliste policier apporte d'ailleurs cette précision: «Mme Taubira nous trompe lorsqu'elle prétend que le parquet de Chartres n'a fait que différer la mise à exécution des peines des trois voyous. Il les a tout simplement remis dehors!» "
Un commandant de police, un syndicat, un ministre de l'intérieur ont chanté à l'unisson avec l'opposition, qui ne sait pas écrire la loi, et dans des circonstances qui soulèvent la circonspection des commentateurs avisés : Éclairons nos ministres et apaisons nos élus ; Plus de places en prison ? Le laxisme de la Justice ? Allons, allons…
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(1) Source : le Canard Enchaîné du 10 juillet 2013
Un grand bravo à Christophe Blanchard-Dignac, président de la Française des jeux, à Christan Noyer, gouverneur de la Banque de France, et à l'ex-commissaire Bruno Beschizza, devenu délégué à la sécurité de l'UMP. Ces simples mortels sont les lauréats des deux premières promotions du Graf (de son petit nom : grade à accès fonctionnel d'administrateur général), ce bâton de maréchal destiné à récompenser les hauts fonctionnaires méritants.
Cette réforme a été initiée, en février 2012 par Sarkozy, soucieux de pouvoir compter sur des hauts fonctionnaires bien disposés. Foin de la traditionnelle procédure d'avancement, avec passage devant une commission paritaire dans laquelle - horreur ! - siègent des syndicalistes. Ici, chaque "grafé" est, en raison de ses mérites passés, discrétionnairement nommé par un ministre. Lequel peut même désigner des fonctionnaires exilés dans le privé.
http://www.fonction-publique.gouv.fr/fonction-publique/carriere-et-parcours-professionnel-129