Ben non, y'en a pu ! Voilà ce que c'est quand l'opinion découvre qu'il y a de la presse indépendante qui ne prend pas des pincette avec ses actionnaires marchands d'armes, qui équipent les armées qui bombardent la Syrie et l'Irak, entre autres, ou leurs annonceurs de luxe, appartenant parfois aussi à leurs actionnaires.
Faut dire qu'ils ont opté pour une ligne éditoriale très audacieuse et contrastée dans une France plan plan, que des excités sont venus booster avec un plan marketing méchamment violent. Une telle rigueur professionnelle n'est pas à la portée de tout le monde.
J'avais bien remarqué, en entrant chez le marchands de journaux, un nombre inhabituel de clients chercher quelque chose du regard dans les présentoirs, où d'habitude les Charlie et les Canards trainent la semaine entière. Ce n'est pas une lecture qui attire les foules dans mon quartier, d'habitude, et le marchand de journaux m'a expliqué qu'il y avait une disparition des titres et de la clientèle, pas plus tard que fin décembre.
Ne voyant pas le Canard ni Charlie à leur place, je me suis douté que j'arrivais trop tard.
Mon audace d'interroger le marchand de journaux fait que les gens se regroupent et écoutent. Oui, oui, eux aussi, ils cherchent Charlie et le Canard. Quelle tristesse quand ils apprennent qu'il n'y en a plus, qu'ils sont tous partis en un éclair de temps.
Bon, je vais peut-être prendre autre chose.
Je regarde les piles de la doxa germanopratine qui se risque à faire l'exégèse de Charlie. Tout ce que vous voulez savoir sur Charlie sans vous être jamais compromis à l'acheter. Bof. Le triomphe de Valls. Bof, bof. Le ... Bof, bof, bof.
Ces autres journaux, qui ne se vendent pas - et ce matin il semble qu'ils se vendent encore moins que d'habitude, savent dorénavant, grâce à Charlie et au Canard, ce qui leur reste à faire :
- Des bons articles de fond,
- Des informations qui ne versent pas dans l'obséquiosité consensuelle de l'amicale des anciens de sciences-po,
- Des dessins de presse qui s'adressent à des lecteurs, dont le directeur du titre cesse de penser qu'ils ont un esprit critique inférieur à mat. sup', entendez maternelle supérieure.
La preuve, c'est la recette d'un succès planétaire. Le Monde entier vient de découvrir que la presse francophone française peut toujours s'enorgueillir de proposer encore deux titres (pour 65 millions d'habitants) qui flattent l'intelligence et qui ne s'adressent pas à des QI d'huîtres.
L'ambition d'un tel regain de la presse indépendante emporte quelques risques.
Celui, par exemples, de perdre ses vieux lecteurs habitués, surpris de ne plus voir leur titre préféré languir chez le marchands de journaux, et donc privés du confort de venir l'acheter quand ils veulent. Je suis prêt à m'y résoudre et m'éclipser devant le succès.
Vu le phénomène de foule, mon instinct de survie m'inspire l'idée de me rabatte sur d'autres titres, pour éviter le risque de se faire piétiner par un mouvement de panique angoisse collective d'être en manque de Charlie. Une drogue dure.
Je me réjouis de ce regain du public pour la presse écrite indépendante.
En sortant, je croise une mamy s'inquiéter d'une voix chevrotante d'émotion qu'il n'y avait plus de Charlie. Et oui mémé, c'est un peu le père Noël, ce Charlie. On nous en parle toute la semaine, et quant c'est enfin le jour qui arrive, l'est déjà plus là. Ben mince, je la vois drôlement ébranlée et déçue, la petite dame.
Mais pas de souci. Il revient la semaine prochaine.
Comme son pote le Canard.
Le mercredi, ce n'est plus seulement la journée des enfants.
Les marchands de journaux qui ont un vocation pédagogique et sont prêts à monter un atelier découverte, ont de la ressource pour que les clients ressortent satisfait d'une nouvelle découverte. Ils peuvent leur proposer de lire Siné mensuel, Politis, le Monde diplomatique, etc. Il n'y aura pas forcément les dessins dont on parle, mais il y en d'autres, et sur le fond, il y a matière à lire et à réfléchir pour attendre une semaine.
Que les rédactions de Charlie et du Canard se le disent, elles sont attendues là où on ne les lisait pas.
Vive la presse libre et une pensée émue pour ceux que je ne lirai plus et dont je ne verrai plus les dessins.