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Billet de blog 21 décembre 2013

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Drapeau français et devise SS

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une photo a légèrement défrayé la chronique, celle d'un soldat français avec brassard dont le drapeau français est entouré d'une devise en allemand (voir aussi le Nouvel Obs , RTL et le Figaro). Cette devise - et non un insigne -  signifie "Mon honneur est ma fidélité". Il s'agit de celle des SS. Le mauvais goût d'une telle référence, dont il est légitime de s'étonner, aurait mérité une critique un peu plus fouillée des commentateurs et ne pas s'arrêter à la stigmatisation d'un individu. L'écusson est le révélateur d'un ensemble qui dépasse l'armée.

Si les SS avaient pour devise "Mon honneur est ma fidélité", la devise de la légion étrangère est "Honneur et fidélité". Le drapeau du 8° régiment parachutiste d'infanterie de marine auquel appartiendrait le soldat porte la devise "Honneur et patrie" :

La proximité des termes et de la formulation n'a jamais gêné qui que ce soit jusqu'aujourd'hui dans les sphères des fabriquants d'émotion de la République, qui laissent pourtant adopter des codes de déontologie imposant obéissance, silence et fidélité à la police, dont l'inspiration et le résultat visés ne ne paraissent pas bien éloignés de la maxime allemande. Cela est d'autant plus étonnant que ce code fait obstacle aux droits du statut de la fonction publique, aux garanties fondamentales du fonctionnaires protégées par la Constitution, qui garantissent la liberté d'expression et imposent un devoir de désobéissance.

La première photo montre aussi que le brassard n'est pas une fabrication personnelle : " l’énigmatique «32» brodé sur l’écusson, il s’agirait simplement de la référence à la 3e compagnie et 2e section auxquels appartient le militaire" (La Dépêche). Le soldat du fond semble porter le même. Il ne s'agit donc pas d'un cas isolé. Ce n'est pas tant le soldat qu'il faut critiquer que la hiérarchie ou l'institution militaire. Quant à BFM et son sens de l'information, sa négligence - à omettre de relater l'attaque du tireur venu chez elle avant qu'il ne commette une agression à Libération - permet de douter du sérieux de cette chaîne.

Reste ensuite à s'interroger peut-être pourquoi la hiérarchie admet cela.

Un esprit critique relèvera que le bougre ainsi "embrassé" n'est certainement pas un jeune diplômé des grandes écoles et que son cursus scolaire qui l'a conduit à gagner sa vie en l'hypothéquant, au risque de la perdre ou d'en revenir en morceaux, ne lui fournit aucun parachute "doré", à la différence de ceux qui pourraient s'émouvoir de son brassard, tout en touchant des jetons de présence dans des multinationales, dont le bougre assure les revenus.

Ces multinationales exploitent l'Afrique au point d'y créer des tensions. On charge ensuite le "bougre" de "nettoyer" le terrain, afin de garantir la spoliation des ressources naturelles et les profits, qui reposent sur la corruption et la dictatures ; lesquelles, à côté d'un brassard, mériteraient qu'on s'en émeuve beaucoup plus sérieusement. Mais voilà, la grande majorité de la presse française n'est pas indépendante.

Le capitalisme ne s'encombre pas de principe et le porteur du brassard est son factotum. Il n'est pas honnête de reprocher au second les défauts du premier.

Le bougre intervient pour sauver la croissance qui repose sur la régression sociale et les délocalisations, donc le chômage, au prétexte paradoxal de défendre le pouvoir d'achat des Français, qui sont de plus en plus nombreux à être licenciés, au nom de la compétitivité. Une logique de brassards, dont la caractéristique principale est de mépriser le genre humain et l'environnement. Elle n'émeut aucun dirigeant politique au pouvoir, puisqu'ils ne font rien pour que cela change.

Alors, pourquoi, dans ces conditions, s'émouvoir d'un brassard.... ?

BFM, le Figaro, le Nouvel Obs peuvent facilement imaginer que notre armée serait nettement plus politiquement correcte si les administrateurs des entreprises du CAC 40 allaient eux-mêmes défendre les intérêts de leurs actionnaires. Ils redécouvriraient peut-être les vertus du commerce de proximité. Pour ceux qui l'auraient oublié, les derniers défenseurs du bunker de Hitler à Berlin étaient des SS ... français.

Certains des égarés de la collaboration se sont recyclés avec succès après la guerre dans les médias, ou la direction de grandes entreprises.

L'épuration n'a pas fusillé les pires, dont un grand nombre ont disparu dans la nature, mais surtout des bougres, des sans grade, attirés par l'ordre et la discipline, qui transpirent indécemment dans le nouveau code de déontologie de la police nationale.

Avant donc de s'émouvoir d'un brassard tiré de son contexte mortifère et sacrificiel, BFM aurait du relever l'environnement du phénomène et l'incidence des valeurs dans le discours de la République : "Honneur, patrie, valeur, discipline", "Honneur et patrie", "Honneur et fidélité", Légion d'Honneur, ... 

Armand Pinsard et d'autres (Déat, Laval, Doriot, ...), invoquent "l'honneur" - comme les putschistes d'Alger - pour s'être fourvoyés.

La liste de ces "honorables" du déshonneur est plus longue que celle de ceux qui ont préféré et assumé le déshonneur.  La décoration qui reconnaît ce mérité ne comporte d'ailleurs pas le mot honneur, trop équivoque. " L'honneur est une essence qui ne se voit pas ; beaucoup semblent l'avoir, qui ne l'ont plus.  " (Shakespeare).

Un pays dont la valeur est l'honneur - malgré les nombreux exemple des errances passées - pousse les serviteurs les plus zélés à s'inspirer encore de ceux qui l'ont portée à l'extrême, dont l'abjection est l'envers prévisible de la même médaille.

Le général Aussarès n'était pas un SS. Les tortures dans la police en 1996, révélés par le livre Place Beauvau, n'ont donné lieu à aucune poursuite. Le colonialisme s'est paré de l'honneur républicain d'un devoir de civiliser les peuples "sous-développés", dont l'affaire Tocqé et Gaud est un exemple.

Cette histoire de brassard montre donc l'incompatibilité de l'honneur avec les véritables valeurs de la République. 

La République repose sur la démocratie et l'Etat de droit, et non pas sur le sacrifice ou l'oubli de soi comme des autres. Cela plaide en la nécessité de promouvoir l'idée d'un patriotisme constitutionnel pour écarter les notions qui frisent l'arbitraire comme l'obéissance, la discipline ou le silence - facilitant la violence institutionnelle au mépris de l'esprit critique et de la capacité d'indignation - et sur lesquelles prospère un discours manifestement fascistoïde, qui est le terreau fertile à l'éclosion de la barbarie.

Si l'honneur a pu être revendiqué par les brutes pour se justifier, n'est-il pas temps que la République s'interroge sur la pertinence de cette valeur ? Jean-Luc Leleu a exposé dans son étude sur la waffen SS, la responsabilité politique et collective. Le brassard - dans une instituion régalienne - n'est donc pas une initiative qu'il est permis de considérer isolément de l'environnement politique et du discours dominant.

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