La France a été condamnée par la Cour internationale de justice dans l'affaire Borrel pour avoir manqué à son obligation de coopération pénale, après s'être longuement désintéressée de la mort suspecte d'un de ses magistrats.
Madame Borrel s'était heurtée à l'inertie de l'administration française pour élucider les causes exactes du décès de son mari à Djibouti, alors qu'il était en poste à l'ambassade de France.
L'imbroglio françafricain prit le relai de l'inertie adminsitrative et compliqua encore un peu plus une affaire dans laquelle la mauvaise volonté de la France, quand elle n'est pas stigmatisée par l'épouse de la victime, est dénoncée par Djibouti, dont le comportement n'est pas non plus exempt de critiques (voir la vidéo de Rue 89).
Extrait du rapport de la Cour internationale de Justice :
Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France)
180. Le 9 janvier 2006, Djibouti a déposé une requête introductive d’instance contre la France portant sur « le refus des autorités gouvernementales et judiciaires françaises d’exécuter une commission rogatoire internationale concernant la transmission aux autorités judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à la procédure d’information relative à l’Affaire contre X du chef d’assassinat sur la personne de Bernard Borrel ». Djibouti a soutenu que ce refus constituait une violation des obligations internationales de la France découlant du Traité d’amitié et de coopération signé entre les deux États le 27 juin 1977 et de la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et Djibouti en date du 27 septembre 1986. Djibouti a encore indiqué qu’en convoquant certains ressortissants djiboutiens jouissant d’une protection internationale, dont le chef de l’État, en qualité de témoins assistés dans le cadre d’une plainte pénale pour subornation de témoin contre X dans l’affaire Borrel, la France avait violé son obligation de prévenir les atteintes à la personne, la liberté ou la dignité de personnes jouissant d’une telle protection.
181. Dans sa requête, Djibouti indiquait qu’il entendait fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la Cour et ajoutait être « confiante que la République française acceptera[it] de se soumettre à la compétence de la Cour pour le règlement du présent différend ». Conformément à l’article susmentionné, la requête de Djibouti a été transmise au Gouvernement français.
182. Par une lettre datée du 25 juillet 2006, la France a indiqué qu’elle « accept[ait] la compétence de la Cour pour connaître de la requête en application et sur le seul fondement de l’article 38, paragraphe 5 [du Règlement] », en précisant que « cette acceptation ne va[lait] qu’aux fins de l’affaire au sens de l’article 38, paragraphe 5 précité, c’est-à-dire pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des demandes formulées dans celle-ci » par Djibouti. Cette acceptation a permis l’inscription de l’affaire au rôle de la Cour et l’ouverture de la procédure en l’espèce.
183. Le mémoire de Djibouti et le contre-mémoire de la France ont été déposés dans les délais fixés par ordonnance du 15 novembre 2006.
184. Des audiences publiques se sont tenues du 21 au 29 janvier 2008. À l’issue de la procédure orale, les parties ont soumis à la Cour les conclusions finales ci-après :
Pour Djibouti :
La République de Djibouti prie la Cour de dire et juger :
1. Que la République française a violé ses obligations en vertu de la Convention de 1986 :
i) En n’ayant pas mis en œuvre son engagement en date du 27 janvier 2005 à exécuter la demande de commission rogatoire de la République de Djibouti en date du 3 novembre 2004;
ii) Ou subsidiairement, en n’ayant pas exécuté son obligation en vertu de l’article 1 de ladite convention suite à son refus illicite contenu dans la lettre du 6 juin 2005;
iii) Ou subsidiairement encore, en n’ayant pas exécuté son obligation en vertu de l’article 1 de ladite convention suite à son refus illicite contenu dans la lettre du 31 mai 2005.
2. Que la République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la Cour :
i) Transmettre le « dossier Borrel » dans son intégralité à la République de Djibouti;
ii) Ou subsidiairement, transmettre le « dossier Borrel » à la République de Djibouti dans les conditions et modalités déterminées par la Cour.
3. Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit international coutumier et général de ne pas porter atteinte aux immunités, à l’honneur et à la dignité du Président de la République de Djibouti, en :
i) Envoyant une convocation à témoin au Président de la République de Djibouti le 17 mai 2005;
ii) Répétant l’atteinte ci-dessus, ou en essayant de répéter ladite atteinte le 14 février 2007;
iii) Rendant publiques les deux convocations par la transmission immédiate de l’information aux médias français;
iv) Ne répondant pas de manière appropriée aux deux lettres de protestation de l’ambassadeur de la République de Djibouti à Paris en date respectivement du 18 mai 2005 et du 14 février 2007.
4. Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit international coutumier et général de prévenir les atteintes aux immunités, à l’honneur et à la dignité du Président de la République de Djibouti;
5. Que la République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la Cour annuler la convocation à témoin en date du 17 mai 2005 et la déclarer nulle et non avenue;
6. Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit international coutumier et général de ne pas porter atteinte à la personne, à la liberté et à l’honneur du procureur général de la République de Djibouti et du chef de la sécurité nationale de Djibouti;
7. Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit international coutumier et général de prévenir les atteintes à la personne, à la liberté et à l’honneur du procureur général de la République de Djibouti et du chef de la sécurité nationale de la République de Djibouti;
8. Que la République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la Cour annuler les convocations à témoin assisté et les mandats d’arrêt émis à l’encontre du procureur général de la République de Djibouti et du chef de la sécurité nationale de la République de Djibouti ainsi que les déclarer nuls et non avenus;
9. Que la République française, en agissant contrairement ou en manquant d’agir conformément aux articles 1, 3, 4, 6 et 7 du traité d’amitié et de coopération de 1977 pris individuellement ou cumulativement, a violé l’esprit et le but de ce traité ainsi que les obligations en découlant;
10. Que la République française doit cesser son comportement illicite et respecter scrupuleusement à l’avenir les obligations qui lui incombent;
11. Que la République française doit fournir à la République de Djibouti des assurances et garanties spécifiques de non-répétition des faits illicites dénoncés.
Pour la France :
La République française prie la Cour de bien vouloir :
1. a) Se déclarer incompétente pour se prononcer sur les demandes présentées par la République de Djibouti à l’issue de ses plaidoiries orales qui dépassent l’objet du différend tel qu’exposé dans sa requête, ou les déclarer irrecevables;
b) Subsidiairement, déclarer ces demandes non fondées;
2. Rejeter l’ensemble des autres demandes formulées par la République de Djibouti.
185. Le 4 juin 2008, la Cour a rendu son arrêt, dont le dispositif se lit comme suit :
Par ces motifs,
La Cour,
1. S’agissant de la compétence de la Cour,
a) À l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence pour statuer sur le différend relatif à l’exécution de la commission rogatoire adressée par la République de Djibouti à la République française le 3 novembre 2004;
b) Par quinze voix contre une,
Dit qu’elle a compétence pour statuer sur le différend relatif à la convocation en tant que témoin, adressée le 17 mai 2005 au Président de la République de Djibouti, et aux convocations en tant que témoins assistés, adressées les 3 et 4 novembre 2004 et 17 juin 2005 à deux hauts fonctionnaires djiboutiens;
Pour : Mme Higgins, Présidente; M. Al-Khasawneh, Vice-Président; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; MM. Guillaume, Yusuf, juges ad hoc;
Contre : M. Parra-Aranguren, juge;
c) Par douze voix contre quatre,
Dit qu’elle a compétence pour statuer sur le différend relatif à la convocation en tant que témoin, adressée le 14 février 2007 au Président de la République de Djibouti;
Pour : Mme Higgins, Présidente; M. Al-Khasawneh, Vice-Président; MM. Shi, Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Yusuf, juge ad hoc;
Contre : MM. Ranjeva, Parra-Aranguren, Tomka, juges; M. Guillaume, juge ad hoc;
d) Par treize voix contre trois,
Dit qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le différend relatif aux mandats d’arrêt délivrés le 27 septembre 2006 à l’encontre de deux hauts fonctionnaires djiboutiens;
Pour : Mme Higgins, Présidente; M. Al-Khasawneh, Vice-Président; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Parra-Aranguren, Buergenthal, Simma, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges; M. Guillaume, juge ad hoc;
Contre : MM. Owada, Skotnikov, juges; M. Yusuf, juge ad hoc;
2. S’agissant des conclusions finales présentées par la République de Djibouti au fond,
a) À l’unanimité,
Dit que la République française, en ne motivant pas le refus qu’elle a adressé à la République de Djibouti d’exécuter la commission rogatoire présentée par celle-ci le 3 novembre 2004, a manqué à son obligation internationale au titre de l’article 17 de la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre les deux parties, signée à Djibouti le 27 septembre 1986, et que la constatation de cette violation constitue une satisfaction appropriée;
b) Par quinze voix contre une,
Rejette le surplus des conclusions finales présentées par la République de Djibouti;
Pour : Mme Higgins, Présidente; M. Al-Khasawneh, Vice-Président; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Parra-Aranguren, Buergenthal, Owada, Simma, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Guillaume, juge ad hoc;
Contre : M. Yusuf, juge ad hoc.
186. Les juges Ranjeva, Koroma et Parra-Aranguren ont joint à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle; le juge Owada a joint une déclaration à l’arrêt; le juge Tomka a joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle; les juges Keith et Skotnikov ont joint des déclarations à l’arrêt; le juge ad hoc Guillaume a joint une déclaration à l’arrêt; le juge ad hoc Yusuf a joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.