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J’ai été étonné de la qualité de la réalisation de la Série Icon of French Cinema. J'avais une autre image, perception de cette actrice dont je n'avais pas vu les incarnations dans les films qui sont le sujet de sa prise de parole. Le film de Benoît Jacquot réalisé avec les élèves féminines des Amandiers m'avait détourné déjà avec raison de ce cinéaste, par exemple.
Je me suis mis à me passionner vraiment pour tous les « rebondissements » dans son immixtion politique. J'avais le sentiment de la voir prendre conscience, en direct, d’éléments nouveaux la concernant, elle. Comme une métamorphose... Une réalisatrice qui commence par une campagne de promotion pour sa série et qui transforme son temps d'antenne à la fois en tribune politique et en psychanalyse sauvage pour elle-même. C'est le plus beau des scénarios que j'ai pu vivre de déchirement d'un rideau idéologique. Voir une auteure, actrice, réalisatrice qui se transforme en démontant les ravages de la domination masculine, en sautant de plateau en plateau, de chaîne en chaîne... Une jubilation intellectuelle pour une parfaite maîtrise d'un discours politique incarné.
Mais c’est son interview d’une demi heure, vu en replay, sur France Inter, qui m’a laissé K.O. Deux jours. Allongé sur mon canapé, sans force, à dormir? Avait-elle parlé de quelque chose qui me concernait moi? Tout ce que je vais écrire ici, je ne l'avais pas oublié, mais elle m'a obligé à remettre cela dans un autre ordre.
Alors je commence à écrire cela ici (j’ai déjà fait des tentatives dans le passé, mais aujourd’hui l’occasion est trop « belle »).
Sur ma vie pèse des événements qui se sont produit dans ma toute petite enfance… dont je ne peux me souvenir, mais cela a déterminé, tout mes comportements, et probablement encore aujourd’hui, cet arrêt canapé… qui me trouble tant. Je ne peux raconter des souvenirs de nourrisson ou de très jeune enfant. Un cauchemar récurrent, identique pendant 40 années, reste le principal indice probant. Mais pour le débat urgent qui nous occupe je vais parler de cinéma... Il faut garder en mémoire que "mon trauma" vient d'avant (et je n'en dirais mot ici)
Comme je réalise des documentaires je vais commencé par une belle histoire de cinéma, un conte de fée presque.
Et donc la cérémonie du Palmarès à Cannes se termine et tout le monde se retrouve pour la photo finale sur l’immense scène du nouveau Palais des Festivals. Nous sommes en 1983, je porte mon diplôme et ma boîte rouge qui cache la palme d’or du court-métrage qui vient de m'être décernée. Comme je suis plus grand, je crois que, par timidité et logique, je ne me suis pas mis au tout premier rang.
La séquence dure, il me semble, tous les photographes hurlent… certains m’appellent et me demandent de lever le bras et j’obéis docilement.
Pour des tas de raisons paradoxales, je ne suis pas du tout joyeux, tout cela me semble très pénible, en fait… Comme si j’étais incapable de vivre un « succès », et comme souvent aujourd’hui j’ai du mal à recevoir un compliment.
Et puis deux mains attrapent, derrière moi, mes fesses. Deux mains habiles, fortes, et précises. J’ai eu la sensation, qu’à travers le pantalon, elles arrivaient même à écarter le pli fessier… Ce qui est une sorte d’exploit et une agression caractérisée.
Stupeur et réaction de ma part! Immédiate ! Plus rapide qu'une description. Je suis déjà retourné furieux. Helmut Berger recule, lui le fautif. Avait-il pensé que son acte ne pouvait que me plaire? Croyait-il que je succomberais au charme de cette « entrée en matière ». Avais-je l’air d’un homosexuel passif? Je le foudroie du regard, parce que sur scène, devant des photographes, dans ces conditions, je n’ai pas réfléchit vraiment, (J’avais les mains prises) à dire ou faire autre chose. Il a eu un grand sourire de gamin pris en flagrant délit de bêtise… Il a haussé les épaules déçu que je ne réagisse pas plus positivement. et s’est éclipsé toujours content de lui - sans un mot - mais en exprimant avec son corps une espèce de dénégation du genre « J’étais certain qu’avec ton petit air nunuche, tu en étais » Enfin j’ai imaginé cela. Je ne l’avais jamais rencontré, ni croisé avant et depuis, plus jamais. Aucune culpabilité de sa part. Il avait tenté le coup. Joué et perdu. Sans conséquences.Voilà tout.
C’est comme cela le cinéma, non? Pas de quoi en faire un fromage. Est-ce que c’est à cause de ces mains baladeuses que - dans l’émission de télévision où j’avais été entraîné, juste après - je n’ai rien dit ou presque… Je ne sais… Mais toute la soirée a été glauque pour moi… Même en passant le dîner avec les Monthy Pyton. Et depuis je ne suis revenu qu’une ou deux fois à Cannes, pour y travailler, peu de temps. Et c'est une atmosphère de fausse fête que je déteste.
Est-ce que le geste d’Helmut Berger m’avait fait revivre une autre agression que j’avais subie bien plus jeune? Est-ce que quelque chose émanait de moi, qui excitait les prédateurs? Est-ce que quand vous avez été abusé enfant, cela se voit sur votre gueule? Pourquoi se poser la question? J’ai vécu un certains nombres d’agressions plus jeunes, en tout cas. Et il faut que je décrive ici - pour le bien de la compréhension - ce mot sidération.
Après 68, mes parents n’avaient plus aucun contrôle sur mon emploi du temps… ma mère s’était mise à travailler. Libération de la femme oblige. Elle était devenu « démonstratrice » aux Galeries Lafayette. Quand je lui disais ma fierté d’avoir une mère ouvrière, elle me hurlait dessus. Elle représentait une marque; son patron louait l’emplacement; Les Galeries ne la payaient pas, elle touchait un pourcentage sur ses résultats. Elle n'avait donc rien à voir avec les ouvriers qu'elle détestait cordialement. Pourquoi faire cette incise? Pour dire que mes parents n’étaient pas très progressistes… Mon père qui avait perdu ses parents et sa petite sœur à Auschwitz n’avait qu’un seul ennemi: le communisme. Et rien que cette constatation, m'obligeait à le contester, et me pousse encore à une recherche de la vérité des faits.
De leur indifférence naissait ma liberté.
Je passais donc un temps fou à la Cinémathèque de Chaillot, celle de Langlois. À cette époque, rater une projection d’un film rare, voulait dire ne plus jamais avoir la possibilité de le revoir durant le reste de sa vie. Enfin nous avions ce sentiment. L’urgence toujours présente m’obligeait à voir des films, noir et blanc, en version japonaise sans sous-titre et c’était génial…
Je m’asseyais toujours à la même place… au milieu de la dernière rangée des premiers fauteuils (personne derrière moi pour me dire que j’étais trop grand - j’ai toujours été le plus grand, même dans les régiments où je suis passé pendant mon service militaire - un homme de base)… J’étais toujours en avance, et donc toujours le premier servi pour avoir « ma » place… Peut-être que cette habitude me faisait entrer dans la carrière?
J’y allais toujours seul parce que les mauvaises surprises (changement de programme, état de la copie, version originale non sous-titré) rebuteraient forcément les copains que je n’avais pas.
Mon entrée au collège, en 1965, au Petit Condorcet, s’était illustrée, dés le deuxième jour, par un énorme coup de poing au milieu du visage qui m’avait surpris et laissé assis par terre, dans un cri « Pas de Juif ici! », sans me donner la possibilité de voir qui avait frappé. La série américaine Holocauste n’était pas encore passé à la télé et l’amnistie générale pour les collaborateurs datait de 1953. Bref j’étais sur mes gardes, parce que je croyais que Lévy oblige. L’homosexualité par contre pouvait vous conduire en prison ( un crime plus grave que la collaboration?)
Quand j’avais 14, 15 ans, la société a évolué, du fait des événements de Mai 68, mais il faudra attendre, le 4 août 1982, pour que cela cesse d’être un délit.
J’étais jeune, très maigre, les cheveux très fins, très blond, bien trop longs. Androgyne donc, sans en connaître encore le mot, ni en avoir vraiment conscience. Je n’avais presque aucune vie amicale, et surtout aucune autre vie sexuelle que l’onanisme obligatoire, avec la culpabilité afférente.
Je m’asseyais donc toujours à la même place, cédant à un rituel correspondant à mon rapport quasi religieux au cinématographe.
Lui, Il avait dû me repérer, depuis quelque temps. Il avait dû me cataloguer comme homosexuel, vu ma dégaine…
Est-ce que moi-même à 14 ou 15 ans, je savais où j’en étais? (Pas sûr).
En tout cas je ne pourrais pas vous dire ni mon âge précis, ni même le film que j’étais venu voir. Je sais seulement que derrière moi comme toujours, il y avait un espace vide qui permettait la sortie en fin de séance vers là porte à double battant à droite de l’écran. Et donc pas de spectateur qui aurait été assez proche et dans le bon axe du regard pour être témoin. Ce jour là, c’était peut-être un samedi, au printemps, j’étais habillé comme d’habitude: un jean, une chemise bleu en coton (que ma grande-tante envoyait d’Amérique) une veste en jean, mon uniforme immuable quelque soit la saison. La salle était pleine, tous les fauteuils occupés, même dans ce rectangle de fauteuils collés à l’écran… Le film a commencé avec un générique assez long, moi je ne ratais aucun des titres (encore aujourd'hui), je ne quittais jamais l’écran des yeux. Un paroissien, ne se laisse pas distraire de son culte. Le film à peine commencé, très vite et dans un « éclair », la personne à côté de moi, avec violence, mais surtout une habileté redoutable s’est emparé de mon sexe après avoir ouvert tous les boutons (je n’avais pas de ceinture, ni justement de fermeture éclair).
Incroyable stupeur, choc, surprise, du à cette folle rapidité.
Vous vous retrouvez à hurler; la bouche grande ouverte, sans qu’aucun son ne sorte de votre gorge. Vous avez cru crié, mais rien ne sort, et rien ne se passe. Est-ce que vous avez même ouvert, la bouche… seulement pour accuser le coup? De fait vous restez tétanisé, incapable de rien. Vos mains comme accrochés au accoudoir, dans un état de sidération incroyable.
Sans réaction, sans rien pouvoir faire pour vous défendre, rien… Vous êtes en sueur, pétrifié, abasourdi, paralysé… au milieu de tout le monde, une salle comble qui pourrait arrêter cette agression sur un seul mouvement de votre part.
Vous n’avez pas même une pensée pour demander l’aide de votre voisin de gauche puisque vous ne l’aviez pas calculé. C’est surtout parce que vous n’avez pas de pensée du tout, en fait, un vide abyssal qui dure. Et demander quoi? Puisque vous n’arrivez pas à esquiver, ni a esquisser une riposte, ou même à émettre un son. Je ne sais toujours pas ce qu’il a fait avec mon sexe… aucun souvenir d’une sensation. La sidération est telle que c’est le vide…Une caméra de surveillance (cela n’existait pas à l’époque) braquée sur nous, aurait démontré à n’importe quel juge que mon absence de réaction, valait consentement. Par expérience, je sais donc qu’une image ne raconte rien du trouble intérieur… Je me suis surpris à voir furtivement (on montre vraiment tout à la télévision) une image de caméra de surveillance à l’intérieur de chez Gérard Depardieu, et de m’étonner de l’absence de réaction, justement, de la jeune femme qui l’accusait. Même moi, je me faisais prendre à « l’objectivité » factuelle d’une vidéo de contrôle, d'une surveillance aveugle.
Je ne sais pas combien de temps mon assaillant m’a tenu par la queue… Il était peut-être étonné que je ne sois pas heureux de sa prise… Moi, j’essayais juste de retrouver ma respiration…et je pense que tout mon sang agitait mon cœur, et rougissait mon crâne, plutôt que d’avoir un autre effet mécanique. Cela a duré, peut-être 20 secondes, peut-être 5 minutes, peut-être plus.
Déjà à l’époque cette éternité ne pouvait pas se mesurer objectivement.
Quelque fois, bien plus tard quand je suis devenu adulte, j’ai eu la chance dans la chaleur de certaines tendresses amoureuses de réussir à suspendre le temps. L’amour - le vrai - installe - à de rare moment - cette éternité étrange de la communion sensuelle solennelle d’une symbiose avec l’autre- l’être adoré.
Le cerveau dirige tout, et conçoit le Monde à l’insu de notre propre conscience.
Je viens seulement de comprendre, ici, en décrivant un acte - l’exact contraire - que le temps se dilate dans certaines circonstances à l’insu de notre plein gré.
D’ailleurs, quelques semaines plus tard, après l’épisode de la Cinémathèque, j’ai participé, en figurant, un peu lâche, à une bataille rangée homérique entre un bataillon compact de gauchistes (on occupait toutes la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare ) et une ou deux centaines de fachos, qui étonnamment avait esquissé une charge contre notre groupe puissamment plus nombreux. L’échange presque symbolique resta très violent dans un temps extrêmement court … Pourtant, je me souviens parfaitement avoir été soufflé de voir un très vieil homme, infiltré dans nos rangs (il devait avoir plus de soixante ans) sortir de dessous sa veste, une fine liasse de journaux de l’Action Française. Un de mes copains de lycée, que je connaissais bien, a tiré son ceinturon de son jean, à plier la sangle de cuir en deux et la frappé violemment sur le milieu du crâne chauve. L’homme était plus petit que nous… L’adrénaline et ma peur, ou mon excitation, font que j’ai vu tout cela au ralenti… (le cerveau est incroyablement en éveil dans ces moments-là. Il note tout, engrange tout, enregistre tout, pour s'en servir de matériel de prévision pour le futur. Il est totalement mobilisé et capte odeur, bruit, et des milliers de sensations dont on a jamais vraiment conscience, pour apprendre à se défendre la prochaine fois. Si l’événement devient horrible, même si on refoule tout, une matière énorme s’accumule pour ressurgir à tout moment ensuite et caresser la plaie du traumatisme dans tous les sens, pour ressurgir, nous violenter des dizaines d’années après, notamment sous la forme de cauchemars) J’ai bien vu la boucle de cuir s’abattre lentement; la peau du crâne se déchirer, se fendre; Un tout petit jet de sang surgir comme accompagnant le retrait du cuir et tiré par lui. Le panache a pris exactement la forme d’un plumet de casque de chevalier, comme ceux de mes soldats en plastique les plus luxueux. Il est resté suspendu, un certain temps - l'espace de mon étonnement? Sidération? - puis comme dans les films à effet très spéciaux, le coup porté, le sang versé a inondé le visage de l’homme pendant que la circulation des secondes reprenait son rythme habituel. Les quatre ou cinq exemplaires du journal sont tombés et on l’a laissé filé le vieux qui se tenait la tête… Mon attention s’était porté sur lui, à une dizaine de mètres de là, la lutte était déjà terminé. Les fachos avaient fui.
Je raconte cela pour bien faire comprendre à certain que dans des moments d’agression rien ne se passe normalement. Rien ne fonctionne de la manière habituelle et qu’il est impossible de juger un témoignage d’actes violents comme on commenterait une glissade, ou une maladresse, ou une action de jeu dans un Match de foot.
Objectivement, à la Cinémathèque, je n’ai rien fait. Les faits sont les faits, auraient pu dire le juge, «vous avez consenti »…
Pourtant quand il avait ses pattes m’agrippant le sexe, je me suis retrouvé « impuissant » (cela me ferait presque rire en écrivant cela). J’ai vécu une éternité, pendant l’acte, je n’ai aucune conscience de ce que mon corps ressentait. Un « blanc » de conscience, une absence dans l’obscurité. Et puis l’évanouissement psychique s’interrompt, comme si rien ne s’était passé. Et même si je n’ai absolument pas analysé la situation, ma main, la plus lointaine de l’agresseur s’en ai pris à ses mains et dans un geste absolument pas calculé, mais instinctif… ENFIN, elle a agi presque toute seule, après une sorte d’anesthésie générale… Comme si mes fonctions animales de survie se réveillaient seulement.
Le gars qui m’avait agressé devait être « gentil », parce que mon mouvement n’était pas vraiment brutal, mais tout de même assez significatif pour qu’il comprenne, un peu tard, que je n’étais pas celui qu’il avait dû fantasmer. Alors je me souviens, d’avoir tourné la tête très légèrement vers lui pour essayer de le regarder (une timidité de sidéré)… Alors que j’aurais dû le dévisager. Le noir et mes pupilles insuffisamment dilatées pour l’identifier, je n'ai rien vu.
Aussi bizarrement que cela puisse paraître nous sommes restés les bras ballants tous les deux, visages tournés vers l’écran , comme si nous étions enfin absorbés par le film. Il respirait aussi fort que moi… Personne à côté de nous n’avait l’air d’avoir détecté quoique ce soit… et vraiment en reprenant conscience, j’en étais bêtement soulagé… Vu la « sidération » impossible à imaginer, j’étais forcément coupable. Si j’en avais fait le récit à qui que ce soit, tout le monde se serait étonné que je ne me sois pas levé. D’autres m’auraient expliqué qu’à ma place, ils lui auraient foutu un poing dans la gueule… Mon père m’aurait simplement dit: « Cela fait longtemps que je sais que tu es un sale PD. »
Et récemment, une jeune amie, m’a raconté que sa propre sœur avait été violé par son cousin dans une soirée (en vacances à l’étranger) et que son père avait réagi en lui disant: « Tu vois si tu m’écoutais. Voilà ce qui arrive quand on fume de l’herbe ! » Vous devez imaginer parfaitement comment cette jeune fille de dix-sept ans est détruite, aujourd’hui, du fait de la double agression. Le Patriarcat toujours.
Je crois qu’il est resté tout de même un moment (un temps abyssal) et puis il s’est levé brusquement, au milieu du film (la salle, là, a réagi) il a dérangé tout le monde pour fuir. Je l’ai suivi du regard… J’ai pu le voir au moment où il est sorti, parce qu’il y avait de la lumière dans l’immense couloir qui jouxtait la salle. Il n'avait vraiment rien d'impressionnant, j'aurais pu en faire qu'une bouchée.
J’ai eu un peu de calme, j’ai du me reboutonner à un moment, mais bien plus tard… Je n’ai rien vu du film, RIEN. Je ne pourrais pas dire s’il était en couleur ou en noir et blanc… quelle était la langue parlée. Une fois j’ai cru - durant une projection, ailleurs - reconnaître au fur et à mesure celui-là… à l’émotion incompréhensible qui m’étreignait. Mais qu’importe…
Je suis sorti assez vite de la salle, un heure et quelques après, à la fin de la séance… et du bas de l’escalier j’ai vu qu’il m’attendait… DEHORS. Il faisait beau… Peut-être qu’il croyait que je ne pouvait pas le reconnaître? Il m’attendait avec son vélo… Il devait avoir même pas vingt ans, il était pas très épais… je ne me souviens que de sa silhouette et je n’ai pas pu m’approcher suffisamment pour avoir l’illusion de pouvoir l’identifier. Au lieu de reculer, d’être effrayé, la surprise (encore une) passée, je me suis mis à monter résolument les marches, en me dirigeant vers lui. Je jure que je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, ni dire… Mais lui a compris que je l’avais identifié. Il a du voir sur mon visage une détermination quelconque… Il a eu peur, et il est monté, vite fait, sur sa bicyclette. Il a roulé sur le gravier, récupéré le trottoir pour monter et tourner vite vers la place du Trocadéro, et je courrais derrière lui. Je me suis étonné. Mais le bâtiment a réussi à le cacher suffisamment de temps pour que je perde de vue…
Encore une fois aucun mot n’avait été échangé… Je n’ai pu dire « I would prefer not to » et dans les deux récits d’agressions que je vient de faire aucun ne m’a parlé.
Et ensuite je n’ai surtout rien dit, à personne, surtout pas à mes parents. Même les garçons qui ne portent pourtant pas des mini-jupes peuvent être considéré dans ce genre de cas, comme des « salopes »
« Celui qui ne dit mot, consent » dit ce proverbe probablement inventé par un violeur…
Je suis certain que l’agression sexuelle de la Cinémathèque n’a pas eu de conséquences pour moi… (à part peut-être m’empêcher d’aller explorer du côté de l’homosexualité), cela n’a pas été un traumatisme. Je l’ai vécu - malgré tout ce que je viens de raconter- comme une chose naturelle, comme un événement normal. La vie, c’est comme çà « mon p’tit loup ». J'ai mis longtemps à comprendre mon Hypervigilance - qui me fait tellement bien réussir les photos - et que je mettais sur le compte de ma judéité... alors qu'il n'en ait rien.
Je crois que j’étais déjà initié à la violence sexuelle, mais que cela s’est passé si tôt dans ma vie que je n’en ai aucun souvenir, aucune autre trace. Seul un cauchemar qui m’a poursuivi pendant presque 40 ans en est le symptôme (et c'est une autre quête). Si j’ai eu le courage de me retrouver face à une psychanalyste, c’est un peu après que ce cauchemar ai définitivement abandonné mes nuits.
Étrange coïncidence que la parole de Judith Godrèche m’a obligé à analyser seulement récemment. Je vais avoir 69 ans dans quelques jours et il me semble que je dois encore une fois revoir entièrement ma biographie, la retourner comme une crêpe et re_analyser tout cela. Une partie de mon puzzle se reforme et cela va me prendre des pages et des pages pour retrouver toutes les pièces éparses. Je me devais de redire à cette auteure mon admiration pour son engagement, en espérant que cette prise de conscience devienne générale.
Je ne me suis jamais senti victime, parce que tout ce qui a pu m'arriver depuis ma prime jeunesse n'était rien en comparaison du sort de ceux qui sont allé à Auschwitz-Birkenau et ce que j'apprends depuis quelques temps, c'est que cette idée a fonctionné pour moi comme un rideau sur ma réalité vécue... Il serait bien que j'arrive à le déchirer... Mais ma petite expérience n'est qu'un exemple pour secouer la société patriarcale marchande de sa trop longue sidération.