Il est mort le 3 mars 1982. Je me souviens de ce jour comme si c’était hier.
Je ne me souviens de rien d’autre, uniquement du moment où j’ai lu dans Libération l’annonce de sa mort. Le journal annonçait également le décès de Philippe K. Dick mais je ne m’en suis pas aperçu.
Cela se passait dans le métro, assis sur un strapontin, e me suis mis à pleurer à chaudes larmes. Je suis immédiatement sortie du wagon, alors que la sonnerie de fermeture des portes retentissait.
Je me suis retrouvé sur le quai d’une station où je n’avais rien à y faire, à sangloter comme si Georges Perec avait été un ami très proche.
Depuis je raconte sans savoir si c’est vraiment exact, que c’était la première fois où je pleurais depuis mon enfance ?
Ce qui est certain c'est que je pleure facilement depuis.
En 1982, je me préparais à réaliser mon premier court-métrage… Les enregistrements devaient avoir lieu en mai. J’avais déjà imaginé le moment où j’aurais invité Georges Perec à le voir.
J’avais adoré le film d’Alain Corneau Série Noire dont il avait écrit le scénario. Certains superstitieux diront que le titre était prémonitoire puisque Patrick Dewaere et Marie Trintignant qui avaient les rôles principaux, sont mort tragiquement. Patrick Dewaere s'appelait Poupart, c'est bien comme nom de personnage Pourpart
Je rêvais d’adapter La Vie Mode d’Emploi au cinéma. J’en rêve toujours. Une maison reconstruite en studio comme dans l’académie des neufs ou comme dans un film de Jerry Lewis dont je ne me souviens plus du titre.
Plus tard, j’ai eu la chance de pourvoir réaliser l’épisode sur Georges Perec dans la série Un siècle d’écrivains sur France 3. C’était l’époque où Bernard Rapp et Françoise Moreau faisaient magnifiquement leur travail. J'ai eu toute liberté pour faire ce film. Ils n’avaient pas la crainte de l’audimat. Je ne pourrais plus faire comme cela aujourd'hui. J’ai pu rencontrer et travailler avec Claude Burgelin et Hans Hartje qui sont devenus des amis et qui m'ont beaucoup appris humainement, pas seulement à propos de Perec. J’ai pu prendre plus de quatre années pour faire le film. Un hommage où Perec parle de bout en bout comme s’il était vivant et présent. J’ai repris par exemple un passage de la bande sonore du Récit d'Ellis Island où il disait le commentaire. Un texte qui pour moi a été décisif, libérateur, apaisant. Un texte qui va bien avec mes récents billets sur ce blog.
Je ne sais pas très précisément ce que c’est
qu’être juif
ce que ça me fait que d’être juif.
C’est une évidence, si l’on veut , mais une évidence
médiocre, qui ne me rattache à rien ;
ce n’est pas un signe d’appartenance ,
ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, à une
pratique, à un folklore, à une langue ;
ce serait plutôt un silence, une absence, une question,
une mise en question, un flottement, une inquiétude :
une certitude inquiète,
derrière laquelle se profile une autre certitude,
abstraite, lourde, insupportable :
celle d’avoir été désigné comme juif,
et parce que juif victime,
et de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil.
J’aurais pu naître, comme des cousins proches ou
lointains, à Haïfa, à Baltimore, à Vancouver
j’aurais pu être argentin, australien, anglais ou
suédois
mais l’éventail à peu près illimité de ces
possibles,
une seule chose m’était précisement interdite :
celle de naître dans le pays de mes ancêtres,
à Lubattow ou à Varsovie,
et d’y grandir dans la continuité d’une tradition,
d’une langue, d’une communauté.
Quelque part, je suis étranger par rapport à quelque
chose de moi-même ;
quelque part, je suis « différent », mais non pas
différent des autres, différent des « miens » : je
ne parle pas la langue que mes parents parlèrent,
je ne partage aucun des souvenirs qu’ils purent
avoir, quelque chose qui était à eux, qui faisait
qu’ils étaient eux, leur histoire, leur culture,
leur espoir, ne m’a pas été transmis.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir oublié,
mais celui de n’avoir jamais pu apprendre...