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Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

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Billet de blog 3 septembre 2012

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Tournage

Hier après-midi, le réalisateur Mosco Levi est venu chez moi – on dirait déjà une comptine enfantine – il n’était pourtant pas accompagné par sa femme, ni par l’Empereur.

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Hier après-midi, le réalisateur Mosco Levi est venu chez moi
– on dirait déjà une comptine enfantine – il n’était pourtant pas accompagné par sa femme, ni par l’Empereur. Mais comme un prince, il m’a offert un cadeau. Je me suis dit que, jamais, moi, je n’arrivais avec un présent chez ceux que j’allais filmé. Je me suis dit que je devrais prendre exemple sur lui, parce que tout de même offrir quelque chose avant de commencer, c’était déjà établir une relation de don et de contre don, tout à fait agréable et profitable à la relation de tournage. Je lui ai donc, tout de suite, offert un café, ce que je fais traditionnellement quand je reçois une personne chez moi  (le thé est tout à fait négociable).

Je pensais, que le mot présent est bien intéressant. C’est à la fois le synonyme d’assistant, de témoin, et de cadeau. Le cinéma se tourne d’ailleurs au présent, ce qui forcément indicatif de quelque chose. Mais la machine à café s’est arrêtée et je me suis dit que je reprendrais cette réflexion la prochaine fois que mon esprit vagabondera en attendant la fin de l’élaboration de ma boisson attitrée.

Mosco Levi s’est installé, dans la pièce la plus vide, a posé un pied de projecteur, sur lequel, il a placé une perche au bout de laquelle pendait un micro. Il a planté sa caméra. Et il a établi en même temps, une certaine simplicité et bonne humeur propice à l’enregistrement de nos propos.

Je ne vous dirais rien sur le film qu’il réalise, par discrétion, par pudeur et puis parce que cela lui appartient.

Nous autres les cinéastes, on a peu l’occasion d’aller espionner les collègues. Et j’aurais bien aimé voir  Mosco (c’est comme cela qu’on parle de lui entre nous) au travail avant hier. C’est un documentariste important, avec une œuvre constituée, et cohérente. Il a réalisé un film, en 1985, Des terroristes à la retraite qui m’a fortement influencé. Le film met en scène sept survivants du groupe Manouchian, résistants communistes étrangers, juifs pour la plupart. En filmant mes douze survivants du Premier Convoi de Juifs de France parti le 27 Mars 1942 pour Auschwitz, je n’ai jamais cessé de réfléchir à la manière dont Mosco avait élaboré son documentaire. Et je me suis fait un film - comme on dit. J’ai cru – sincèrement – utiliser ses méthodes pour réaliser Premier Convoi. Je n’aurais jamais eu l’audace d’aller le voir pour lui demander comment il faisait. J’ai tenté de reconstituer son mode d’organisation du travail en fonction du résultat : le film terminé. Plus tard en parlant avec des techniciens qui travaillaient avec moi, après avoir travaillé avec lui, je me suis rendu compte que je m’étais complétement trompé. Je faisais à peu prêt le contraire, pour arriver à un résultat qu’un spectateur normal évaluerait comme proche. Personnellement par exemple, j’essaye toujours d’éviter que les personnages que je vais interroger ne me racontent leur histoire avant. J’essaye de préserver ce moment pour que tout ce passe pour la première fois au tournage. Mais comme j’ai besoin de tous savoir pour prévoir, j’envoie une autre personne recueillir, hors caméra, les mêmes témoignages qui auront leur place dans le film. Cela me permet d’être précis, de choisir l’épisode à conserver, pour que le tournage soit moins long, plus efficace, moins cher. Je n’ai pas besoin de poser de questions, puisque tout a été négocié à l’avance. Mosco, lui aussi ne pose pas de questions, mais c’est lui qui a, lui même, longuement interrogé les personnes qu’il va filmer… Des terroristes à la retraite a été pour moi le catalyseur de mon travail, le film qui me démontrait que ce que je voulais faire était possible, comme une boussole. Peu importe qu’elle me montre le nord ou pas.

J’ai passé une après-midi avec Mosco, tout a fait délicieuse. Je me suis laissé faire, j’ai écouté ses demandes, je voyais bien comment il s’y prenait avec méthode pour obtenir ce qu’il cherchait. Il changeait de ton et de manière de parler pour que je me synchronise avec sa manière de faire. Il me donnait des exemples, pour me faire aller dans son sens, ne jugeant jamais ma prestation, m’encourageant à chaque moment, même et surtout quand j’étais  franchement décevant. Il m’encourageait avec une approbation non feinte. Et puis quelque fois, quand il se désespérait d’obtenir de moi ce qu’il désirait, il changeait de sujet, de manière tout à fait jovial. Et puis très gentiment, un quart d’heure, plus tard, il revenait à la charge, pour me faire redire ce qui ne lui avait pas convenu… Cent fois sur le métier. Bref dans ce petit jeu amical du chat et de la souris, on a fini par s’amuser comme deux gamins de 8 ans et demi. À un moment j’ai bien senti, que j’étais arrivé au point où il voulait me faire parvenir. Peut-être que tout cela avait pris plus de deux ou trois heures. Alors nous étions complice et détendu et les prises de vue, on pu continuer pour le seul plaisir d’être entrain de tourner.

Cela ne tient à rien, de la confiance, du respect, de la patience et forcément une empathie avec l’autre qui fait la qualité de notre métier. Dans la période actuelle, ou l’inquiétude, la souffrance en France est à son comble, au lieu d’envoyer les CRS, le Ministre de l’intérieur, ou le Ministre du redressement industriel devrait envoyer quelques documentaristes modestes pour recueillir, calmement avec respect et honnêteté, la parole des habitants, des citoyens des quartiers (comme on dit). Cela prendrait un peu plus de temps, mais cela permettrait de rendre leur dignité à tout le monde, y compris aux hommes politiques qui ont l’air de marionnettes pris dans les fils de l’argent, du pouvoir et de la communication.

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