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Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

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Billet de blog 3 novembre 2023

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Mon documentaire Premier Convoi projeté durant l'hommage à Claude Lanzmann.

J'ai été bien étonné d'apprendre que mon documentaire Premier Convoi avait été choisi pour participer à l'hommage rendu à Claude Lanzmann

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Illustration 1
Page d'une brochure © POL

Mon copain Dominique Chapuis - qui travaillait comme assistant-opérateur, puis chef-opérateur pendant le tournage interminable de Shoah- m'a proposé un soir, comme un service,  de venir prêter main-forte pour le montage du film de Claude Lanzmann. La chef-monteuse "n'en pouvait plus"...  J'étais tout jeune monteur, et je travaillais déjà très lentement à la réalisation de mon premier court-métrage. Ma modestie m'interdisait de postuler pour ce poste, cette responsabilité. Mais je ne savais rien de ce projet! Je lui ai répondu que je ne voulais pas me retrouver à passer mes journées face à des images d'archives de la libération des camps et leurs monceaux de cadavres;  séquences qui m'avaient évidemment bouleversé déjà, bien trop tôt, bien trop  jeune... D'images de ce genre dans Shoah pas! Mais Dominique n'avait pas pris le temps de me l'expliquer. Il avait compris à mon simple mouvement corporel de recul que je n'étais pas le bon candidat pour la relève dans cette équipe et que probablement je fuyais "le sujet".

Je n'ai effectivement jamais voulu réaliser un documentaire sur la "destruction des Juifs en Europe pendant la seconde guerre mondiale", selon la terminologie de Raul Hilberg... trop difficile, trop douloureux, trop risqué...

Mais un jour le destin a voulu que le producteur Patrick Sobelman, avec qui j'étais ami (à l'époque) - et qui n'avait jamais produit une œuvre cinématographique avant Premier Convoi- (il produisait des vidéos de création très pointue avec Hervé Nisic) - me propose de venir à la rescousse, encore une fois, d'une équipe défaillante, pour réaliser  un documentaire à partir des témoignages d'une poignée de survivants. Je me souviens comme si c'était hier de ce que je lui ai répondu à la terrasse du café au coin de la rue Parmentier et de la rue Jean-Pierre Timbaud: "Je n'aurais jamais eu l'idée de me lancer dans la réalisation d'un tel film, mais quand on s'appelle Lévy, on ne peut refuser une telle proposition. Ce serait trahir! "

Mes grand-parents paternels et une de mes tantes de 15 ans, ont été gazé à Birkenau, à la descente du train! Deux de mes tantes 17, 18 ans en 1944, sont revenues. Je me devais d'accepter:  j'avais fondé une maison de production, un an et demi au paravent, mon associé fut furieux de me voir partir travailler ailleurs. La mère de mes enfants ne voulaient absolument pas que je me plonge dans cette période de l'histoire parce qu'une partie de sa famille avait considérablement trempé dans la collaboration (son père emprisonné en 1944,  son oncle SS, son grand-père peintre et traducteur en Français d'une Anthologie de la Poésie Allemande et dirigeant d'une revue de propagande culturelle)... mais rien ne pouvait plus m'arrêter... semble-t-il

Viviane Dahan qui s'occupait de la documentation du film (à l'époque on croyait à l'absence totale d'archives sur le Premier Convoi) commença par de demander conseil à Serge Klarsfeld qui nous a renvoyé au seul historien - selon lui - spécialiste des archives d'Auschwitz.

Jean-Claude Pressac dont Nicole Lapierre  -  dans un article paru en 2009 dans le N°84 de la revue Communications-  écrivait "Le parcours de Jean-Claude Pressac est surprenant et improbable. Ce fils d’instituteurs, né en 1944, a passé huit ans au Prytanée militaire de La Flèche. Il confie au journaliste Claude Weill, qui l’accompagne à Auschwitz, avoir été à l’époque « un vrai petit facho » attiré par tout ce qui concerne l’armée et la guerre, fasciné par les armes, les chars, les avions, et impressionné, comme alors l’ensemble de l’encadrement de cette école militaire, précise-t-il, par l’Allemagne hitlérienne et sa puissance."

Cet homme - qui venait d'éditer des ouvrages grâce à Serge Klarsfeld - m'a accompagné durant mes premiers repérages, il m'a fait gagné un temps fou, m'a empêché de me perdre dans les émotions qui me traversaient... Viviane Dahan filmant notre visite, était tellement bouleversé qu'aucune image et aucun son ne sortir de sa prise de vue "instable".

Comme je connaissais l'album d'Auschwitz nous arrivions à parler de certaines photos (sans les avoir sous les yeux) sur les lieux mêmes où elles avaient été prises.

Jean-Claude Pressac avait donc milité du côté des négationnistes, et avait cherché à démontrer l'inexistence des chambres à gaz. À sa dixième visite, dans le fond d'archives à Auschwitz même,  finit par découvrir les preuves formelles de la "volonté homicide" et les péripéties des réparations des bâtiments de mise à mort ou de disparition industrielle des corps. Les historiens du siècle dernier ne cherchaient pas à se plonger dans les archives, comme lui,  les témoignages des survivants leur suffisaient.

Nous n'avions rien en commun, Pressac et moi, mais son apostasie me parait toujours remarquable.

Selon Nicole Lapierre c'est "un converti par la science historique, un croisé de la vérité contre les falsificateurs et les négateurs, d’où qu’ils viennent." Sans lui j'aurais perdu énormément de temps à me perdre dans mes propres petits traumas personnels. Il m'a obligé en un petit week-end a arpenté tous les lieux. Tout ce que je n'ai pas compris, mon corps l'a enregistré, et j'ai pu imaginer exactement la forme qui me paraissait la plus efficace pour permettre l'expression libre et compréhensible des témoignages.Ne pas poser de questions, ne pas interrompre, filmer chaque moment en une seule prise en ayant l'intention de ne jamais couper dedans, pour qu'aucune manipulation (ou le minimum) n'apparaisse pour chaque plan. Une suite de plans séquences avec quelques fois des inserts nécessaires à la compréhension.

Ensuite, durant la préparation, une tumeur a grossi sous mon crâne, et j'ai cru ne jamais survivre. Pourquoi? C'est un tout autre récit. Le jour même de ma prise de conscience de la gravité de mon état (j'avais déjà perdu l'usage d'un œil - c'est dire) j'ai dîner avec la grand-mère de Patrick Sobelman dont le fils Robert, âgé de huit ans, avait - après quelques semaines (mois?) - disparu. Je me souviens toujours de l'émotion qui nous pris tous autour de la table quand elle racontait qu'au camp elle avait reconnu le pull de son fils porté par un autre. Elle raconta que toute suite après la guerre, elle était retourné là-bas à sa recherche.

Ma petite maladie m'a semblé surmontable... Depuis face à tous les grands obstacle, je me repète que "Ce n'est pas Auschwitz". À partir du lendemain matin, après cette soirée, j'ai consulté pléthore de médecin pour trouver celui qui me soignerait le plus doucement. Comme ma tumeur ne pouvait pas être opérée, vu son étonnant volume, un médicament me fut prescrit et donné pendant une hospitalisation de 10 jours. La tumeur disparu totalement! Comme miraculeusement.

Je devais tourner... Je le pouvais donc et je n'ai toujours pas compris les liens entre émotions, maladies, génétiques etc... J'avais été borgne pendant 2 mois, et les autres troubles accompagnant la tumeur s'effacèrent aussi.

Pourquoi je décris ces détails alors que le lecteur aurait préféré que je parle de Claude Lanzmann, c'est parce que lui, je ne l'ai jamais rencontré et que malgré tous les essais de Thierry Garrel qui commanditait le film pour ARTE, Lanzmann ne voulait pas voir mon film... Il semble que Serge Klarsfeld se soit "éloigné"de Pressac et que même s'il ne tarit pas d'éloge sur Premier Convoi, ce film ne soit pas ce qu'il faudrait projeter pour expliquer la naissance d'Israël...

Au soir de sa vie, dans une discussion animée - que j'écoutais en direct  - aux Matins de France Culture, Danielle Sallenave poussa Claude Lanzmann à revenir sur son tabou... "la Shoah irreprésentable, en fiction" et il s'expliqua en précisant que durant tout le tournage de Shoah, il était resté obnubilé par la mort et qu'il n'avait pas pensé assez aux survivants. Il reconnu qu'effectivement des écrivains ou des cinéastes pouvaient s'emparer de cette histoire.

Premier Convoi est un film sur la survie, qui démontre sans jamais la décrire l'imbécilité Nazi, alors que l'efficacité de la machine de mort, la puissance terrifiante des Nazis écrase - à mon avis - le spectateur. L'industrialisation de la mort nous abasourdie dans le film extraordinaire de Lanzmann.

L'imbécilité des Nazis - dont les exemples abondent - fascine pourtant certains imbéciles aujourd'hui. quelque fois - Hitler et son régime sont présentés - par certains - comme un moment exceptionnel de l'histoire ! Comme si un fou génial pouvait la modeler. Il n'y a pas de "sauveurs suprêmes" pourtant. Le nazisme plonge ses racines dans l'organisation politique et prédatrice de l'Occident, et le racisme d'Hitler existait bien avant lui (il n'a fait que plagier) et la violence coloniale d'où est né le "racisme scientifique" sévit encore. Il faudrait raconté la bêtise, la courte durée de cette idéologie, et son atrocité, comme une débilité, une défaillance monstrueuse de la culture plutôt que de raconter son organisation industrielle..

https://www.afcinema.com/Une-retrospective-Claude-Lanzmann-au-Centre-Pompidou-avec-Caroline-Champetier-AFC-et-Michel-Abramowicz-AFC.html

https://www.afcinema.com/IMG/pdf/brochure_claude_lanzmann.pdf

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