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Billet de blog 5 août 2014

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Pierre Helman, Août 1918, épisode 2

Mon grand-père a écrit ses carnets de guerre. Aujourd’hui les militaires font des selfies, ou des vidéos. Celles-ci quelque fois servent à les confondre… J’imagine que si chaque soldat de l’armée israélienne portait aujourd'hui une GoPro sur son casque, cela permettrait aux Tribunaux Internationaux de sévir. Quand on lit le texte de Pierre Helman on est étonné par la haine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mon grand-père a écrit ses carnets de guerre. Aujourd’hui les militaires font des selfies, ou des vidéos. Celles-ci quelque fois servent à les confondre… J’imagine que si chaque soldat de l’armée israélienne portait aujourd'hui une GoPro sur son casque, cela permettrait aux Tribunaux Internationaux de sévir. Quand on lit le texte de Pierre Helman on est étonné par la haine. Je n’en donne pas, ici, aujourd'hui, des extraits illustrant cette haine, mais il parle souvent de la race allemande et du fait qu’il n’y aura jamais de réconciliation… La haine est-elle indispensable pour être un militaire efficace? Au moment où les commémorations du centenaire de la guerre 14 débutent, les discours officiels lénifiants ne donnent aucune idée du formatage des esprits de l’époque.

À Gaza, ces dernières semaines, une guerre inhumaine se déroule, un massacre épouvantable dont il faudrait arrêter à l'instant le déroulement (l'annonce du retrait des troupes isréliennes ce jour, permet d'en parler plus calmement). Aussi endurci qu’était mon grand-père, je crois qu’il n’aurait pas supporté la vue des morts civils, les corps des enfants. La guerre 14, c’était une affaire d’hommes… Une boucherie bien moins barbare que ce qui se passe en Syrie, au Nord Kivu, ou à Gaza. Aujourd’hui la technologie permet à des adolescents de conduire des drones et de tuer comme dans un jeu vidéo. Aujourd'hui la haine permet à d'autres de supprimer d'un coup de machette. L'horreur est la même. Je crois sincèrement que la lecture des souvenirs d’un combattant d’hier permet mieux d’appréhender comment chaque individu est broyé par la guerre. Combien d’israéliens vont valser avec Bachir à la suite de ces derniers jours… Et combien il est obscène de parler de post traumatic war disorder, si on ne parle pas des victimes qui eux n’auront pas la chance d’avoir - pour le reste de leur vie volatilisée – des cauchemars. Je crois que les bourreaux et les bouchers font des cauchemars. Je crois que mon grand-père à la suite de quelques actions d'éclat n'a plus dormi du sommeil du juste. Je pense à un documentaire de mon ami Patrick Barbéris, où un militaire français, pleurait en racontant un combat au corps à corps qu'il avait mené pendant la guerre en ex-Yougoslavie.

Je n'ai pas vu mon grand-père pleurer. Il est mort bien avant ma naissance.

Ma grand-mère racontait qu'il avait des rhumatismes parce qu'il était trop resté allongé dans la boue des tranchées. Il est mort d'un cancer probablement parce qu'il avait inhalé le gaz inventé par Fritz Haber, un prussien juif qui reçu le Prix Nobel de chimie en 1918. Il conduisit ensuite toutes les recherches autour de nouvelles armes chimiques, en Allemagne, après le traité de Versailles qui interdisait aux allemands de faire des recherches en armement militaire. C'est donc des insecticides que Fritz Haber inventa, dont le célèbre Zyklon B qui fut utilisé dans les chambres à gaz de la seconde guerre mondiale. Les gaz de combat de Fritz Haber (fournis par les européens) ont été largement utilisés par Saddam Hussein pendant la terrible guerre entre l'Irak et l'Iran, dont on ne parle pas souvent ici. Les paysans meurent comme mon grand-père de cancer pour avoir utiliser des insecticides qui dérivent des mêmes gaz de combat, enfin (mais je dis cela par cynisme) utilisé pour massacrer la biodiversité. Tous les liens sont à retrouver, toutes les origines de nos malheurs présents, remontent à bien longtemps... par exemple pendant la Grande Guerre. Mais qui le dit?

À sa mort, ma grand-mère, m’avait légué le précieux manuscrit. Et bizarrement sous divers prétextes, ma mère l’avait conservé pour elle-même. Son lien œdipien ? La connaissance qu’elle avait des opinions politiques de son père et qu’elle partageait, je crois ? Il a fallu que ma mère décède à son tour pour que le précieux volume sorte d’un coffre de la banque.

Mes opinions politiques, résolument à gauche, ne me rendaient-elles indigne de lire ces lignes ? Le manuscrit inédit se double de dizaines de photos, noir et blancs, la plupart sur plaque de verre. Qui permettent de mettre des visages, et de paysages sur les mots calligraphiés finement par mon grand-père.

Pierre Helman a été un des rares combattants à avoir délibérément, par patriotisme et devoir, décidé de se battre d’une manière particulièrement cruelle. Il a été volontaire patrouilleur. C’est-à-dire qu’au cours de rares missions, il partait entre les lignes, la nuit, pour aller aux renseignements ou au contact. Il a probablement égorgé de ses mains des Allemands sur lesquels il tombait dessus la nuit, à l’improviste. Dans les archives militaires de son régiment devrait se retrouver précisément les rapports de ces exploits nocturnes.

Ma grand-mère me parlait d’un homme qui sur la plage jouait avec tous les enfants, un homme plein d’humanité et de douceur. La progression de l’écriture, la suite des différents épisodes de son expérience de guerrier l’on conduit à devenir ce tueur froid.

Son racisme et sa haine de l’ennemi lui ont permis de vivre probablement, dans un premier temps, sans aucun remords.

Un tout jeune homme ordinaire a pu devenir en quelques années un tueur au couteau.

Le texte ne le dit pas, il ne décrit aucun de ses corps à corps.

Au moment où le ciel se couvre, où l’avenir du monde s’assombrit, au de là de toutes ces années, il me paraît intéressant de mesurer la différence qu’il existe entre la mentalité d’un jeune Belge de 1914-1920 et nous citoyens européens en ce début du 21éme siècle.

L’écriture simple et claire de Pierre Helman nous permettra de suivre son émotion, ses confidences et ses silences.

Obéir, faire accomplir son devoir, n’est pas aussi évident que cela pour ce jeune Pierre, la révolte souvent l’oblige à écrire des mots, contre les officiers, qui prononcés auraient valu punition. Pierre Helman a su rester, à tout moment, dans ce récit, authentique et sincère. Ce qui fait de son témoignage un rare document d’un simple soldat, d’un homme du peuple, ni militant, ni intellectuel, un homme ordinaire dans la guerre qui devient un héros. Nos héros d’aujourd’hui sont  certainement différents, mais l’humanité de Pierre Helman nous ressemble. Est-ce inquiétant ?

Pour les impatients – ceux qui me font l’amitié de lire mes propos et écrivent des commentaires – je propose de faire un saut dans le temps. Août encore mais août 1918.

C’est Pierre Helman qui écrit, je cite :

12 août 1918.

Vers midi je pars en reconnaissance avec un sous-officier qui fait partie des guetteurs du régiment. Soigneusement camouflés nous explorons le terrain en avant de nos lignes, nous découvrons des fossés que les reconnaissances de la nuit n’avaient pu atteindre. Nous nous glissons dans les sillons et dans les fossés remplis d’eau pour échapper aux vues de l’ennemi, notre patrouille a été des pus fructueuse car nous recueillons des renseignements du plus haut intérêt sur l’état du terrain. Nous rentrons dans nos lignes vers 7 heures du soir. On me téléphone aux tranchées de la part de l’État Major du régiment pour me demander de revenir immédiatement pour fournir les renseignements recueillis au cours de la journée.

13 août 1918.

À fin de compléter les renseignements fournis la veille, nous partons de nouveau à deux pour une reconnaissance de jour. L’État Major nous a demandé des détails sur la composition des réseaux ennemis. L’opération est menée à bonne fin. Nous parvenons au fils de fer boche et à leur nez, en plein

Jour sans qu’ils aient le moindre soupçon. Je prends un croquis complet de leurs défenses accessoires.

14 – 15 août 1918.

Un projet de raid est soumis au Commandement de la Division. Nos patrouilles ont recueilli suffisamment de détails.

16 – 17 août 1918.

Ce matin, une note de la division approuve le projet du raid, l’opération sera tentée, je crois dans la nuit du 21 au 22 août.

18 août 1918.

Je reçois aujourd’hui la croix de guerre.

22 août 1918.

Journée accablante, il règne une chaleur tropicale, nous devons attaquer cette nuit. À 22 heures, 5 autos s’arrêtent devant notre cantonnement, les patrouilleurs s’embarquent, on est prêt pour le départ. La musique du régiment nous salue d’une marche et les autos démarrent dans un nuage de poussière. De nombreux « jass » (?) nous regardent passer et nous envoient leurs souhaits de bonne chance. Nos débarquons au Chien-Marin, le Quartier Général des patrouilleurs où nous prenons nos dernières dispositions. Vers minuit, nous quittons la redoute de Chien Marin et nous partons au chemin de fer ou chacun prend sa provision de grenades. Par des chemins de colonnes différents, nous nous dirigeons vers nos avancées où a eu lieu la concentration de nos forces. Mes patrouilleurs sont prêts, silencieux, ils attendent le signal de franchir les réseaux.

Ce ne sont pas des soldats : ce sont des hommes : ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers fait pour la boucherie humaine, ce sont des laboureurs ou des ouvriers qu’on reconnaît sous leur uniforme. Ce sont des civils déracinés. Ils sont prêts. Ils attendent le signal de la mort et du meurtre. Mais on voit en contemplant leur figure entre les rayons verticaux des baïonnettes que ce son simplement des hommes.

Il est une heure du matin, l’heure d’attaque, l’heure H est fixée à 3 heures. Le premier groupe part en avant. Il était presque 2 heures lorsque tout le détachement pris position sur notre ancienne ligne, voici quel était l’ordre de combat. Les trois colonnes d’assaut composées de 1, 2, 3 groupes de patrouilleurs réglementaires prenaient la tête du détachement, ensuite le groupe de soutien qui devait se poster derrière notre réseau extérieur derrière le fossé A.B. Les T.S. et les brancardiers suivraient leur groupe respectif. À l’heure H, nous devions avoir pris nos dispositions et nous trouver à hauteur du fossé P.H. (fossé que j’avais reconnu au cours d’une reconnaissance diurne et qui portait mes initiales sur les plans directeurs) pour nous lancer à l’assaut avec les premières rafales de notre artillerie. Notre tir était réglé de façon à neutraliser les moyens de défense de la ferme violette, nos sections de mitrailleuses avaient reçu des ordres pour effectuer des tirs de harcèlement et d’interdiction, tir d’une durée de 50 minutes ou chaque pièce pouvaient tirer 50000 cartouches. À 2h10 les premiers hommes s’engageaient dans les chicanes des réseaux couvrant ns anciennes positions. Au point A, les éclaireurs des groupes d’assaut aperçoivent une patrouille ennemie qui regagnait ses lignes, le temps pressait et avant d’arriver au fossé C.D., les postes allemands étaient alertés, les sentinelles allemandes devinant une attaque imminente lançaient déjà leurs grenades, de nombreuses fusées éclairantes étaient tirées des lignes adverses. Les colonnes d’assaut progressaient toujours dans ce terrain difficile et marécageux. Il était 2h56 quand mes hommes franchirent à l’aide d’un madrier le fossé C.D., nous avons encore une centaine de mètres à parcourir avant d’arriver à notre emplacement de départ d’assaut. À 3 heures exactement, l’horizon derrière nous s’illumina d’éclairs fulgurants, le bombardement se déclenchait, l’heure de l’attaque avait sonné. Puis ce fut la ruée, la course à la mort et à la gloire. Les patrouilleurs bondirent vers la ligne de feu formée par notre barrage d’artillerie. Le fossé P.H. fut franchi sans arrêt. La fougue de nos hommes était merveilleuse, cet assaut foudroyant fit perdre contenance à l’adversaire. Arrivé dans les réseaux boches, chaque groupe avait sa mission déterminée, et ce fut le carnage... ! Les deux sentinelles allemandes qui se trouvaient en avant du poste furent enlevées en un tour de main, ces deux boches étaient dans un état pitoyable, ils se demandaient à quel diable ils avaient à faire. Dans l’ardeur du combat, je n’entendais plus le bruit des explosions, je vis la fusée d’alarme, verte à deux feux, tirée du poste Violette et répétée par tous les autres postes ennemis. Combien de temps s’écoula-t-il avant que se déclenche le barrage ennemi, peut-être 2 à 3 minutes, comme à l’exercice, nos hommes accomplissaient vaillamment leur devoir, déjà plusieurs cadavres allemands jonchaient le sol, leurs mitrailleuses de droite et de gauche entrèrent en mouvement et crépitèrent dans toutes les directions. Le coup de sifflet du Lieutenant annonça la fin du raid. Sous les obus ennemis, qui tombaient maintenant en rafales serrées, nous revînmes vers nos lignes, emmenant 3 prisonniers valides. Les autres restèrent sur les lieux du combat. Il fallut traverser toute la zone battue par le barrage allemand. 900 mètres de terrain, les trois groupes d’assaut parvinrent à nos anciennes positions sans avoir éprouvé une seule perte conséquente, un home du 1er groupe fut légèrement blessé au bras. Il était alors à peu près 4 heures du matin.

24 août au 3 septembre 1918.

En permission à Paris.

11, 12, 13 Septembre 1918.

Je passe aujourd’hui à l’ordre du jour de l’armée. Je reçois la Médaille Militaire avec la citation suivante : « Helman P. Sergent volontaire de guerre, âgé de 22 ans et demi, 48 mois de front. Patrouilleur admirable d’entrain et d’énergie. A pris part à de nombreuses reconnaissances. S’est particulièrement distingué en exécutant, les 10 et 12 août 1918 en plein jour, des reconnaissances à travers un terrain inondé, jusqu’au réseau ennemi et en rapportant des renseignements précieux. À brillamment participé au raid du 23 août 1918, dans le sous-secteur du Berverdjick, comme chef des grenadiers chargés du bombardement du poste ennemi. Est porteur de la Croix de Guerre ».

20 septembre 1918.

Ce matin, la Division faisait un exercice de concentration et de dislocation. Je suis allé à la remise des décorations pour recevoir le bijou de la Croix de Guerre.

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