
Je suis bouleversé - pardonnez cette remarque personnelle - son corps a été retrouvé ce vendredi 4 février (selon l'article de Florence Beaudet de France Bleu Drôme Ardèche) dans l'eau au barrage de Darbres.
Il y a bien des années, quand la sécheresse, due au dérèglement climatique, le permettait encore en été, les festivaliers des États généraux du film documentaire (et moi avec) allaient souvent faire trempette exactement à cet endroit, là! Hélas, je ne peux pas dire qu'il puisse y avoir un lieu idéal pour mourir, mais cette fin tragique se produit sur un site qui ne m'inspirait que des souvenirs de plaisirs simples et joyeux, comme une plage, un lieu de villégiature, un lieu de retrouvaille.
Jean-Paul Roux - "Viticulteur et arboriculteur, était maire de Lussas depuis 1987, président de la communauté de communes Berg et Coiron, ancien conseiller général du canton de Villeneuve-de-Berg de 2008 à 2015" - était aussi enfant, le garçon assis à l'école à côté de Jean-Marie Barbe le fondateur des États généraux du film documentaire.
Depuis 1989, avec son éternel sourire et sa bonhommie incroyable, Jean-Paul Roux a épaulé son copain, dans toutes les folles aventures lancées par Jean-Marie. Le village est devenu une Mecque du documentaire, un lieu connu de toute la galaxie du cinématographe mondial. La diversification des activités s'est réalisé au cours du temps, avec une concentration d'entreprises cinématographiques, l'invention d'un lieu d'enseignement universitaire à propos du documentaire (la seule Université d'Ardèche) et depuis peu le lieu d'implantation de Tënk que les lecteurs de Mediapart connaisse bien. Lussas accueillant aussi des stagiaires venant d'ailleurs, puisque sur la base de l'expérience de la formation au village, d'autres écoles ont été crée par le même copain d'enfance de Jean-Paul, un peu partout dans le Monde.
Jean-Marie Barbe a toujours su créer des collectifs pour permettre de vivre de sa passion "au Pays", et Jean-Paul Roux a fait partie de toutes ces aventures. Il suffit de voir le documentaire Le Fils de l'épicière, le maire, le village et le monde de Claire Simon - dont j'avais salué la sortie sur ce blog - pour comprendre combien la vie de la commune tournait autour de l'alliance de l'agriculture et de la culture, et comment l'amitié de ces deux hommes participait au développement de l'activité de cette localité.
La première fois que je me suis rendu au Festival, en 1995, j'ai tout de suite remarqué que les discours des officiels, le soir de l'inauguration, étaient bien ennuyeux! Le seul que je me suis mis à attendre, chaque année, était celui du plus petit élu le Maire. Jean-Paul Roux se livrait à l'exercice avec la modestie nécessaire quand on côtoie un Préfet, un Président de région ou même un(e) ministre de la Culture. Il le faisait avec une certaine insolence gouailleuse, un humour pince-sans-rire qui me réjouissait. Chaque année, il contait son bilan politique précis des difficultés de la vie d'un village, des changements qu'il souhaitait et se faisait - en homme de gauche - l'écho des revendications des citoyens. C'est dire que ses discours depuis 1989 s'améliorait, devenait plus revendicatif, fin et drôle au fur et à mesure des trahisons des politiciens, visiteur d'un soir qui eux avaient rempli les cases du discours administratif ronflant.
Je ne crois pas que Jean-Paul Roux se soit amusé autant que moi, quand Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture du gouvernement Fillon II avait tenu à venir en plein Festival. Monsieur le Maire avait alors des responsabilités à l'échelle nationale, tout faire pour que cela se passe le mieux possible. Les Renseignements Généraux estimaient que le Ministre avait pris un risque inconsidéré en venant visiter ce village de Gaulois réfractaire. Jean-Paul Roux avait trouvé - à la demande des autorités - un local pour cacher une belle délégation de membres du GIGN dont la visite témoignait de la stupidité et la lâcheté de l'administration et des dirigeants nationaux. Le village semblait à ce point dangereux que les policiers d'élite devaient se tenir prêt à intervenir en restant invisible à quelques dizaines de mètre seulement du Ministre. Il y aurait évidemment des centaines d'anecdotes à raconter sur la vie municipale...
J'espère que des jeunes gens, des thésards en Histoire, un jour écriront le récit à propos de ce village pour magnifier encore plus l'image de cet homme politique intègre, digne représentant de ce que la République permet de faire émerger de meilleur dans notre pays. J'entends derrière moi, comme son rire, et ses moqueries à propos de cette phrase que je viens d'écrire. Dirait-il que c'est une phrase de parisien?
Je ne l'ai pas bien connu, je l'ai croisé et l'ai salué à chaque fois que je suis passé dans son village, il avait toujours des formules, un mot personnel, une manière de vous rassurer sur le fait qu'il savait très bien qui vous étiez... Il ne le faisait évidemment pas par calcul, mais comme un humain normal - vous savez cette espèce en voie de disparition ! Il savait tisser les liens, faire conversation, écouter, entendre, dialoguer... Bref si tous les hommes politiques français avaient pu apprendre de lui... nous en serions pas là.
J'ai une pensée pour sa famille, ses amis et Jean-Marie Barbe qui dit avoir perdu son frère d'âme.