pol (avatar)

pol

Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

Abonné·e de Mediapart

676 Billets

1 Éditions

Billet de blog 7 janvier 2024

pol (avatar)

pol

Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

Abonné·e de Mediapart

Depardieu symptôme de la décivilisation.

Comment la controverse sur Gérard Depardieu, d'origine populaire, devient un révélateur précis de l'impensé d'un Président de la République

pol (avatar)

pol

Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
capture d'écran © France 5

Il est singulier de voir comme la petite routine de l'entre soi s'effondre quand la vie vient heurter les niaiseries débiter par des experts professionnels de l'euphémisme.

La vie, incarné par la chanteuse Lio, surgissant sur un plateau de télévision dans l'émission C l'hebdo, rediffusé ce dimanche sur France 5, à 12h35

La chanteuse Lio est venu traiter de « foutriquet » le Président de la République pour dénoncer ses propos en faveur de Gérard Depardieu. Elle précise « en même temps » que l'insulte vient de Michel Onfray. Elle est venu porter la parole des femmes qui s’élèvent contre le patriarcat, elle est venu appuyer toutes celles qui ont dénoncer Gérard Depardieu. Elle est venu parler de la souffrance des femmes et de la sienne, en particulier de « femme battue », et de la souffrance de ses enfants. Elle incarne tellement son point de vue, que les participants reste bouche bée.

Elle empêche Natacha Polony de débiter son petit discours stéréotypé, d'ordre moral, à propos de la «  présomption d’innocence » qui normalement fait taire. Et elle a beaucoup affolé la présentatrice de l’émission qui va se faire engueuler pour ne pas avoir tenu son plateau… C'est un moment rare de direct à la télévision, ce lieu de contrôle.

Mais le plus amusant c’est qu’elle s’en est pris à Jérôme Fourquet cet homme qui parle à l’oreille d'Emmanuel Macron pour lui souffler un concept qu’aucun des deux ne maîtrise: la décivilisation.

En effet cette séquence qui s'est déroulé sur le plateau de C l’Hebo, ce samedi 6 janvier 2024, aurait dû constituer un sujet d'étude pour Norbert Elias afin d'appuyer sa thèse sur « la civilisation des mœurs » d’autant que l’affaire Depardieu en elle-même est un parfait exemple de cela… Au delà des accusations de viol (que je veux en rien minimiser, voir par la suite), il me semble que toutes les polémiques tournent autour de  « ce qui ne se fait pas » Un  « monstre sacré » comme un Président ne devrait pas faire cela.

L’attitude de Gérard Depardieu  - qui pouvait apparaître dans les années 70 comme l'expression de la nature humaine, chez un homme séduisant et viril- se révèle "monstrueuse" aujourd’hui (même si évidemment  cela s'avérait scandaleux pour moi ou pour beaucoup à l'époque, même si les féministes le dénonçaient déjà; la Société -même s'il faudrait définir ce terme- l'admettait, ou taisait sa réprobation)
La « présomption d’innocence » - commentaire pour faire taire - n’est de fait qu’un argument partial et partiel face à la problématique générale de l’indécence des propos, gestes et violences de Gérard Depardieu.

Les règles sur lesquels se mettent d’accord une société civilisé apparaissent comme des normes de "bon sens". Or le modèle de ce qui est jugé convenable et inconvenable dans les rapports des personnes entre elles, change avec le temps, en deçà des règlements juridiques, des lois politiques, des normes morales et des commandements ou interdits religieux, règles régissant notamment tout le domaine de la sensibilité. La question des convenances n'est pas un débat juridique, ni même seulement moral. L'obligation d’être fort « civil » nous vient de loin.  C'est la Royauté, le Prince donc, qui a imposé à la Noblesse le parler, le vêtir, l’usage, les relations etc… Et par ruissellement, copie, imitation ces convenances ont glissés, en passant par les courtisans, aux bourgeois, puis vers la plèbe. Nous autre les gueux. La construction d'un "agir" commun à une civilisation.

La civilité vient de la courtoisie médiévale en vigueur dans certaines suites des grands féodaux. C'est une arme dont c'est servi ensuite le pouvoir Royale. La langue Française - par exemple - et son bon usage fut imposé par l'Académie, mise en place par Louis XIV. Le modèle vient des us et coutumes de la cour. Un modèle pour dominer le "parler" de l'écrasante majorité de la population.

L'étiquette qui manque tant à Gérard Depardieu aussi. Un vernis que sa basse extraction ne lui a pas permis d'acquérir par son éducation de base.

C'est la domination patriarcale, installé depuis probablement 12 000 ans qui continue à protéger - en partie - le fameux « monstre sacré » et pousse le Président de la République à faire une déclaration fautive.

Alain Bihr écrivait en 2014 dans revue ¿ Interrogations ? (N°19. Implication et réflexivité – II . Tenir une double posture , décembre 2014 https://www.revue-interrogations.org/La-civilisation-des-moeurs-selon) « Ainsi entendue, la civilisation a vocation à s’étendre à toutes les dimensions et occurrences des relations interpersonnelles et des existences individuelles. Elle concerne aussi bien les manières de table, les apparences corporelles et vestimentaires, l’hexis corporelle (les postures, la gestuelle, l’expression du visage, le regard, etc.), l’exécution par les personnelles de leurs fonctions physiologiques (soins corporels, gestions des excrétions, etc.) que les relations sexuelles et, plus largement, tout le champ des interactions quotidiennes entre les individus, impliquant règles de préséance, façons de se parler, etc. – en un mot, tout ce qui concerne le savoir-vivre dont elle entend fixer les règles. »
Si je cite cet article, c’est que c’est cela qui s’est joué sur le plateau de C l’Hebdo, une question de civilité. Normalement une invitée ne se met pas en colère, et ne dénonce pas les discourtoisies d'un « monstre sacré ». Lio, grâce à sa franchise, et son manque de vernis bourgeois, démontre l’hypocrisie de chacun sur ce plateau, bousculant le discours bien rodé et l’habituel ronron de l’entre-soi…

Elle vient témoigner remarquablement de sa vie, son expérience, toutes ces choses qui n'ont pas leur place à la télévision, puisque tout est habituellement policé. La fonction fondamentale des programmes de télévision tournant autour de la proclamation imbécile d'un bon sens commun et de la censure constante d'une pensée, ou d'une expression dissidente. La télévision matraque des fausses évidences, réprime, contrôle et propose comme l'Académie Française de Louis le quartorzième, le bien "parler", le bien "agir", le pré à penser obligatoire.

La civilisation c’est la « maîtrise de soi » de ses pulsions de ses émotions, et Lio si elle a témoigné avec émotions, reste dans les clous, en débordant tout de même le dispositif du petit spectacle de l'actualité… cette norme et que nous vivons comme un mensonge permanent. («Pourquoi perds tu ton temps à regarder tout cela Pierre Oscar?» me disent mes amis, « Pour savoir et comprendre où nous en sommes!»)

« Dans le rapport aux autres, la civilisation se définit donc négativement par l’exclusion de toute forme de violence, y compris la simple agressivité à l’égard d’autrui (si ce n’est dans les formes euphémiques de l’humour et de l’ironie), dans le but de parvenir à une société aussi pacifiée que possible. »

C'est donc bien qu'il n'est pas nécessaire d'attendre un verdict judiciaire pour exclure Gérard Depardieu puisque celui-ci ne sait même pas se tenir en public... On comprend bien dés lors que toute comparaison avec PPDA, Nicolas Hulot, Gabriel Matzneff ou tout autre personne n'a pas lieu d'être. Ces autres "présumés innocents" appartiennent au "beau" Monde. Si on parle de leurs affaires c'est qu'ils sont "à priori" multi-récidiviste.

Quand Valentine Oberti de Médiapart évoque « L'affaire Haenel » elle ne se rend pas compte qu'il s'agit d'autre chose. Si cette affaire devait être ranger dans le même sac, alors elle citerait le nom de l'homme accusé et pas de la victime. Cet homme là - qui comme Gérard Depardieu n'est pas né bourgeois, lui, a déjà totalement disparu, dans les mots, mais aussi socialement et professionnellement. La dénonciation a condamné icelui définitivement. Et je ne vais pas me contredire, en comparant cette affaire aux autres. Mais il est intéressant de noter que s'il est toujours question de la violence faite aux femmes dans tous les cas, l'agression d'hommes qui n'appartiennent pas à la classe bourgeoise, est jugé plus sévèrement par les journaux et les réseaux sociaux - ce qui ne préjuge en rien de leur culpabilité ou pas -. Le critère de classe à jouer contre Gérard Depardieu aujourd'hui, alors qu'hier, la chose se réglait par un simple « Tu le connais, c'est Gégé.» parce que le critère de la valeur marchande - pardon de notoriété - effaçait son appartenance à « la classe dangereuse.»

Illustration 2
Capture d'écran © France 5

Et Lio n'est pas non plus une représentante de la bourgeoisie, comme Sophie Marceau dont un témoignage - sortie des archives - était prévu dans le conducteur de l’émission. La toute jeune actrice - pressée par l'ordre économique et morale - se tenait bien sagement quand on lui demandait comment elle avait vécu le tournage de Police de Maurice Pialat avec Gérard Depardieu. Comment ruer dans les brancards? On se sent légitimement mal à l'aise en regardant cet extrait.  Lio réagit clairement en disait qu'elle n’y voyait que de « la souffrance ». Comme je n'ai vu que de la souffrance, à l'époque même, dans un long interview de décembre 1986, où l'équipe de Cinéma-Cinémas se moquait des "silences" de Juiliette Binoche à propos de ses vies amoureuses durant les tournages de ses films. On imagine que les intentions de ceux qui ont programmé cet extrait qui démontre la violence faite à Sophie Marceau par le dispositif même de la télévision n'était pas de le démontrer, ce qui a déclenché ce réquisitoire.

Norbert Elias - s'il avait été présent sur le plateau - aurait probablement démontré que le document de 1983, renvoyait à ce qui se passait sur la plateau aujourd’hui. Il faut pour parler « un haut degré d’autodiscipline » (d’auto contrôle et d’auto-contrainte). Après Metoo, une injonction ministérielle enjoint les femmes à s'exprimer, à porter plainte à s'autodiscipliner. Pourtant les moyens d’écoute manquent,  sans parler des capacités de jugement… Parce que partout le Patriarcat règne toujours et encore. Et il est donc toujours question d'abord et avant tout du contrôle de la parole. Dans notre société - autre exemple - l'inceste, la pédophilie reste une pratique, et jusqu'à présent c'est d'en parler qui choque.

Pour Norbert Elias la civilisation naît parce les féodaux (qui avaient tous les droits, dont celui de cuissage qui n’a jamais existé dans un texte de loi ou règlement) ont été domestiqué dans l'étiquette royale… Long processus de transformation et de régulation des mœurs. La généralisation des rapports marchands de la bourgeoisie implique forcément une contractualisation généralise des relations interindividuelles. 

« Dans la mesure où s’amplifie le réseau d’interdépendances dans laquelle la division des fonctions engage les individus ; où il s’étend à de nouveaux espaces humains qui se fondent, par les effets de l’interdépendance, en une unité fonctionnelle ou institutionnelle, l’homme incapable de réprimer ses impulsions et passions spontanées compromet son existence sociale ; l’homme qui sait dominer ses émotions et passions spontanées bénéficie au contraire d’avantages sociaux évidents, et chacun est amené à réfléchir, avant d’agir, aux conséquences de ses actes. Le refoulement des impulsions spontanées, la maîtrise des émotions, l’élargissement de l’espace mental, c’est-à-dire l’habitude de songer aux causes passées et aux conséquences futures de ses actes, voilà quelques aspects de la transformation qui suit nécessairement la monopolisation de la violence et l’élargissement du réseau des interdépendances. » (Élias, 1975 La Dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy. 195-196)

En d'autres termes, dans la société néo-libérale sachez dissimuler vos intentions pour imposer votre violence plus civilement.

Et donc pour en revenir au Président de la République, je disais dans un blog récent ( https://blogs.mediapart.fr/pol/blog/030124/la-fierte-francaise) que son propos n’était en rien contradictoire avec la loi sur l’immigration, en cela que les deux sujets lui étaient inspirés par l’extrême droite. On devrait comprendre que avec ces « en même temps » Macron ne peut que se noyer dans ses contradictions…

Illustration 3
Capture d'écran © france 5

Et le bon serviteur de l’État Jérôme Fourquet qui lui souffle un concept pendant un déjeuner à l’Élysée ne se rend pas compte que s’il y a « décivilisation » ce n’est pas qu’en le Peuple « commet » une émeute. En 1793 les députés républicains ont su écrire que c’était le plus élevé des devoir que de s’insurger pour défendre ses droits. 
Par contre, il n’y a plus aucune courtoisie médiévale chez Macron quand il défend contre tous sa contre réforme des retraites ou quand il fait passé une loi sur l'immigration, en niant toutes les analyses scientifiques, sociologiques, anthropologiques de toutes sortes sur celle-ci. Il n’y a plus aucune courtoisie médiévale, non plus quand le Président humilie en permaneKnce le Peuple par ses déclarations, provocations et des propos d’une arrogance déraisonnable… sans civilité.

Et je crois fort qu’il nous faudrait quelques sociologues et penseurs universitaires pour établir avec précision et pas avec des sondages que ce débat sur l'indécence de Depardieu - entre autre chose - est une véritable preuve de décivilisation… Non pas que ce serait les gueux qui seraient mal élevés par des parents défaillants (la seule explication en somme qu’aura trouvé l’exécutif pour expliquer les dernières émeutes) mais assurément parce que la mondialisation et la financiarisation du Monde a mené une infime minorité d’hyper-riches a avoir un pouvoir au dessus des États et au dessus de toute juridiction… La décivilisation viendrait, à mon humble avis, du fait qu’ils sont sans foi, ni loi et qu'ils font perdre leur âme à leurs serviteurs comme notre grand Président, en faisant depuis longtemps sécession...

Jacques Delors qui vient d’être honoré avec beaucoup de civilité ne disait pas autrement en parlant d’Emmanuel Macron.

Jean-Luc Nancy écrivait à propos du refus de Delors de se présenter aux élections présidentielles: « Il a donné congé, en effet, à ce qu'on appelle couramment la «politique politicienne», et qu'il faudrait plus justement nommer l'absence de politique. Il a rappelé qu'une politique n'est pas un discours, ni l'occupation d'un pouvoir, mais une volonté, c'est-à-dire la visée en actes d'une fin (quitte à déterminer, par ailleurs, comment cette fin doit être représentée pour ne pas engendrer sa propre terreur). Il a estimé que la situation lui interdisait l'exercice d'une volonté, parce que celle-ci ne peut pas naître du «miracle» d'un homme «providentiel»: il faut au contraire que la volonté soit déjà là, chez beaucoup, pour qu'elle puisse par elle-même susciter, former et distinguer des hommes capables de l'effectuer. »

https://www.liberation.fr/tribune/1994/12/22/jacques-delors-un-candidat-perdu_117665/?redirected=1

Il est bon d’entendre Lio gronder les petits valets de l’information et de comprendre que la lutte de libération féminine est un combat difficile et long, mais qu’elle peut se mener partout dans les rues, les cafés, les journaux par le débat et l’argumentation. Lio - comme une Marianne Républicaine - représente l'avancée de la civilisation, face à la pensée passéiste macronienne, mais surtout son propos doit nous rappeler que du temps des Lumières - dont parle bien mal le Président de la République - les esclaves n'apparaissaient pas dans les termes de la déclaration des droits de l'homme, qui ne parlait pas non plus des femmes. Le travail n'est pas terminé, et s'il fallait parler de décivilisation, ce devrait être un discours qui dénonce le processus de désengagement des hyper-riches qui quittent notre société pour faire bande à part. Les crimes d'écocides sont des crimes de serial killer.

https://www.france.tv/france-5/c-l-hebdo/saison-8/5568363-emission-du-samedi-6-janvier-2024.html

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.