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Billet de blog 7 mai 2014

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Une gigantesque explosion en Syrie

Il y a peu d'images sur le conflit terrible qui ensanglante la Syrie depuis bien trop longtemps. Le site du journal Le Monde montre deux images réalisées par la «résistance syrienne» sans trop les commenter.

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Il y a peu d'images sur le conflit terrible qui ensanglante la Syrie depuis bien trop longtemps. Le site du journal Le Monde montre deux images réalisées par la «résistance syrienne» sans trop les commenter.

http://www.lemonde.fr/proche-orient/video/2014/05/06/gigantesque-explosion-dans-le-ciel-syrien_4412514_3218.html

 On y voit deux prises de vue, à la suite, qui montre sous deux angles différents, la même gigantesque explosion. Les deux "réalisateurs" des plans, savent parfaitement bien ce qu'il va se passer. Ils cadrent précisément l'endroit, provisoirement calme, où va se produire quelques secondes plus tard l'explosion. Ensuite, les deux cadreurs, dont l'un était placé un peu trop prés, récitent les phrases consacrées. Si l'explosion a eu lieu c'est forcément parce que c'est la volonté du prophète.

Pourquoi j'écris cela ?  Le Monde aurait dû l'expliquer à ma place et ne pas proposer ces images avec comme seul commentaire des précisions factuelles. Est-ce qu’un journal, montrerait les images d’un meurtre filmé par un meurtrier ?

Cela n’a rien à voir, me direz-vous ? Ce sont des images de guerre !

Évidemment que cette explosion n’est pas considérée, par tous, comme un crime, mais mon but ici, n'est pas de juger l'image, mais de réfléchir sur sa production et son usage. C'est une une petite démonstration, à propos des images de guerre, de l'habitude que nous en avons et du peu de réflexions qu'elles génèrent.

Ces deux images montées, ici, bout à bout, comme deux plans appartenant à ce qu’on nomme rushs, sont présentées dans Le Monde comme des plans bruts. Mais, bientôt, ils pourraient être inclus dans un reportage, dans une continuité temporelle reconstituée... Pour des raisons de concurrence et de pratique journalistique constante (Notre équipe, notre émission, notre chaîne a ramené ces images pour notre audience) elles se retrouveraient dans le flot continu de l’information, et ne serait plus sourcées. On finirait par en faire un scoop, comme si ces images avaient été tournées par un reporter de guerre.

Et alors? Me direz vous.

Et bien ces deux images montrent bien que TOUTE image de guerre (ou la TRÈS grande MAJORITÉ) sont des images de propagande, fabriquée à cette fin, dans un but précis, avec un homme qui cadre avec une intention bien précise... Polémiquer sur le caractère posé ou pas d’une photo de Capa, pendant la guerre civile espagnole, par exemple, n’a pas de sens. Toutes les images sont issues d’un processus de fabrication, pour témoigner d’une réalité. Ces images dans un contexte précis montre clairement que tous ceux qui croient qu'il pourrait y avoir des images "innocentes" réalisées sur un lieu de conflit se trompent. Tous ceux qui pensent que certains plans sont manipulés se trompent, ils le sont tous, dans le sens où il ne peut y avoir une image d'explosion qui soit cadrée par hasard. La caméra arrive toujours trop tard (sauf chance incroyable, il y a toujours des exceptions à la règle) et la plupart du temps, les prises de vues sont floues, bougées et à peine utilisable. Ici, si le journal Le Monde n’avait montré qu’un seul angle, ont aurait pu croire que le plan était tourné par hasard. Mais on comprend bien que l’image participe de l’attaque. Je pourrait  même émettre l’hypothèse que celle-ci à lieu parce qu’il y a une possibilité de montrer cette explosion – sans trop de risque- à l’extérieur. L’impact de l’attaque militaire étant bien moins grande que l’impact politique de la diffusion de ces plans. On pourrait même penser encore un peu plus loin: le deuxième plan a été volontairement bougé, pour faire plus vraisemblable, plus filmé sur le vif? Peut-on dire que passer ces deux images dans un journal c’est participé à la cause ? Je le crois.

J'ai travaillé, il y a plus de dix ans, comme producteur à la fabrication d’une émission scientifique. Je voulais avoir un sujet sur un Congrès de scientifique qui se déroulait tout juste après la fin de la guerre en ex-Yougoslavie et j'ai donc engagé, par facilité, un jeune réalisateur bosniaque, récemment démobilisé, que j’ai envoyé à Sarajevo. Danis Tanović - qui n'avait pas encore tourné de fiction - m'a dit que pendant toute la guerre, il avait tenu une caméra Betacam, pour ramener des images à l'usage de l'armée Bosniaque. « Si je ne suis pas mort, c'est parce que je n'étais pas payé, je n'avais pas besoin de faire un scoop. Il est impossible de sortir d'une tranchée pendant un combat, toutes les images sont reconstituées » Depuis l’invention du cinématographe, la puissance de feu sur un terrain de conflit est telle qu’il est illusoire de vouloir survivre en tournant des images dans le feu de l'action. Quand Capa débarque avec la première vague d’assaut américaine le 6 juin 1944, il photographie peu, ces images sont floues et bougées, il réalise un exploit et fait preuve d’un courage exceptionnel.

Ici les deux plans ne sont pas faux ; ce n'est pas une explosion reconstituée, ceux qui tiennent la caméra, font partie de l'équipe qui a creusé le tunnel pour atteindre le dépôt de munition et dont l'un des membres pousse sur le détonateur.

La déontologie journalistique est emportée depuis bien longtemps par le besoin vital pour la profession de fournir, en images, la vorace information.

On devrait toujours pouvoir connaître le nom du caméraman pour avoir une image indépendante de toute manipulation. Quelquefois dans le cinéma soviétique on sait le nom de l’opérateur de guerre, pourtant on continue à dire que les films soviétiques sont d'affreux montages propagandistes. Pourtant l'authenticité des images de guerre, ne provient que du fait qu'ils ont été tourné à l'époque. Ceux qui écrivent que c'est une preuve de manipulation si la libération d'Auschwitz a été filmé dans une mise en scène des opérateurs russes, n'ont rien compris à la production des images de guerre... Le groupe de soldat qui plante le drapeau sur Iwo Jima, comme les quelques-uns qui plantent le drapeau sur le Reichtag, sont réellement des figurants qui rejouent la scène quelques heures après.

On aimerait connaître le nom de chacun, comme acteur. Le film de Clint eastwood, Flags of ours fathers, parle déjà dans son titre de plusieurs drapeaux montés en haut du sommet d'Iwo Jima. Et ce film est une magnifique démonstration à propos de la fabrication et de l'utilisation d'une image de propagande.

Donc ici on aimerait connaître les noms des héros syriens, ceux qui ont fait explosé le dépôt. On devrait aussi savoir le nom des individus morts dans cette explosion, ce serait justice, et quand on connaîtra, l'âge, la profession et le nom de chaque victime, durant chaque guerre, on entrera enfin dans un monde civilisé... Mais probablement quand on arrivera à ce stade de civilisation, il n’y aura plus de guerre.

C'est pourquoi on a tellement besoin de monument pour ce souvenir de tout ceux qui sont la plupart du temps mort pour rien?

C’est pourquoi on aimerait ne jamais entendre parler de chiffres sans que les personnes ne soient pas identifiées. On ne voudrait pas voir des images d'explosion sans un minimum d'information. La fragilité de l’existence humaine et le prix d’une vie ne seraient plus banalisés.

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