Ce lundi, je voulais parler du spectacle de la conférence de Copenhague. Mais j'ai regardé le docu-fiction de Jean-Xavier de Lestrade sur France 3. Un chef d'oeuvre de compréhension. Les témoignages des protagonistes de cette affaire viennent ponctuer une mise en scène du procès qui reprend le texte même de l'audience. C'est un travail remarquable, intelligent, fin qui montre une fois de plus que le Monstre n'existe pas. Les mères indignes, les pédophiles sont d'abord des victimes.Chacun a entendu parler de l'affaire Courjault, cette femme qui avait caché à son mari trois grossesses et trois infanticides. Le fait-divers avait fait la Une des journaux télévisés ou autres. J'avais regardé distraitement, pas vraiment concerné. Je me souviens avoir pensé qu'elle devait être vraiment cinglé. Je n'arrivais pas à envisager que son mari eût pu être dupe. Je ne m'étais pas posé plus de questions. Je pestais machinalement contre les simplifications des journalistes, et contre cette justice qui clouait au pilori une sorcière moderne. Mais je n'avais pas vraiment d'argument, et surtout cette affaire est passée, comme le reste, dans le tourbillon du spectacle.
Le docu-fiction Parcours meurtrier d'une mère ordinaire: l'affaire Courjault étonne parce que pour une fois à la télévision, un réalisateur réussit à nous montrer que tout n'est pas si simple. C'est le fonctionnement de la police, de la justice et des médias qui fabriquent les monstres. Les débats autour des premières déclarations de l'accusée, devant les policiers, sont, de ce point de vue, tout à fait exemplaire. Pendant tout le film, le président du tribunal - c'est le texte du procès - renvoie Véronique Courjault à la construction des enquêteurs. Ses réponses sont dictées par le bon sens des policiers qui ne correspond en rien à la psychologie de l'accusée. Jamais un film n'a montré aussi bien que rendre la Justice c'est bâtir une histoire, une fiction. Et que cette fiction devient la vérité. Dans le cas de Véronique Courjault, le film montre qu'elle ne peut jamais dire sa vérité parce qu'elle ne sait même pas ce qui l'agite.
Le procés mis en scène accouche d'une certaine vérité qui à force d'être particulière devient universelle. Cet assassin est une victime. Nous sommes si loin du discours sécuritaire ambiant.
Dans une réalisation extrêmement intelligente, qui organise la représentation - Jean-Xavier de Lestrade nous fait comprendre - en partie - la raison de ces meurtres.
Je ne vais pas rentrer ici dans les détails de la psychologie de Véronique Courjaut, mais ce que je dois en dire - c'est une obligation bizarre- c'est que le réalisateur a parfaitement démontré que celle qui nous était présentée comme une personne monstrueuse, n'était qu'une fille perdue, dont le crime, venait d'une histoire longue, d'un destin terrible que chacun pouvait comprendre, si seulement on prenait le temps, et on y mettait des mots. Plusieurs générations de femmes, plusieurs destins de souffrance, avaient accouché de cette personne absente de sa vie. Jean-Xavier de Lestrade a réussi avec la mise en scène de fiction a construire un portrait de la réalité qui nous fait toucher du doigt la manière dont cette femme ne pouvait échapper à son cauchemar. S'il y avait toujours un documentariste talentueux à chaque audience pour filmer le théâtre de la justice où le monstre est exhibé, il n'y aurait plus de condamnés.
Quand on voit ce film, on mesure l'abîme qui sépare la compréhension, et la justice. Ce film dénonce, sans jamais l'affirmer, toutes ces peurs agitées en permanence, toutes ces haines facilement fabriquées. Ce film profondément politique oblige certainement chaque spectateur à se repositionner lui-même par rapport à la manière dont il incarne sa vie. Une histoire aussi étrange quand elle est disséquée de cette manière raconte tout sur nos amours, nos peurs, notre sexualité. Nous sommes tous à un moment comme Véronique Courjaut des taiseux, perdus dans nos silences, notre aveuglement.
L'actrice Alix Poisson est d'une justesse assez prodigieuse. Les cadres et notamment les jeux de miroirs avec la vitre qui sépare l'accusée du prétoire sont extrêmement subtils. La modestie du dispositif est formidable. Dommage que je n'aie pu voir ce film avant pour vous conseiller de le voir.