Mon second fils part en Australie, là où des dizaines d'incendies dévorent des vies, des villages. Les journaux parlent d’enfer, alors que c'est la nature qui nous rappelle à l’ordre.

Il va se retrouver dans la canicule du siècle. Jusqu’à 46° à Melbourne. Des feuilles qui tombent des arbres en plein été, des voies ferrées tordues par la chaleur
Il part pour 1 an, terminer ses études, un master en environnement.
Là-bas, il y a du travail pour prévoir et prévenir, puisque la plupart des villes et des industries sont concentrées sur la côte : l’élévation du niveau des mers qui a commencé et les tempêtes qui s’annoncent, pourraient inquiéter à juste titre. L’Australie émet plus de dioxyde de carbone par habitant que n’importe quel autre pays sur terre, et est-ce justice, c’est le continent, pour l’instant, le plus touché par le dérèglement du climat ?
Je devais simplement être fier du succès de mon garçon, de la réussite de ses études et pourtant… Je ne peux pas m’empêcher de me sentir coupable. Depuis sa prime enfance (il est né en 1986) il m’a toujours entendu parler de la catastrophe qui venait, aujourd'hui nous y sommes. Il avait 5 ans quand je me suis lancé dans un film sur la voiture électrique révolutionnaire : la Smart. Vu la frilosité des constructeurs automobiles, la voiture roule, aujourd’hui, à l’essence. Le film n’a pas vu le jour, mon commanditaire, qui dirigeait et finançait l’élaboration de la voiture, n’a pas voulu que je décrive ce qui c’est transformé en un échec, une tâche sur son image de marque.
Quand j’ai commencé à réaliser et produire Archimède(s), mon fils avait 8 ans. Il voyait bien comment j’avais du mal à faire réaliser des sujets sur le dérèglement climatique. Le responsable d’ARTE ne voulait pas que je fasse de l’émission un lieu où je règle mes comptes personnels (sic). Le réalisateur qui me remplaça quelques années plus tard m’a confié ensuite que lui aussi il avait ressenti cette impression incroyable du poids des responsabilités qui s’abattent sur vous quand vous êtes en charge un magazine de vulgarisation scientifique. Nous avions découvert la complexité et l’urgence de ce problème (et d’autres notamment sanitaire) , et c’était si difficile de pouvoir réaliser des sujets fiables et compréhensibles. Comment choisir de parler d’autres choses dans ce genre de magazine.
Je me souviens de l’incrédulité de tous, alors que dans un pays comme l’Angleterre, la prise de conscience était déjà réelle.
Dans le train du retour du festival documentaire de Lussas, mon fils - qui m’avait accompagné - me dit tout à coup : J’ai bien compris ce qui se passe, c’est très clair, mais qu’est-ce que moi je peux faire, je suis totalement inutile et impuissant , comment agir ? Il avait 17 ans. J’avoue que je suis parti dans un discours philosophico cul cul à propos de l’impact de chacun et des petits ruisseaux qui font les grandes rivières… Si chacun faisait sa révolution personnelle, l’action commune seraitpossible. Je m’en voulais, pendant que je parlais d’avoir contaminé mon fils avec tous ces cauchemars. Il est toujours aussi inquiet. Je lui ai passé cela comme un virus, une maladie.
Lui qui est tellement doué pour la musique, la sculpture et le cinéma, voilà qu’il se décide concrètement à travailler la question que je n’avais faite qu’agiter…
C’est peut-être aussi cela, la transmission paternelle ? Je devrais être heureux
Moi qui est toujours cherché à laisser libre mes trois garçons, qui me suis efforcé de ne surtout pas projeter sur eux, une quelconque ambition, une quelconque image de leur avenir. Je suis étonné de la continuité entre leurs choix de vie et ma manière de voir le monde.
Je me dis que ce n’a pas été facile pour eux d’avoir un père comme moi, et pourtant...
J’ai toujours pensé faire des enfants, permettait d’avoir de belles surprises. Le choix de mon second fils m’enchante (ceux des deux autres aussi mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui)
Il me demande si je ne suis pas inquiet de son absence pendant un an. Et, par pudeur, je ne trouve pas les mots pour lui dire à quel point cette inquiétude légitime est petite, en face de la satisfaction de le voir s’engager de la sorte. Pourquoi est-il si difficile de dire à ses enfants qu’on les aime ?
Il ne veut pas que je parle de lui dans ce blog, c’est pourquoi, j’ai négocié hier de ne pas donner son prénom et également de ne pas montrer une image complète de son visage.
Dans tous les cas, grâce aux effets de la crise économique, du dérèglement climatique, et de l’incurie de nos gouvernants, j’ai bien peur qu’il soit obligé d’être à la fois, ingénieur et artiste, juste pour joindre les deux bouts.