Une fois n'est pas coutume, je vais vous parler un peu de mes petites activités. En août 2008, j'ai écrit un scénario pour mon camarade Fred Peeters. Je l'ai rencontré après la lecture de Pilules Bleues. Il a bien accepté de créer la BD. Il n'a fallu qu'une SEULE journée pour que les éditions ATRABILE décide de publier le bouquin, à la lectuer du scénario. Fred a un talent extraordinaire, celui de glisser de l'humanité dans chacun de ces moindres croquis.
http://www.du9.org/spip.php?page=breves
http://www.actuabd.com/+Une-exposition-en-prelude-au+
Pourquoi écrire une histoire ? Je n’écrirais certainement pas une thèse pour comprendre le processus. Pourtant j’ai quelques indices pour expliquer la naissance de cette histoire-là. Un récit que j’ai fait un jour à Fred dans un café parisien, pour le convaincre de la dessiner. C’est une histoire un peu particulière qui me trotte dans la tête depuis assez longtemps.
Je crois que c’est le lieu qui a été le point de départ : la plage de Gulpiyuri, prêt du village de Naves, dans le Consejo de Llanes, une région particulière de la province d’Oviedo, dans les Asturies, en Espagne. Cette plage existe réellement, c’est un lieu assez incroyable, un lieu magique, comme une cage de zoo particulièrement bien aménagée. Un piège à touriste.
Écrire l’adresse de cette plage, c’est déjà comme réaliser, mentalement, un long zoom avant de cinéma, qui partirait d’une image prise par satellite. Souvent les films d’aventure Américains débutent ainsi.
Je n’ai jamais aimé les zooms, je préfère les travellings, les mouvements de grue. Une case de Bande Dessinée, cela ressemble à un plan fixe. Pourtant je trouve que Fred arrive bien à dessiner des plans à la louma[1]. Une planche de bande dessinée cela laisse la liberté au lecteur de réinventer les mouvements. De fait - même si cela ne se dit plus - le lecteur, comme le spectateur de cinéma ou le téléspectateur projette au moins autant – ses sentiments, son inconscient - sur l’image que l’image envoie un message sur la rétine de l’observateur. Mais je ne suis pas là pour écrire une thèse sur l’avenir du spectacle, juste écrire comment cette histoire est née.
Depuis l’âge de 3 ans et demi, toute mon enfance, j’ai passé mes vacances d’été, dans les Asturies. Mon père évadé de France en Janvier 1943, pour rejoindre l’armée de libération nationale en Afrique du Nord, avait curieusement décidé, après cette aventure que c’était Franco qui lui avait sauvé la vie. Cette manière de considérer son destin, m’a toujours paru surréaliste.
Vous pourriez croire que c’est une nouvelle digression de ma part, mais pourtant cela a une grande importance pour la naissance de cette histoire. Si mon père n’avait pas survécu à la destruction des juifs d’Europe, il n’aurait pas rencontre ma mère à Bruxelles, nous ne serions pas allé en vacances dans les Asturies, et je n’aurais pas écrit cette histoire-là. Lorsqu’en novembre 1943, mon père est arrivé au Maroc, il a voulu s’engager comme officier parachutiste dans l’armée Française. C’est un détail particulièrement oublié aujourd’hui, mais les lois raciales de Vichy avaient laissé des traces. Un Juif en Afrique du Nord, à cette époque, était considéré comme un indigène, au même titre qu’un Arabe ou un Berbère. Mon père n’a pu être officier. Le racisme à cette époque régnait dans toutes les armées. Il choisit de rejoindre l’armée américaine, au lieu des troupes françaises. Sa parfaite connaissance de l’Anglais lui permit de devenir interprète. Et après de nombreuses péripéties, il accompagna la formation des photographes de guerre. Il devint lui-même photographe à la libération, pour l’Associated Press, et c’est un de ses collègues américains qui lui parla des Asturies. Et c’est ainsi que nous avons connu cette drôle de terre coincée entre la montagne et la mer.
Bizarrement, nous allions nous baigner toujours aux mêmes endroits et je n’ai connu la plage de Gulpiyuri qu’à 17 ans, la dernière année où je suis parti en vacances avec mes parents.
J’avais très envie d’y faire un film, mais je n’avais pas d’histoire. Quand j’étais à l’I.D.H.E.C. quelques années plus tard, j’ai eu envie d’aller tourner en Asturies, mais je n’avais pas d’histoires.
Et puis j’ai oublié la plage.
C'est seulement en 2004, pendant des vacances, que j'ai filmé la plage pour pouvoir la montrer à Fred. Ce sont ces images qui m'ont permis de fabriquer un film ce mois d'août avec Stéphane Foucault, le monteur qui me supporte (heureusement ce n'est pas le seul). Et Jean-Guy Veran, de MAC TARI mixait hier encore le film que nous montreront demain dans l'exposition qu'Alexandre Brachet nous offre chez Upian. MERCI à tous.
Depuis très longtemps j’essaye de réaliser des documentaires sur le dérèglement climatique. Les chaînes de télévision n’en veulent pas. Il semble que le caractère anxiogène du sujet inquiète mes interlocuteurs, si c’est moi qui réalise (j'aime avoir une précision scientifique). La disparition des espèces me préoccupe également. Je suis assez étonné par le déni général. Nous sommes rentré dans la sixième extinction. Il y a 65 Millions d’années les Dinosaures ont disparus de la surface de la planète. Toutes les espèces aujourd’hui sont menacées. Difficile de prendre conscience de la catastrophe. C’est une question d’échelle de temps. La disparition des espèces ne se mesure pas à l’échelle de notre vie, mais à celle de l’espèce. Les temps géologiques ne mobilisent pas grand monde. Pourtant notre espèce est menacée.
J’ai réalisé, il y a quelques années une série de court-métrage sur la plongée dans l’infiniment petit. Le spectateur passait de l’échelle 1 à l’échelle 10-9. Relief de l’invisible que j’aurais préféré appelé Entrée en matière est un voyage dans l’échelle de l’espace. Dans notre histoire c’est l’échelle du temps qui est bousculé.
Cette histoire est né de ces éléments-là. Un jour, l’idée m’est venue d’écrire le récit d’estivants coincés sur une plage, perdus dans une dimension de l’espace où le temps aurait changé d’échelle. L’histoire n’est pas venu d’un long processus intellectuel complexe. L’histoire s’est imposée à moi, presque totalement constituée. Si je me suis raconté cette petite histoire, comme dans un film de Luis Bunuel, l’Ange Exterminateur, j’ai toujours eu le sentiment qu’il fallait raconter cela en Bande Dessinée.
Déjà une journaliste qui m’interviewait à propos de la BD, voulait me faire avouer que je m’étais inspiré de la série Lost (dont le seul rapport est que cela se passe aussi sur une plage – mais la notre de plage est une plage sans ouverture, une drôle d’aberration naturelle), déjà elle voulait nous faire avouer un rapport à la culture américaine, mais non !
Certain on cru que je recyclais un scénario de cinéma, mais peu connaisse ma carrière de dessinateur. Ce scénario a été écrit pour Fred. Si j'avais écrit un film, je l'aurais fait tout à fait autrement, parce que la BD et le cinéma cela fait 2.
Juste une dernière anecdote. Mon père a donc été un combattant pendant la guerre. Sa famille a été arrêtée par la gestapo en 1944, suite à l’imprudence d’une de ses sœurs. Mes grands parents et une de mes tantes ont été gazés à leur arrivée à Auschwitz dans un des derniers convois. La légende familiale veut que la famille s’engueulait jusque dans le wagon de déportation. Souvent j’ai l’impression que dans notre existence nous ne nous intéressons pas à l’essentiel.
J’avais écrit ce texte pour expliquer mes intentions aux personnes qui ont la charge de distribuer le livre. Je ne voulais pas enfermer le lecteur dans une interprétation. Je ne pensais pas que ce texte serait publié…. Il l’a été, avec un accord mou, de ma part. C’est bien aussi qu’il soit intégralement publié ici.
Je profite de ce billet pour indiquer que le portrait qui illustre ce blog a été réalisé par Fred, il y a un petit moment.
[1] Grue de prise de vues à laquelle est fixée une caméra, film ou vidéo, munie d'un système de contrôle à distance.