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Billet de blog 9 novembre 2017

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Grenier disparu

Roger Grenier, est mort le mercredi 8 novembre 2017 à l’âge de 98 ans, je l’ai connu un peu, pas très longtemps, mais ses livres accompagnent ma vie depuis ma prime adolescence. C’était un homme réellement extraordinaire, extraordinaire, jusqu’à l’effacement, jusqu’à la modestie. Il avait je crois tout compris.

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Illustration 1
10 novembre 2011, à son domicile. © Pol

Roger Grenier avait, je crois, en lui, une violence formidable, dont bien peu de gens ont eu conscience. Le petit homme mince, aimable était un anarchiste prudent, un révolutionnaire élégant et calme, qui pouvait assassiné en trois mots telle ou telle célébrité du monde littéraire. Et puis comme pour s’excuser de sa saillie, il reprenait de sa voix douce un récit plus policé. Il avait tout lu, rencontré tout le monde, il avait eu des amitiés incroyables. C’était un puits de culture et il était d’une modestie à toute épreuve. Au détour d’une conversation banale, il sort une photo prise à la Libération. « Nous étions 8 et nous avons pris d’assaut, l’Hôtel de ville de Paris!  Cette photo a été réalisé après avoir conquis le bâtiment.» Il désigne un homme assis de dos, à droite. « Je suis là, forcément de dos!» Il rit de bon cœur, comme si tout ceci était une blague enfantine, une pure fiction.

Il a écrit une nouvelle qui me hante littéralement. L’apparition de la vierge à Lourdes serait dû à la rencontre d’un officier de hussard (si ma mémoire et bonne) et d’une dame de la haute société. La dame surprise, ainsi, à l'écart, en bonne compagnie, se serait enveloppé dans les draps apportés là, pour la circonstance, et serait apparu aux enfants pour les chasser de façon et reprendre ses ébats. Je résume, sans donner le titre de l’ouvrage, pour que vous alliez le chercher et le lire. Je lui ai posé la question, sur son écriture fine et précise, et il m’a répondu à ma grande surprise qu’il n’avait rien inventé, que c’était un fait historique, qu’il y avait même un article dans les journaux de l’époque quand l’apparition avait été homologuée… Que tous les militaires savaient et rigolaient bien…

Il avait une manière si naturelle, si parfaite, si calme de raconter les choses – sauf quand quelque fois nous avons parlé politique – . Il ne se vantait de rien, quand il citait quelqu’un ce n’était pas le « Name droping » de nos contemporains, il parlait de personnes qu’il avait rencontrées et d’amis dont il avait gardés des photos intimes – réalisées par lui-même- durant des années. Il ne disait pas grand-chose, par pudeur, par discrétion, parlant plus facilement du chien sur la photo, plutôt que des questions intellectuelles.

Bref si tout les gars du monde étaient comme Roger Grenier, il régnerait la paix, l’égalité, et le partage, je crois.

Pourquoi j’écris sur un homme que j’ai si peu connu?  C'est parce que je voudrais aussi en même temps raconté, un histoire et rendre hommage à mon copain Nicolas.

Quand j’étais collégien, j’étais tout à fait solitaire, je n’avais pas d’amis, peu de famille (ils étaient pour la plus part d’extrême droite) et je vivais dans une sorte de désert de liens sociaux. Je me rendais au Petit Lycée Condorcet. De l’âge de 10 à 14 ans, l’enfermement a été preque complet sauf la période courte de mai 68, et quand je discutais avec quelques rares copains, dont Nicolas.

Je n’avais juste qu’à traverser la rue de Parme – mes parents habitaient dans l'immeuble au coin de la rue d’Amsterdam -. Je pouvais m’arrêter au kiosque à journaux, une fois par semaine pour m’acheter Spirou, avec mon argent de poche, puis Pilote (la somme était mangé en une fois). Et puis je descendais quelques mètres, moins de 30 enjambées, je traversais une autre fois une rue, sous l’œil vigilant d’un contractuel, et j’étais arrivé. Ma mère de la fenêtre du troisième étage, me surveillait elle aussi. Je suppose que ce carcan était rassurant, même si totalement étouffant. Aucun moyen de m’échapper! Docile je lui faisais même des signes de la main. Elle était asthmatique, gravement malade, et déjà la station debout, à la fenêtre, en cas de crise, lui était pénible.

Au Petit Lycée Condorcet, non mixte, je retrouvais des fils de bourgeois pas très sympathiques. Quelques-uns de mes professeurs, en sixième, nous frappaient souvent, à la règle, à la main, avec ce qu’ils trouvaient… J’avais dix ans, nous étions en 1965. C’était presque normal. Mon père caressait l’idée d’avoir le droit de vie et de mort sur mon existence. Ma mère avait peur de lui, pour des tas de raisons que je ne raconterais pas ici. C’était une autre époque, patriarcale, ancestrale, tordue, sombre. Les lois d’André Malraux n’avaient pas encore réussi à débarbouiller la noirceur des façades. Je n’ai que des souvenirs si gris. Il paraît que cela s’appelle « Les Trente Glorieuses ».

En Cinquième, je n’ai aucun souvenir, rien, on avait cessé de me battre… jusquà ce que je rencontre, dans ma classe, un petit bonhomme, un garçon au regard noir et à l’esprit frondeur qui se prénommait Nicolas. Je crois me souvenir d'avoir été dans sa classe deux ans de suite, en 66 et 67. Je l’appelais Grenier, de quoi se moquer. Mais nous nous appelions tous par nos noms de famille. Il avait un avantage certain : son père l’aidait pour les devoirs. Les coups de règles de Romieu - en sixième, mon professeur de latin, dont même Jacques Dutronc s’était plaint dans une interview - m’avaient laissé de telles traces. Nicolas Grenier apparaissait comme un sauveur. Je n’ai pas été ami avec lui par intérêt, mais simplement parce qu’il n’y avait personne d’autre d'aussi barré que moi, qnous nous emmerdions ferme,  nous regardions tout cela avec un certain détachement. Nous avions quelque chose en commun, nous pensions que tous ces profs étaient des bouffons. Et puis ils avaient enseigné, pour la plus part, du temps du Maréchal ? Non? Je me souviens de son rire, de nos rires. Je me souviens de sa grande bouche et de sa manière narquoise de se moquer de tout. Je me souviens des ces cheveux noirs épais, déjà longs.

Et puis, nous avons été séparé, il a été affecté dans une autre classe, mais nous étions assez copain, pour avoir une relation épisodique qui continuait. À noël 68, je passais mes vacances avec mes parents à Moriond, et lui à Méribel, deux villages à un bout des trois vallées. Et oui mon père, Alsacien, avait toujours été skieur, et nous passions des vacances là-bas, bien avant que le boom des stations de ski démarre. Le père de Nicolas possédait un chalet, je crois. Et Nicolas et moi, nous nous sommes retrouvés sur les pistes, pour passer la journée à enfiler les descentes. On faisait les trois vallées dans tous les sens. Les descentes étaient si courtes, qu'on prenait plutôt les télésièges pour discuter. C’était mes journées de liberté qui m'ont fait comprendre que mes parents ne me surveilleraient plus. Ils s’en foutaient, c’était en décembre, après mai. Nicolas skiait mieux que moi. Beaucoup plus petit, râblé, il encaissait les bosses et négociait facilement les pistes noires qui m’inquiétaient encore. Je me souviens très bien de sa concentration, des skis qu’ils tenaient si impeccablement serrés, un pro. Je me souviens de son air farouche quand il dévalait la pente pour m'attendre un peu plus loin. Nous discutions beaucoup, toujours de politique. C’était depuis longtemps l’époque. Lui était vraiment engagé déjà, malgré son jeune âge, et il se déclarait anarchiste, individualiste et violent. Moi j’étais bien moins décidé. Le Parti communiste, c’était l’extrême gauche, c'était des staliniens, c’est dire que je cherchais plus loin…

Je ne sais plus quand, cela lui est arrivé, en 69, c’est très flou dans mon esprit, il n’est simplement plus venu au Petit Condorcet. Je ne l’ai plus vu dans la cour. Il a disparu.Et je me souviens même d’avoir traîné devant son immeuble boulevard de Denain, en face de la Gare du Nord, à attendre qu'il descende, comme j'avais déjà fait - en pure perte - pour une fille un jour. Même avant 68, Nicolas, tous mes copains, nous étions très secret, il ne venait pas chez moi, je ne suis jamais monté chez lui. Je le raccompagnais quelque fois jusque devant sa porte, pour causer en route. Il me disait : « Je retourne en enfer, ma mère n’arrête pas de gueuler ! » Je racontais les pires horreurs sur mes parents. Nous n’avions pas échanger nos numéros de téléphone, notre amitié était secrète nous étions des résistants d’opérette. J’ai dû demander quelques jours plus tard, à quelqu’un de l’administration du Collège ce qu’il était advenu de Nicolas Grenier. La personne a dû me répondre sans ménagement pour me faire la leçon. Le groupe que Nicolas suivait avait occupé Jussieu, avec d’autres mouvements anarchistes ce printemps-là… Les CRS les ont encerclés sans leurs laissés une porte de sortie. Il a pris une grenade lacrymogène en pleine, tête. J’ai cru à l’époque qu’il avait perdu un œil. Et que toute sa vie s’était jouée-là, probablement. Je me suis dit que je ne le revérais plus, j'ai dû retourné discuté avec mon copain communiste (il l'était à dix ans, il l'est encore et je suis toujours désagréablement critique avec lui, alors que je devrais comprendre que c'est sa manière d'être fidéle à ses racines juives polonaies. Je sais pourquoi, je me suis toujours senti coupable de ne mettre jamais exposé comme Nicolas… Et une partie de mon comportement d’adolescent, avec mes lâchetés et mes bravades proviennent de cette histoire que je n’avais jamais pu digérer. Je n’ai jamais pu lui témoigner mon amitié, mon émotion. On s’est perdu comme çà sans préavis.

Beaucoup plus tard, en 2011, j’ai rencontré fortuitement, chez Gallimard, son père, l’écrivain Roger Grenier.

Enfant, Nicolas, me l’avait énoncé, mais cela ne semblait pas si impressionnant, d’autant qu’à l’époque de notre rencontre, il n’en avait écrit qu’un : Le Palais d’hiver. Pour moi, à cause du latin, il était plutôt professeur et journaliste. Mon père était aussi journaliste, mais reporter photographe dans une agence et il parlait des tartineux quand il évoquait ses collègues maniant le stylo. Je pensais – à tort - qu’il devait être écrivain, comme certains vont à la pêche. Nicolas n'en tirait aucune gloire. Écrire à cette époque, ce n’était pas une valeur pour moi. Est-ce que nous savions que Roger Grenier avait été résistant? Nicolas ne m'en a jamais parlé. 

Même si chez moi il y avait des livres en pagaille, c’était plutôt des livres d’images. Je me souviens d’avoir lu aussi, un peu plus tard, par curiosité, Ciné-Roman, Prix Fémina en 1972,  et d’avoir continué de lire réguliérement, par fidélité, des ouvrages de Roger Grenier que je mettais au pied de mon lit.

Mon père est mort le premier avril 2010, le jour de son anniversaire et du mien. J’ai filmé son dernier repas. Je devrais être entrain encire de faire ce film sur cet individu bizarre qui a réussi à être à la suite, membre des jeunes Pétainistes – sous une fausse identité – et évadé de France, puis combattant de la France Libre, mais chez les américains. Un homme qui ne m’a jamais vraiment éduqué, et qui est mort pas forcément apaisé.

Cherchant à travailler à propos de mon père je suis tombé sur le dernier livre de Roger Grenier, à l'époque, Dans le secret d’une photo. Et je l’ai lu d’une traite, dans le seul but de regarder comment cet écrivain dont je connaissais la simplicité du style se débrouillait pour décrire une photographie. C’était pour moi le modèle que je cherchais. J’ai lu le livre avec attention, pour en tirer un enseignement sur le film que je voulais réalisé à propos de mon père. Et puis très vite je me suis dit que Roger Grenier était quelqu’un d’infiniment précieux et que je me devais de faire un film sur lui. Je n'ai pu finaliser aucun de ces deux projets parce que produire un documentaire finit par être un enfer pour moi.

Comme je travaillais, en 2010, 2011, sur une série de film scientifique avec Gallimard, je n’ai eu aucun mal à rencontrer Roger Grenier. Je me souviens très bien de ce premier moment passé ensemble. Il est venu à la fin de l’entretien que j’avais dans un de ces bureaux étroits. Je me suis levé et je lui ai dit : « Bonjour Monsieur Grenier, je suis heureux de vous rencontrer enfin. Quand j’étais collégien c’est vous qui me faisiez tous mes devoirs de latin, et je vous prie de m’excuser d’avoir attendu tout ce temps pour vous remercier. » Il n’a évidemment pas compris ce que je racontais. Et je me suis expliqué, et ensuite je lui ai demandé « Et comment va Nicolas? » avec une voix peu assuré. Alors, il m’a répondu d’une façon incroyablement calme, mais très pudique, qu’il était mort, au alentour de son quarantième anniversaire. Plus tard chez lui, il m’a décrit toujours sans aucun pathos les blessures causées par la grenade lacrymogène : comment Nicolas avait perdu, non pas son œil, mais la plupart de ses dents. J’ai vu, sans que rien n’en soit dit, comment les cicatrices disparaissaient sous une petite barbe et une moustache rare. J’ai compris de quoi, plus tard, il était mort, mais tout cela, à demi-mots. Sur les photos j’ai retrouvé le visage de mon copain qui riait encore à gorge déployé. Un courage, une honnêteté de père en fils. Roger Grenier riait aussi beaucoup, mais forcément avec un peu plus de nostalgie.

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