Paul Jorion, encore une fois a produit un texte surprenant. Je parle souvent de lui, et je m’attendais à ce que quelqu’un - dans la communauté Médiapartienne – s’empare du sujet. Personne, ici, à ma connaissance, ne commente cet article excellent ! Je vais avoir l’air d’être un fan, un inconditionnel, tant mieux ! C’est trop savoureux ! Dans cetexte publié dans le Monde daté du 9 et 10 Janvier 2012, Paul Jorion révèle que la règle d’or est une invention Française et que c’est juste une blague. Cela me paraît assez important pour que cela soit repris.
Ce qui fait la Une de l’information depuis des mois, avec la baisse de la note de la France, le triple A - qui était peut-être aussi une taquinerie - la règle d’or est une blague de potache. On a vécu avec ces deux feuilletons pendant des semaines, et ce serait donc pour rien ?
Étienne Klein – ce génial physicien pédagogue – en compagnie d’un pianiste Jacques Perry-Salkow, nous décryptent, eux aussi, le sens caché du monde, dans un ouvrage tout entier consacré aux Anagrammes renversantes. Vous savez, l’anagramme consiste à mélanger les lettres d’un mot, d’une expression, en vue de former un nouveau mot, une nouvelle expression, ainsi tripes s’écrit avec les mêmes lettres qu’esprit, la patrie comme pirate, les profits comme sportif.
Ils nous proposent des anagrammes qui en disent longs, qualifient les feux de l’amour en Drame sexuel fou ; transforme La crise économique en Le scénario comique ; et traduisent les agences de notation avec cette formule et la cognée des nations.
Mais je m’égare, revenons à la Chronique de la semaine que vous pouvez retrouvé sur le site de Paul http://www.pauljorion.com/blog/?p=32526 mais que je vais citer longuement, parce qu’il le faut pour comprendre.
Certaines notions élémentaires du calcul économique semblent curieusement étrangères aux dirigeants des nations qui constituent la zone euro. Cela les conduit à éroder les principes démocratiques et à précipiter la fin de la monnaie commune.
L'instrument pousse-au-crime est le pacte de stabilité et de croissance européen, qui exprime déficit annuel et dette souveraine en termes de points du produit intérieur brut (PIB) et leur fixe des seuils : 3 % maximum pour le déficit, 60 % pour la dette cumulée.
Or le principe du pacte, et de la " règle d'or " que l'on en tire, recèle une erreur grossière. Qu'est-ce qu'un budget équilibré ? Un budget où les dépenses n'excédent pas les recettes. Pourquoi ne pas exprimer alors la santé d'un budget national en ces termes-là ? 102 % de dépenses par rapport aux recettes : le pays connaît un déficit de 2 % ; 97 %, et il s'agit au contraire d'un excédent de 3 %.
Pourquoi comparer les pommes des dépenses aux poires du PIB, plutôt que les pommes des dépenses aux pommes des recettes ? Le PIB d'une nation, mesure de sa vitalité économique, serait-il un meilleur substitut de ses recettes... que ces recettes elles-mêmes ? Ce serait peut-être le cas si les grandes fortunes n'avaient trouvé le moyen d'éviter l'impôt par l'évasion ou l'" optimisation " fiscale, et si les grandes entreprises n'échappaient pas à la fiscalité en tirant parti de législations complaisantes.
Pourquoi a-t-on inventé l'artifice absurde de comparer les dépenses d'une nation à son PIB plutôt qu'avec ses recettes ?
Paul Jorion reprend alors le témoignage du haut fonctionnaire, chargé de mission (sous Giscard, puis Mitterrand ) à la direction du budget du ministère des finances, qui a conçu l’indice. Je préfère revenir à la source, et plus longuement encore, c’est Guy Abeille qui parle, c’est son vrai nom, et pas un anagramme. On trouve son témoignage dans La Tribune, daté du 1er octobre 2010. C’est fou Internet maintenant cela permet de conserver la mémoire intact et disponible. http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20101001trib000554871/pourquoi-le-deficit-a-3-du-pib-est-une-invention-100-francaise.html Je cite:
Je suis un ancien chargé de mission (agent non titulaire de l'Etat : non pas fonctionnaire donc, mais mercenaire) du Ministère des Finances, où, jeune diplômé de l'ENSAE (Ecole Nationale de la Statistique et de l'Administration Economique), je fus en fonction d'octobre 1977 à juin 1982, à la Direction du Budget, 1ère sous-direction (celle des synthèses, les autres étant spécialisées par ministères : justice, armée, etc.). (…) J'en viens au seuil magique - pour un peu, chamanique - du déficit à 3% du PIB. Le premier choc pétrolier se produit à l'automne 1973: quadruplement du prix - la bombe la plus nocive de la guerre du Kippour est celle qui frappe l'économie mondiale. Exit les Trente Glorieuses. La crainte première est celle du déséquilibre extérieur et de l'inflation: Giscard d'Estaing, tout nouveau Président, y répond par le "plan de refroidissement" Fourcade. Plan qui se traduit par un volontaire et notable excédent budgétaire. Stop and go d'anthologie: le plan de relance Chirac qui le suit en prend le contrepied (un modèle de relance keynésienne, qu'on cite encore dans les écoles). Nous sommes en 1975, les finances publiques viennent d'entrer lourdement dans le rouge. C'était il y a 35 ans. Nul ne le sait encore: la trappe s'est ouverte, elles n'en sortiront plus. (…)
(En 1981) Le budget a été présenté avec un déficit de 29 milliards de francs (on reconnaît là la limite fétiche, et un sens du marketing d'étiquette que nous aurons souvent vu à l'œuvre chez Giscard d'Estaing, dès lors qu'il s'agissait de publier des chiffres - prière d'annoncer, par exemple, que les prix augmenteront de 9,9% et non de 10%). Cependant, dans les quelques mois qui précèdent le vote, la compétition électorale est gagnée par de vives ardeurs, on a des inquiétudes, et tout Barre qu'on soit, il faut bien en accepter les contingences financières collatérales: on n'aurait garde de ne pas s'attacher ceux qui pourraient pencher pour soi, ou bien seraient possiblement tentés de regarder ailleurs; ces saisons ne sont guère propices à une gestion retenue des finances publiques. Et quand, au terme du combat, la gauche tient sa victoire, on n'en est plus à résister sur la ligne des 30 milliards de francs. Sans que rien n'en eût filtré en dehors de nos murs (d'ordinaire le fonctionnaire est loyal), les élections ont fait sauter, sinon la banque - après tout, on n'en est encore qu'à sept années de dette -, du moins le seuil.
Mais après les élections de mai, la réalité est autre. C’est toujours Monsieur Abeille qui écrit, je cite:
La première loi de finances rectificative socialiste en prendra acte, actualisant le déficit à 55 milliards; et dès le début juin, sans attendre, Laurent Fabius va rendre ce chiffre public. (…) Et, au vu des données qui s'agglomèrent peu à peu sur mon bureau, il apparaît assez vite qu'on se dirige bon train vers un déficit du budget initial pour 1982 qui franchira le seuil, jusque là hors de portée mentale, des 100 milliards de francs, chiffre que les plus intrépides d'entre nous n'auraient même en secret pas osé murmurer. (…) Le Président (Mitterrand) a urgemment et personnellement demandé à disposer d'une règle, simple, utilitaire (…) Le coup est vite joué. La bouée tous usages pour sauvetage du macro-économiste en mal de référence, c'est le PIB: tout commence et tout s'achève avec le PIB, tout ce qui est un peu gros semble pouvoir lui être raisonnablement rapporté. Donc ce sera le ratio déficit sur PIB. Simple; élémentaire même, confirmerait un détective fameux. Avec du déficit sur PIB, on croit tout de suite voir quelque chose de clair. (…) Ne divise-ton pas des choux par des carottes? Car un déficit n'est rien d'autre qu'une dette: il est le chiffre exact de ce qu'il faut, tout de suite, emprunter, c'est à dire, cigale, aller demander à d'autres; et donc de ce qu'il faudra épargner - au fil des années suivantes - pour rembourser ceux qui auront prêté. (…) Où l'on saisit que le seul critère pertinent est celui de la capacité de remboursement à horizon donné (qui est celui de l'emprunt); laquelle est elle-même fonction, non pas tant du déficit consenti une année donnée, que de la dette globale accumulée - cette année-là, mais aussi celles qui ont précédé et peut-être celles qui suivront - et de la prévision qu'en regard on peut faire des ressources futures, c'est à dire du couple croissance et rendement fiscal. Le reste n'est qu'affichage. (…) Le ratio déficit sur PIB peut au mieux servir d'indication, de jauge: il situe un ordre de grandeur, il soupèse une ampleur, et fournit une idée - mais guère plus - immédiate, intuitive de la dérive. Mais en aucun cas il n'a titre à servir de boussole; il ne mesure rien: il n'est pas un critère. Seule a valeur une analyse raisonnée de la capacité de remboursement, c'est à dire une analyse de solvabilité: n'importe quel banquier (ou n'importe quel marché, ce qui revient au même) vous le dira. Certes; mais la question politique - politique, et non économique - demeure: comment transmuter le plomb d'une analyse raisonnée de solvabilité en l'or apparent d'une règle sonore, frappante, qui puisse être un mot d'ordre? C'est, dans son prosaïsme, la question qui se pose à nous, et l'impossible auquel nous nous heurtons, en ce soir de juin 81.
Quand on veut être précis, il faut être un peu long, et je sais bien que malgré, mes coupes longues dans le texte de Monsieur Abeille - qui a si bien joué les cigales – vous avez un peu perdu l’article de Paul Jorion, qui lui fait plus court, pour être plus efficace. Mais tout de même savoir que tout était connu dés le départ, il y a plus de trente ans cela ne vous effraie pas ?
Paul Jorion écrit Et M. Abeille d'ajouter, à propos du seuil de 3 % qu'il proposa pour le déficit annuel en points de PIB : " C'est bien, 3 %. (...) 1 % serait maigre, et de toute façon insoutenable. (...) 2 % du PIB aurait quelque chose de plat, et presque de fabriqué. Tandis que 3 est un chiffre solide ; il a derrière lui d'illustres précédents (dont certains qu'on vénère). "
Je reprend le texte de Monsieur Abeille qui enfonce le clou, après de nombreux autres paragraphes,: Le processus d'acculturation est maintenant achevé; on a réussi à déporter le curseur: ce qui est raisonnable, ce n'est pas de voir dans le déficit un accident, peut-être nécessaire, mais qu'il faut corriger sans délai comme on soigne une blessure; non, ce qui est décrété raisonnable c'est d'ajouter chaque année à la dette seulement une centaine de milliards (en francs 1982). C'est cela, désormais, qu'on appelle "maîtrise": en dessous de 3% du PIB, dors tranquille citoyen, la dette se dilate, mais il ne se passe rien - quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt, dit le proverbe chinois; quand le sage montre l'endettement, l'incompétent diplômé regarde le 3% du PIB. (…) Puis un jour le traité de Maastricht parut sur le métier. Ce 3%, on l'avait sous la main, c'est une commodité; en France on en usait, pensez! chiffre d'expert ! Il passe donc à l'Europe; et de là, pour un peu, il s'étendrait au monde. Sans aucun contenu, et fruit des circonstances, d'un calcul à la demande monté faute de mieux un soir dans un bureau, le voilà paradigme: sur lui on ne s'interroge plus, il tombe sous le sens (à vrai dire très en dessous), c'est un critère vrai. Construction contingente du discours, autorité de la parole savante, l'évidence comme leurre ou le bocal de verre (celui dans lequel on s'agite, et parade, sans en voir les parois): Michel Foucault aurait adoré. Parfois lorsque j'entends, repris comme un mantra, le 3% du PIB, je m'amuse de ce trois que nous avons choisi. Me revient le souvenir du numéro « deus impare gaudet » - le nombre impair plaît à la divinité - qu'on trouve dans Virgile. Et la traduction qu'en donne Gide dans Paludes: le nombre deux se réjouit d'être impair. Et il a bien raison, ajoute Gide. Le 3% du PIB se réjouit d'être critère... Et il a bien raison.
Pendant que je réalisais pour ARTE - avec Hubert Védrine comme co-auteur – Le Monde dans tous ses états (en compétition au FIPA à la fin du mois) je m’étonnais toujours que Paul Jorion ou Jean-Paul Fitoussi puissent raconter la crise économique en ayant le sourire et même en riant quelquefois. Je comprends mieux maintenant. Cela fait tellement longtemps que l’on marche sur la tête ! Les nerfs – comme ceux de la grenouille qu’on torturait en classe de sciences naturelles – ils finissent par lâcher. Et tout le monde de rire, de ce que Sophie Coignard et Romain Gubert appelle L’oligarchie des incapables. Et effectivement, 32 ans, il y a prescription, on ne va pas pleurer tout de même.
Paul Jorion termine : La formule de la règle d'or implique qu'aussitôt que le coupon moyen de la dette souveraine d'une nation dépasse le taux de croissance de son économie, le rapport dette/PIB se dégrade inéluctablement. Or les politiques d'austérité mal avisées des dirigeants européens ont un impact négatif sur la croissance, augmentant le risque de dégradation de la notation de la dette souveraine de leur pays, et provoquant l'effet de ciseaux redouté, puisque d'un côté le taux de croissance baisse, tandis que, de leur côté, les taux exigés par le marché des capitaux pour la dette émise montent.
La règle d'or censée garantir aux Etats un budget équilibré, que l'Allemagne a eu la naïveté d'inscrire dans sa Constitution et tente d'imposer aujourd'hui à ses partenaires européens, n'est - on l'a vu - rien d'autre qu'une blague de potache. C'est en son nom pourtant que l'on malmène aujourd'hui la démocratie en Europe et qu'on assassine sa monnaie commune.
Il est pour la règle d'or Hollande? Paul Jorion lui, est à ce point pédagogique que je ne peux m'empêcher de jouir de son travail, l'anagramme de Paul Jorion, ce serait alors pour Jouir Lapon. Pace qu'il faut au moins être Lapon, pour être aussi clairvoyant dans cette France des incapables.
Tout est dit il n’y a pas ques les anagrammes qui soient renversantes.