Questionnez vos petites cuillères. C’est une injonction de Georges Perec dans Approches de quoi ? texte qui ouvre le recueil L’infra-ordinaire publié au Seuil en 1989.
Perec raconte que pour exister dans les journaux les trains doivent dérailler. Et Perec s’insurge.
Dans notre précipitation à mesurer l'historique, le significatif, le révélateur, ne laissons pas de côté l'essentiel: le véritablement intolérable, le vraiment inadmissible: le scandale, ce n'est pas le grisou, c'est le travail dans les mines. Les "malaises sociaux" ne sont pas "préoccupants" en période de grève, ils sont intolérables vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an.
Et quand c’est toute la société qui déraille, comme aujourd'hui, le quotidien devient évidemment bien plus intolérable! Qui va questionner les petites cuillères ? Il ne suffit pas de poser des revendications de salaires...
Un exemple à Paris, les conditions de transports sont de plus en plus difficiles dans les transports en commun. Chacun peut s’en apercevoir, des incidents quotidiens, usants, qui font apparaître les grèves comme des moments de normalité puisqu'à ce moment-là, l'épisode est globalement prévisible, et moins stressant qu'un incident voyageur.
Justement la S.N.C.F. annonce ce lundi 9 février une hausse significative des suicides sur les lignes d’Ile de France.
En 2008, une personne s'est suicidée ou a tenté de le faire tous les deux jours, en moyenne, sur le réseau Transilien de la SNCF. Soit 22 % de plus qu'en 2007. 181 cas de suicides ou de tentatives de suicide (TS) ont été recensés contre 148 en 2007. Indique Le Monde daté du 10 février.
(…) Pour la seule journée du 28 janvier, veille de la grève nationale dans les transports publics, trois personnes se sont jetées sur les voies des lignes B et E du RER et sur la ligne Paris-Coulommiers.
On attend le discours du gouvernement contre les suicidés preneurs d’otages ?
Comment s'étonner qu'en période de crise il y ait plus de suicidés?
Après l’explication du complot terroriste -le groupe de Tarnac - la S.N.C.F. a trouvé une autre manière de se justifier. Comme si tous les incidents sur le réseau étaient toujours dus à un événement extérieur : l’ultra-gauche, la tempête, les suicides. Les incidents sont pourtant simplement dû à un manque de petites cuillères. À force de logique comptable, d'économie de bouts de chandelle, il est normal que le réseau se dégrade. C'est évidemment la même chose à l'hôpital, dans n'importe quel Service public. Nous arrivons bien à un seuil, qui s'appelle un seuil de rupture. La moindre petite cuillière devient nécessaire et insuffisante. J’ai proposé à plusieurs producteurs de réaliser un film sur le Suicide, parce que c'est un sujet spectaculaire, mais personne ne veut prendre le risque…
Si je proposais de questionner nos petites cuillères ?