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Billet de blog 12 novembre 2010

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La compagnie des spectres

Je ne cesse de m’étonner de la fécondité des publicitaires… Ils parviennent souvent à illustrer très précisément l’état de la société. Mais c’est sans intention de la donner.

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Je ne cesse de m’étonner de la fécondité des publicitaires… Ils parviennent souvent à illustrer très précisément l’état de la société. Mais c’est sans intention de la donner.

Une pub de la S.N.C.F. me paraît particulièrement scandaleuse (comme je ne suis pas accroc à ce genre de productions, je suis un peu en retard pour la décrypter).

Comme un lapsus, un retour du refoulé, leur inconscient, leur cynisme, ou leur bêtise finissent par accoucher d’un cliché clinique de notre monde. Une image de plus en plus terrifiante. La petite histoire présentée dans le film de promotion du service est assez simple.

Plan un : Cela commence par un petit travelling qui découvre la main d’un homme cliquant sur une souris d’ordinateur. Le bras, au départ caché par la silhouette floue du héros, est posé sur deux feuilles blanches. Le geste est un peu hésitant, une émotion ? Deux petites tables de maison de poupée, de la poussière sur le pied de la lampe, une sorte d’appareil photo ancien, l’amorce d’une bibliothèque avec des livres grand format, composent le décor de ce premier plan où déjà notre œil enregistre toutes ces subtilités.

Une petite musique répétitive, matinale et rafraîchissante -de la guitare sèche, il me semble, avec une orchestration compliquée derrière - optimise la scène.

Plan deux : Un contre champ – très court – nous montre le visage détendu, mais concentré de ce jeune homme à la barbe naissante, mais tout de même artistiquement taillé. Un léger flare provenant d’un contre jour artistiquement installé (mais improbable puisque la lumière vient du couloir, comme nous le constaterons ensuite) tente de nous indiquer le caractère spontané de la scène, ce serait presque pris sur le vif, naturel, simple. C’est un matin de départ. Derrière lui, une lampe à la forme moderne, mais restée dans l’anonymat du fond flou.

Plan trois : Le jeune homme de dos, toujours assis devant son écran d’ordinateur, tend la main pour prendre un billet que lui tend un fantôme, carrément assis sur le bureau. C’est un ectoplasme transparent dont on ne voit qu’une partie du buste, et des jambes. C’est ce que j’appelle un plan braguette.

La S.N.C.F c’est fantastique.

Plan quatre : Raccord dans l’axe, plan large, notre homme se lève. Le spectre le regarde s’éloigner sans étonnement. Le héros ressemble probablement au créatif de l’agence publicitaire: un gentil gendre, riche, propre sur lui, genre Éric Woerth, jeune, un gars réservé, calme, en qui nous pouvons avoir confiance.

Ce jeune homme, propre sur lui, en pleine forme, qui sent bon l’après-rasage et qui porte des vêtements griffés impeccablement négligés quitte son bureau, et la grande bibliothèque de son grand appartement - une échelle nous indique que le plafond est à trois mètres. Il a un petit regard – inquiet ? – sur son billet. Nous sommes visiblement à l’étage noble d’un immeuble que nous découvrirons ensuite. Le héros ignore superbement le spectre. Il est en pleine santé, mais pendant tout le film, il ne fera aucun effort grâce à la S.N.C.F. c’est possible.

Nous avons compris le message : c’est super cool d’acheter un billet à la S.N.C.F, par Internet, c’est magique.

Plan cinq : L’action se précipite. Une courte ellipse ne nous évite pas le moment où le héros enfile sa veste. Un travelling le suit dans la très grande entrée, où deux bicyclettes sont appuyées contre un mur aux moulures bourgeoises. Le jeune homme doit être sportif et vit probablement en couple. Il va rejoindre son conjoint ? Je n’arrive pas à identifier l’objet qu’on aperçoit dans l’entrebâillement de la porte : un panier en acier peint en blanc, un berceau ? La toile au mur est indéchiffrable. Les deux piles de magazines surmontées d’une photo encadrée indiquent un désordre artistiquement agencé.

Mais l’originalité du plan n’est pas là : entre le personnage et le mur, des revenants composent une chaîne fantasmagorique qui permet au bagage du client de la S.N.C.F. de le suivre, sans effort. Les spectres font tapisserie. Lui ne les voit même pas.

Plan six : Petit mouvement d’appareil au moment de la sortie de l’immeuble du héros. Le col ouvert, il regarde la lumière du matin, la bouche entre ouverte, ignorant superbement la série de fantômes alignés tout le long de la rue. On sent le personnage détendu, sur de lui, ouvert à l’avenir, ce garçon est un modèle de modernité confiante. Il pourrait jouer dans tous les films publicitaires, pour les dents blanches, la houille blanche, la lessive qui rend le linge encore plus blanc.

Plan sept : Tout petit travelling avant, pour une prise de vue, au cadre très large, réalisée depuis le restaurant en face de l’immeuble en brique d’où sort à peine le héros – architecture industriel fin dix-neuvième ?- . Les spectres s’activent d’une manière tout à fait originale. Le sac est jeté de la fenêtre du premier étage, et passe de main en main. Le plan qui suit nous l’indique mieux encore.

Le sac, au centre du plan huit circule. En cuir, il ressemble un peu au cabas de Mary Poppins. Le cadre laisse les visages des anonymes qui le manipulent, hors champ. Des employés de la S.N.C.F qui se confondent avec le paysage.

Plan neuf : Le sac, toujours entraîné par la chaîne continue de larbins transparents et dociles, précède le voyageur. Si la S.N.C.F. employait autant de figurants, il n’y aurait plus de chômage en France. Ces spectres me font penser aux paysans réquisitionnés, quasiment esclaves, qui étaient obligés, gratuitement, de construire les fortifications des sièges organisés par Vauban, pour le roiSoleil. Ce sont des gueux.

Le plan dix nous indique que le héros est arrivé dans une gare. Toujours à pied, toujours détendu, presque les mains dans les poches, la caméra le suit de dos. Il avance vers la lumière.

Le plan onze nous le montre, seul au milieu de la foule, dans une prise de vue zénithale, la chaîne des fantômes suit le graphisme du carrelage au sol.

Plan douze, le jeune homme avance déjà dans le couloir du train en marche. Une belle ellipse. Il n’a même pas eu le temps de s’asseoir, pendant que le train était à quai. La vitesse de la S.N.C.F c’est énorme.

Plan treize -raccord inhabituel- notre homme est de dos, il s’assoit. Apparaît magiquement un nouveau serviteur qui offre une boisson dans le plan quatorze qui suit. Il paraît qu’un bon majordome, doit être totalement transparent. Toujours présent pour servir, mais comme absent par discrétion.

Plan quinze le jeune homme, filmé de l’extérieur, du wagon, regarde d’un air niais le paysage.

Sur une butte de terre, devant une chaîne de montagne, une longue chaîne de spectres transparents est traversée, dans le plan seize, par un TGV tout aussi fantomatique.

Le phénomène se répète, au cours du plan dix-sept qui est plus rapproché. On voit la compagnie des spectres. Une voix féminine, un peu abîmée par l’usage de la cigarette, couvre alors la musique : Imaginez des milliers…
Comme le spectateur obéit à l’injonction de la voix, le plan dix-huit, est pris d’hélicoptère. Le rêve commence.

Voix féminine : … de personnes prêtes à vous rendre service à chaque étape de votre voyage.

Le gros plan du visage du héros, radieux, apparaît en contre jour. Il est arrivé. Il reprend enfin son sac. Comme il est plus intelligent que prévu, les plans qui suivent nous montre qu’il avait conscience de la présence de tous ces anges gardiens.

Le riche jeune homme va pouvoir pousser la grille de sa propriété dès que le film se terminera.

Voix féminine ; TGV lance Service TGV. et vous n’avez jamais été aussi bien accompagné.

Les employés de la S.N.C.F. n’ont jamais été aussi insignifiants. Il n’y a pas que les grèves qui ne se voient pas dans ce pays. Les publicitaires gomment les travailleurs. Le service ne coûte rien, ne pèse rien, c’est comme le vent qui parcoure la campagne et qui me rendra fou.

Le service à la personne, c’est plutôt pour les vieux, mais dans le film, la fiction, c’est un jeune qui en bénéficie, un héritier qui possède un joli patrimoine.

Pas un seul figurant issu de la diversité – comme on dit- À la S.N.C.F. tous les travailleurs sont gris. Ils rasent les murs, adhèrent au sol, de vrais esclaves, de vraies carpettes. Des milliers d’esclaves au service d’un seul, vraiment aujourd’hui, avec le numérique, la S.N.C.F. et l’homme dont je n’écris pas le nom, tout est possible, sauf la lutte des classes. À la S.N.C.F. on l'aura compris, il n'y a qu'une classe la première. Un monde où la finance se goinfre 40% de la richesse, c'est un monde qui n'a de place que pour les jeunes seigneurs, les héritiers, les élus, que les autres tiennent leur place, avec le sourire, sur un bout de ballast.

Je pense au fils d’une amie qui vient d’intégrer la S.N.C.F pour être cheminot, après avoir fait Sciences-po. Je pense à ceux de mes élèves de l’I.U.T. qui une semaine sur deux vont en stage à la S.N.C.F., est-ce que je peux leur parler du respect de la direction envers ses employés ?

Et pour finir un autre film pour montrer comment se créent les nouveaux emplois de demain. Surtout regardez bien jusqu’au bout, après le générique.

http://www.dailymotion.com/video/xcclnh_el-empleo-l-emploi_creation

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