Hier soir, je suis allé voir l’avant-première de L’Autre le film de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard. Il est assez rare de rencontrer du cinéma, du vrai, qui ne soit pas, comme dit Dziga Vertov, du concubinage avec le théâtre, la littérature ! Du cinéma !. C’est si rare, autant en parler ici.

Dés les premières images, le film vous emporte à partir de son point de vue particulier. Dés les premières images, vous savez que ce regard singulier va produire un message universel. Vous savez que vous pouvez faire confiance aux cinéastes et regarder ce qui vous étonne, vous déstabilise. Au cinématographe, je n’ai jamais vu l’espace urbain d’aujourd’hui aussi bien filmé. Qu’importe le sujet du film, ce que Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard, nous montrent c’est l’état de notre monde. Après à chacun de fabriquer son film, chacun verra minuit à sa porte ! Ce film sombre s’impose d’abord comme un long poème triste, lucide, et particulièrement pertinent. C’est bien la vérité de nos vies dont parle l’Autre. Le destin de cette femme, c’est celui qui nous est promis. Je vais enfin commencer à vivre ma vie, la mienne (je paraphrase mal les mots du personnage) quand on a 53 ans, comme moi, on est touché et l’on s’identifie facilement à cette femme de 47. Cette femme que le film suit. Cette femme pourrait s’appeler Marianne, tant elle ressemble au vrai portrait des femmes de la France de Sarkozy... Cette femme que notre grand Président ne remarquerait jamais, même si elle pourrait lui servir de faire valoir, derrière lui, pendant un de ces discours dans une usine. Une femme que le film scrute de l’intérieur, avec des moyens d’entomologiste. Dominique Blanc, lumineuse, juste, incroyable, incarne ce papillon fébrile épinglé par les cinéastes. Magnifique interprétation, d’une des plus grandes actrices du cinématographe encore en activité! Elle joue cette femme douce, presque radieuse, avec ces gentils sourires que nous connaissons tous. Ces sourires qui cachent si bien la misère. Ces sourires qui masquent le drame. La caméra inquiète tremble à chaque instant, comme nous pourrions trembler pour cette femme. La caméra comme à l’affût du moindre signe, derrière un objet, une personne floue au premier plan. Avec un effet paradoxal de véracité d’authenticité documentaire, réalisé avec un procédé fortement fabriqué. Des programmes de télévisions diffusent souvent, dans le petit appartement du personnage, leurs sons et leurs images, comme pour habiller sa solitude. Ces images pour une fois sont réelles, comme si cette femme allait comme moi parler à sa télé. On ne se pose pas la question de savoir si ce sont de vrais extraits. Ce sont des images du film, créés pour l’occasion et qui nouent le drame. Nous n’y voyons que du feu, elles nous font rire. Tout le travail des cinéastes est de cet acabit. Ils filment comme pour la première fois, un bas de trottoir et son caniveau, une station de bus, un wagon de RER. Comme dans les films de Wenders, en noir et blanc, les trains se croisent lentement à pleine vitesse. Comme dans l'Ami Américain, en couleurs, toutes les rencontres, pour fumer, dans le froid, se réalisent devant des enseignes au néon fortement coloré... La couleur gicle en permanence. Cette lumière moderne agressive qui rend plus juste la compréhension de la psychologie des personnages. Pourtant l’image est sombre, comme le film est noir. Pourtant tout cela est de l’ordre de notre quotidien. Toute la bande sonore est musique, tous les sons participent de cette composition, une musique à l’image de la cité. Et puis un vrai étonnement, des dialogues aussi simple que dans n’importe quelle autre comédie française. Des mots qui, à force d'être vraiment filmés, sont poétiques, des mots de tous les jours, comme les mots des pauvres gens. Des mots quelquefois répétés, toujours justes, prononcés par des acteurs absolument vrais. Une femme comme moi ? Quelle genre de femme ? Une femme qui ne veut que le bonheur de tous et qui dit à un moment des mots d’une telle cruauté : Je préférais quand vous étiez folle, là vous avez l’air démolie. Mais il faudra que vous alliez voir le film, parce que je ne me souviens pas des paroles exactes.
Et puis je regarde les réalisateurs au débat, et je rêve que Patrick Sobelman produise Blanche neige que je réaliserais pour pouvoir offrir à Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard deux jolis rôles.