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Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

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Billet de blog 17 février 2013

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Mon vilain garçon.

Mon fils aîné, Thomas Lévy-Lasne passe ce soir à la télévision, sur France 2 à 00H30, il est acteur dans un film de Justine Triet "Vilaine fille, mauvais garçon". Il joue – à la perfection – le rôle d’un jeune peintre – ce qu’il est dans la vie. Il expose à Paris, d’ailleurs, en ce moment, comme s’il avait conçu, en grand professionnel, son agenda de communication.

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Mon fils aîné, Thomas Lévy-Lasne passe ce soir à la télévision, sur France 2 à 00H30, il est acteur dans un film de Justine Triet "Vilaine fille, mauvais garçon". Il joue – à la perfection – le rôle d’un jeune peintre – ce qu’il est dans la vie. Il expose à Paris, d’ailleurs, en ce moment, comme s’il avait conçu, en grand professionnel, son agenda de communication.

Le même effet de réalisme fonctionne dans le film et dans sa peinture. Nul doute que ce film se transforme en miel, pour les critiques d’art, de plus tard, si jamais la peinture que défend Thomas gagne en importance.

Il se passe là, dans le raccord entre jeu, vie, film, peinture et art, quelque chose de parfaitement moderne, et de nouveau : l’obligation ou l’envie – la nécessité - pour un jeune artiste d’occuper un large spectre de la création artistique. Savoir jouer avec sensibilité – ce que tout le monde croit pouvoir discerner – devient une preuve de la justesse de la touche – ce que peu de monde parvient à reconnaître.

J’allais dire que Thomas – pour exister - se doit d’être comme transgenre. – sans que cela soit une explication à connotation sexuelle. On connaît le violon d’Ingres ! Aujourd’hui Jean-Auguste-Dominique Ingres  aurait un groupe qui tournerait dans des salles de concert, pendant que lui exposerait seul en galerie. Même si on a toujours su que les artistes avaient plusieurs cordes à leur arc, la difficulté croissante de survie oblige à faire flèche de tout bois… (En voilà une phrase qui sent la tradition). On retrouve, l’illustration de mes dires sur les aléas économiques, dans le film. Le jeune peintre vit dans un appartement encombré – celui de son grand-père – où vit son père. Il faut voir ces scènes (où mon fils se moque de moi de manière évidente) - il a participé au scénario- comme une chronique précise de la vie en Hollandie.

Justine et Thomas se sont connus aux Beaux-Arts de Paris. Il y a travaillé une peinture classique, solidement technique. Elle y a pratiqué de la vidéo tranquillement expérimentale. Il se retrouve, aujourd’hui, tous les deux, à créer une fiction, bien ancrée dans le réel. Il a toujours été un des caméramans participant aux expérimentations de Justine. Et je crois, au delà du talent, que c’est pour cela que le film de Justine fonctionne. Il y a là comme une complicité de vieille troupe de théâtre. Ils se connaissent. Ce sont déjà des compères depuis longtemps (plus de dix ans, il me semble). Il n’y a plus besoin de dire un certain nombre de choses, c’est forcément plus efficace. Justine dispose de toute la matière que propose Thomas. Il y a dans le film les mêmes scènes peintes par Thomas, les mêmes toiles accrochées dans la galerie. Le même meilleur ami du peintre qui joue son propre rôle - pour ressembler à un portrait de lui, qui se trouve sur un mur du film, dans le cadre du tableau et de la caméra. Comme dans un autre film - voyez le compliment - celui de Jack Hazan, sur David Hockney, "A bigger splatch", le film de Justine documente l'œuvre, mais ce n’est pas le but du film, c’est comme un bonus. Ici tous les apports participent, à égalité, à l’équilibre du film qui gagne en profondeur. C'est une fiction, et malheureusement pour moi, ils ne m’ont pas demandé de jouer le rôle du père de l'artiste - j'en suis même triste – parce que le film aurait été encore plus drôle –vu que physiquement il y a comme une ressemblance. Mais le film est à voir vraiment au delà des petites histoires, par qu’il est vraiment à l’image du temps.

On comprend bien, que figurer le monde a quelque chose à voir avec jouer avec le réel, que pour une fois, une fiction se fait en partie documentaire, et qu’elle réussit à être plus documentée parce qu’elle est authentiquement fiction.

Le film ressemble – d’une certaine manière -  aux toiles de Thomas, où il ne se passe rien de remarquable, vraiment rien. C'est lui qui revendique cette définition. Dans les toiles d'Edward Hopper, qui n’ont rien à voir avec celle de Thomas, il y a comme un temps suspendu, et une épaisseur du Mystère. C'est pour cela que les critiques parlent de l'influence du peintre sur le cinéma, ils croient que l'action a eu lieu, ou que la destruction va venir. Chez Thomas rien de cela, plutôt une sensation du vide. Comme s'il n'y avait rien à attendre, et que le film n'allait pas redémarrer. En cela il peint une époque que Christian Salmon a décrit dans Kate Moss Machine et qu’il résumait  dans un texte de présentation d’un documentaire que nous devions réalisé en commun : « Que nous dit ce destin  « mossien » ? Qu’il nous faut devenir stratèges, des sujets aguerris capables de faire un usage intensif de nos compétences et de nos affects, dans le but de donner la meilleure image de nous-mêmes. Qu’il n’y a pas d’autre rapport à soi que ce travail incessant de mise en valeur, assisté par toutes sortes d’experts du développement personnel. Que les individus n’ont plus le choix qu’entre une vie échangeable et donc stylisée, relookée et coachée, et une vie non stylisée mais qui ne vaut rien. Nous sommes tous des mannequins anglais. »

La peinture de Thomas finit par être profondément contemporaine, il peint cette vie qui ne vaut rien, à l’opposé de toutes l’imagerie publicitaire, de toute la communication ambiante. Il ne peint pas des mannequins anglais. Moi (peut-être pas lui) j’y lis que le changement c'est comme avant. Rien de plus contemporain que la peinture figurative pour s’attaquer à la défiguration de notre vie réelle. Thomas ne peint que des gens qui ont une vie non stylisée, non coachée, et il en fait son sujet. « Circulez, il n'y a rien à voir. » Ou plutôt : « Regardez cette immobilité, elle n'est pas de Calder ! » Le changement ce n’est pas maintenant. La gauche c’est la droite. J’en ai perdu ma latéralité. Thomas peint des non-événements, des états, jamais des processus. Le film de Justine décrit une tranche de vie qui ressemble à ce qu’a décrypter Christian Salmon : des vies sans perspectives, où la fin de l’Histoire (avec sa grande H) est installée. Il manque à ces jeunes un sens, une direction pour canaliser l’énergie. Dans cet univers, il est bien décrit que même l’école du cirque n’offre pas du tout de débouché.

Il faut regarder le film de Justine, en le comparant à un film de Sautet, pour comprendre la dégradation des processus sociaux. Dans ses toiles comme dans le film, il y a comme un morceau d'époque, une photographie de l'état de notre société, sans cliché, comme on ne l'a voit ni dans les journaux, ni à la télévision, ni évidemment dans les discours d'experts et de politiciens.

Thomas passait dernièrement à la radio dans une émission qui s'appelle "Ça pourrait vous plaire." La fonction de l'artiste ce n'est certainement pas de plaire! La fonction de la radio peut-être. La discussion s'est engagée sur le fait qu'il ne serait pas évident de peindre de manière figurative, pourquoi ne pas faire de la photo? Le journaliste cite ce que Thomas écrit: "Cette capacité à rendre l'événement qu'est le monde, je crois qu'il n'y a que la peinture qui l'a restitue aussi bien" Est-ce que le monde est un événement?

" L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible" écrivait Paul Klee. Justine et Thomas font de l’art en tout cas.

Galerie Isabelle Gounod, du 5 janvier au 23 février 2013, 13 rue Chapon 75003 Paris. Du mardi au samedi de 11h à 19h et sur rendez-vous. http://www.thomaslevylasne.com/Accueil.html

http://www.dailymotion.com/video/xr08yg_justine-triet-vilaine-fille-mauvais-garcons_shortfilms#.USC9uY6nf81

http://www.judiquesfm.com/download-podcast/1598/

https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=-DLgdaaD7nA#!

Ne pas manquer, ce soir, sur France 2, 00h10 "Vilaine fille, mauvais garçon", Court métrage réalisé par Justine Triet (2011). Scénario de Justine Triet. Produit par Ecce Films. Avec la participation de France Télévisions. Avec : Thomas Lévy-Lasne, Laetitia Dosch et Serge Riaboukine.

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