pol (avatar)

pol

Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

Abonné·e de Mediapart

721 Billets

1 Éditions

Billet de blog 21 août 2012

pol (avatar)

pol

Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

Abonné·e de Mediapart

Incident conducteur.

pol (avatar)

pol

Pierre Oscar Lévy, retraité, cinéaste, scénariste, etc...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dimanche, vers 22h, je venais d’accompagner une personne à la gare Montparnasse, et je décidais de rentrer chez moi, en autobus. La canicule à cette heure-là continuait à nous étouffer tous. Chacun de mes mouvements faisait progresser la tâche de sueur sur les deux faces de ma chemise. Le 96 m’attendait, à l’arrêt, sur son aire de départ. La gare c’est le terminus. Le chauffeur avait déserté le volant, en pause. Le véhicule était déjà rempli de voyageurs figés dans la chaleur. Je pris cela pour une bonne nouvelle et pensais que je n’aurais pas à attendre longtemps. Un mauvais pressentiment effleura ma conscience, mais j’avais déjà posé le pied dans l’autobus. Une chaleur étouffante y régnait qui donnait à l’atmosphère régnant comme une matérialité palpable. Se glisser, au milieu des voyageurs demandait du courage. Je pensais alors- comme souvent – à un wagon de déportation en été 44. L’image mentale avait effacée toute possibilité de plaintes.

Une première personne, appuyée sur le composteur, m’empêchait, déjà, de payer le prix de ma course. La chaleur devait lui rendre difficile chacun de ses mouvements. Il fallu que je lui explique précisément, et en détail, la raison pour laquelle je désirais qu’il se déplace de quelques centimètres. Mes mots semblaient s’enfoncer dans l’épaisseur ouatée de la température. Aucun de nous deux, ne voulait déclencher un incident. Cela nous aurait demandé trop d’énergie. Il se contenta de glisser trois centimètres plus loin, comme si ses pieds s’étaient mis à fondre. Il referma un peu plus son visage dans un courroux mou. Vu l’accueil,  je me trouvais dans l’obligation de me frayer un chemin et de rentrer plus avant dans le véhicule. Enjambant les divers sacs et valises qui jonchaient le sol, ma progression fut lente. Mon front ruisselait. « Pardon », « excusez-moi », « j’essaye d’aller vers le fond ». Je décrivais chacun de mes pas, pour justifier ma présence, comme si mon mouvement dérangeait des propriétaires d’un univers préétabli de toute éternité. Tous ces futurs voyageurs semblaient avoir reçu leur position en héritage. Deux petits enfants en bas âge envisageaient déjà de se lancer dans des pleurs ou des cris. L’atmosphère était lourde, électrique, poisseuse. Je me sentais comme un blanc perdu, sans passeport, au fond du Mexique. Trop tard pour regretter, j’étais déjà englué dans la troupe de voyageurs… J’allais véritablement me fondre dans la masse.

L'avantage, c’est que je suis grand. Au loin, tout au bout du bus, j’aperçu trois places libres. Des voyageurs, peu civils, avaient mis leurs sacs, là où je pouvais largement revendiquer l’espace d’y déposer mon derrière. Incroyable, malgré le fait que le bus était plein, il restait à négocier – avec raison – un endroit pour s’asseoir. Ma découverte, me redonna l’énergie pour traverser les quelques mètres qui me séparait du siège qui me tendait ses bras. On sentait bien que la résignation, le manque de politesse, la solitude, la lâcheté même, avaient empêché les autres voyageurs de revendiquer leur droit.

Je m’adressais alors à une jeune fille, jolie, bronzée et d’une origine sociale assez supérieure. « Est-ce que je pourrais m’asseoir ? » La chaleur ne lui permit pas de me répondre, elle se contenta de regarder, à droite, et à gauche, comme si elle croyait que je m’adressais à quelqu’un d’autre. Il y avait scandale à ce qu’une personne de ma condition ose s’adresser à elle. Ensuite, elle esquissa un geste pour soulever son sac au dos qui occupait MA place. Et elle fit mine de ne plus pouvoir le soulever. Probablement dans son milieu, un homme, par courtoisie, décence et éducation n’aurait pas insisté.  Ma corpulence, la sueur qui tombait de mon visage, ma détermination, ne lui laissait aucun choix. Je lis sur son visage le désespoir d’avoir à côtoyer la lie de la terre. Ce sont les dangers des vacances pensa-t-elle. Son regard m’avait jaugé. Avec ma barbe, elle m’avait déjà rangé dans la catégorie des hommes au couteau entre les dents. Elle ne se sentit pas de force de revendiquer ses privilèges. Elle avait égoïstement jeté son sac, là où un voyageur perdait une place. Elle l’avait fait en toute conscience, certaine de son bon droit. Elle était de souche, bien née, avec plusieurs cartes de crédit dans son portefeuille. Ses relations, et son taux d’imposition, lui permettaient de jouir autrement des installations collectives. Je savais qu’elle descendrait du bus à une des stations du Marais. Je sentis un peu de désarroi de sa part, et lâchait lâchement un « prenez votre temps » qui se voulait sympathique, mais qu’elle prit pour une injonction.

J’eu ma place. Elle posa sur une valise qui trônait au milieu du couloir son sac au dos. Les trois personnes qui occupaient les cinq places du fond étaient maintenant dans l’impossibilité de sortir… Tout le groupe me regarda comme si cette situation venait de ma revendication disproportionnée.

Je soufflais. La chaleur se referma sur moi. J’avais beau essayer de penser à autre chose, mes pensées se dissolvaient dans la sueur. J’étais assis, plus rien ne pouvait arrivé. Le temps se mis à flotter avec une lenteur sauvage. La cinquantaine de personnes présentes étaient une même gelée amorphe, le groupe baignait dans son jus. L’éternité pouvait s’installer là, nous étions rentrés, tous dans la passivité. On aurait aimé voir le chauffeur arriver, mais cela devenait comme une option, une hypothèse peu vraisemblable.

Les deux enfants commencèrent alors à pleurer, avec l’insistance que mettent les perceuses un dimanche matin à 7h. La tension monta très vite, l’électricité était palpable. Le père des enfants, tira sur une manette d’ouverture d’urgence, la porte de sortie s’ouvrit largement offrant une illusion de fraîcheur à ceux qui se trouvaient devant.

La chaleur resta compacte de mon côté, mais au moins le calme était revenu. La torpeur me repris et un temps indéterminé coula jusqu’à l’arrivée d’un grand black, avec plein d’énergie.

Il conquis simplement la place derrière le volant, et mis en route la climatisation. Je compris alors que cette invention moderne et dispendieuse d’énergie, manquait à la scène depuis le début. L’homme ne compris pas qu’il venait de gagner le statut d’un sauveur pour chacun des participants à l’attente.

Il se releva et se mis à hurler dans notre direction. « Qui est l’imbécile qui a tiré sur la manette d’ouverture d’urgence. C’est qui ? Parce que si il ne remet pas en place le dispositif, je ne peux pas démarrer »

La hauteur de ton, réveilla tout le monde, et lâchement les personnes assisses devant commencèrent à murmurer tous en même temps.

« Moi je m’en bas les couilles, tant que la porte elle n’est pas refermée manuellement, on part pas »

Des voix individuelles lui répondent…

« C’est qui le lâche qui a ouvert la porte ? » demande encore  le chauffeur.

Le père de famille, maigre est frêle, lève le bras et commence difficilement à remettre le dispositif dans sa position première.

« Oui vous en avez rien à foutre du chauffeur, c’est pas parce que vous êtes 40 que vous me faites peur »

J’essaie de calmer le jeu. On sent que vu les différences raciales et sociales, la mayonnaise pourrait prendre.

Je crie : « mais il y avait urgence, il y avait urgence, c’est pour cela qu’il fallait ouvrir » (la porte). Pas eu le temps de finir ma phrase que j'étais devenu le leader de la contestation... J'avais pris la parole comme un vacancier, alors que j'étais un travailleur comme lui, comme le chauffeur. Ma bévue me fit taire.

Je pensais à Jean-Luc Godard, qui justifiait sa présence sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute en prétextant que la lumière était jolie et qu’il fallait la filmer tout de suite, de peur qu'elle disparaisse. La culture pour me redonner un peu d'aplomb.

Mais nous n’étions pas dans un film, et surtout pas dans Lettre à Freddy Buache.

Une personne  avait détourné ma phrase, en disant au chauffeur de rouler et de fermer sa gueule. J'étais définitivement du côté de la réaction. La fraîcheur de la climatisation finit par calmer tout le monde et le bus démarra. Le couple d’homosexuels en face de moi, en même temps que moi, synchrone, se mit à crier en cœur : « Bienvenue à Paris ! » Nous ne nous étions pas concerté. La jeune et jolie bourgeoise pris un air désespéré pour se désolidariser de notre vulgarité.

Je me suis dit qu’il n’y avait aucune communauté dans ce groupe, pas de citoyenneté, des égoïsmes, des égotismes, pas de lien social.

Je me suis dit que quand il y aurait une vraie catastrophe à Paris, cela pouvait être terrible.

La jeune et jolie jeune fille, à mes côtés, a pris une attitude derrière son téléphone portable, pour ne pas voir combien elle continuait à gêner tout le monde. Les bourgeois sont descendu avant mon arrêt, ceux qui allaient jusqu’au Lilas, m'ont pris pour un bourgeois. Il faisait chaud. Je suis rentré prendre une douche.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.