Indigènes est passé à la télévision cette semaine. En 2006, j'écrivais sur mon blog de la Société des Réalisateurs de Films, à propos de la sortie du film, ce billet que je recopie parce que j'ai vu mon père regarder le film, en répétant au moins 100 fois: c'était mes compagnons d'armes. Mon père a aujourd'hui 88 ans et pour lui, comme pour moi par ricochet, cette histoire ne passe pas.
Dimanche 1er Octobre 2006
Je regarde arrêt sur image sur France 5. L’émission parle de la promotion du film Indigènes dans les médias…
La télévision n’a pas de mémoire et les présentateurs vedettes peu de culture pour la plupart. Il y a donc eu quelques glissements de sens à l’antenne… Personne ne semble savoir, ou vouloir se rappeler, que les soldats indigènes qui se sont fait trouer la peau en 1914, en 1940 et en 1944 n’étaient tout simplement pas citoyens français... Ils ne pouvaient donc pas obtenir par exemple du galon… De plus … Les races, à cette époque, existent dans l’armée Française et le racisme avec.
Mon père, évadé de France, qui choisit l’armée du Général Giraud, en 1943, au Maroc, plutôt que la deuxième DB de Leclerc, ne put être officier dans cette même armée française de libération parce qu’il refusa de changer de nom. Un Juif selon la loi (de Vichy) en vigueur en Afrique du Nord (libérée) n’avait pas plus le droit de commander qu’un indigène.
Et sur sa carte militaire (voir photo), il y avait écrit sa race (depuis il l’a effacée) et sa religion. J’ai pris conscience, en 1997, en regardant le film documentaire de Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés, que j’étais moi aussi un fils d’humilié comme n’importe quel fils d’Algérien, du Maroc ou d’ailleurs. Les humiliations des pères ne sont pas contées aux fils. Le passage du témoin effectué par l’inconscient, se fait rapidement d’une génération à l’autre, sans qu'il n'y ai besoin d'aucun film, et d'aucun récit.
Je suis moi aussi un indigène de la République, toujours en exil en France comme n'importe quel Dieudonné. (je rajoute cela aujourd'hui)
Le film de Rachid Bouchareb a l’immense avantage de changer les conditions d’existence de tous les anciens combattants de nos anciennes colonies, et prouve ainsi une fois encore que le cinéma, cela change la vie. (enfin aujourd'hui en 2009, il faut bien que je reconnaisse que j'ai fait preuve d'un optimisme imbécile)
Mais il faudrait aussi se souvenir que l’armée Française qui libéra l’Italie, la Corse et la Provence était composée (en partie) des mêmes soldats qui s’étaient battus contre les troupes Américaines et les Anglaises pour les empêcher de débarquer en Afrique du Nord en Novembre 1942.
En 1994, j’ai tourné un film sur la Résistance et rencontré, en autres, José Aboulker qui ne décolérait toujours pas de l’attitude du commandement Français. Juin dont la statue en Maréchal se trouve aujourd’hui un peu perdue Place d’Italie, désirait d'abord rejeter les Américains à la mer en 1942.
L’ensemble des officiers qui commandaient les troupes Indigènes appartenait à cette armée de Vichy qui s’est battue contre les troupes alliés le 9 Novembre 1943, et qui n’a pas bougé quand les troupes allemandes sont rentrées dans la zone non occupée le 11 novembre de la même année.
Mais aussi en remontant un petit peu dans le temps, il faudrait aussi se souvenir que parce que début mai 1941, Vichy avait autorisé les avions de l'Axe à se poser sur les aérodromes français en Syrie et au Liban. En juin, les Anglais et les Force Françaises Libres attaquent les possessions vichyssoises. Des troupes Marocaines composent en partie les deux armées. Moshe Dayan, dans les troupes Britanniques, y perd son oeil. J’aimerais bien faire un jour un film sur ces combats qui ont été terribles. Le général Jean Simon que j’avais rencontré avait perdu lui aussi son œil pendant cette guerre civile. Quand les troupes françaises de Vichy sont vaincues, de peu, on leur donne la possibilité de rejoindre la France libre ou de continuer de rester fidèles à Pétain, en rentrant en France ou en Afrique du Nord. Plus de 85 % d'entre elles choisissent cette dernière option. Les mêmes qui vont ensuite se battre avec les F.F.L. à partir du débarquement en Italie.
Mais cela n’a rien à voir avec le film…
Jacques Chirac a donc été ému en voyant Indigènes, j'écrivais déjà en 2006 je me demande ce que Nicolas Sarkozy en a pensé…
Et bien les cérémonies du 8 Mai 2009, montre que le film Indigènes, continue de faire son oeuvre.