
Pourquoi revenir sur la sortie du film de Yann Arthus-Bertrand, Home ?
Peut-être que la messe n’est pas encore dite ?
À l'occasion de la Journée mondiale de l'environnement, la production, et la diffusion de ce film est une indéniable réussite, un film militant, un film de propagande dans le bon sens du terme. Un film qui s’affiche comme tel et qui réhabilite le genre. Certains vont même, jusqu’à prétendre que ce film aurait influencé les élections européennes. On ne prête qu’au riche. La question que j’aimerais poser, ce serait :Pour qui Home milite ? Et évidemment dés qu’on pose des questions, on vous accuse d’avoir des réponses toutes prêtes, toute faites…
Il est indéniable que ce film est un objet de communication, il suffit de regarder les toutes premières images, http://www.youtube.com/homeprojectfr, et de s'arrêter sur le générique. La réponse est donnée par le film lui-même. C’est si simple que je me demande pourquoi, j’écris tout cela...
Si Home, notre maison, est assimilable à notre planète, l’animation du génétique nous indique que les piliers de notre planète sont les marques, les entreprises! (notez que je suis sympa, je n'ai pas écrit capitaliste ) Le nom de chaque marque vient se fondre avec les autres pour écrire sur l’écran le titre du film Home. Tout se passe comme s'il fallait, comme pour le téléchargement gratuit légal, voir un spot publicitaire avant l’œuvre recherchée. Si la démarche n’est pas originale, elle paraît claire. Si le film est visible gratuitement c’est que ces marques ont payé. Home serait donc simplement un grand spot publicitaire qui diffuse d’abord un message : Vous humains qui êtes préoccupés par le dérèglement climatique faites confiance aux entreprises qui ont la même inquiétude que vous. Les publicitaires courent depuis des décennies, derrière cet objectif, constituer une communauté de consommateurs qui adhèrent à des valeurs préconisées, ou adoptées par la marque. Les sondages indiquentt que la population est sensible au problème climatique. Donc les publicitaires font seulement semblant d’être les promoteurs de cette sensibilisation. Le film Home n’est pas celui qui fabrique le vote des citoyens, ce sont les études d'opinion qui préconisent l'adhésion des marques au sujet du film. Au bout de 40 ans de conscientisation – depuis le club de Rome- les écolos seraient enfin entendus? Et … récupérés.
Le film permet de dire aux citoyens consommateurs que les entreprises sont dans le même bateau : consommer derrière nos bannières, nous appartenons à une même communauté humaine, avec le même esprit...
J’aime bien le mot bannière parce que cela correspond au terme qu’on emploie pour les visuels de pub sur Internet et puis en même temps au drapeau guerrier de Jeanne d’Arc.

Juste un détail, je n’arrive pas, personnellement, à comprendre pourquoi le premier carton indiquant qu’il y 88 000 collaborateurs dans le groupe PPR, pourquoi ce carton explose ? Cette première image est assez troublante ? Et si quelqu’un peut m’expliquer cet effet très spécial, je suis amateur d'éclaircissements.

Mais revenons au film. Si comme E.T. nous dressons le doigt vers notre terre, grâce à Yann Arthus-Bertrand, nous ne regardons pas notre doigt, nous ne regardons pas la terre, mais le nom des marques, qui du coup nous apparaissent comme sympas. Tous ensemble, tous ensemble contre le dérèglement climatique. Comme c’est tout de même ce qu’il nous faut faire, je suis obligé d’applaudir le discours du film : le discours-écolo qui vient en second après les marques.
Le problème c’est que le récit, sur le dérèglement climatique, est un récit consensuel, répétitif, sympa, accessible, lisse, correct politiquement. Bref l’emmerdant c’est que cela donne du grain à moudre à tous ceux qui par nature – la nature humaine – veule jouer les autruches. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et j’ai peur que ce film ne soit audible que pour ceux qui partagent déjà les idées de Yann Arthus-Bertrand … Ce qui voudrait dire prêcher des convaincus, raconter des vieilles histoires. Mais heureusement les sondages disent que tout le monde est d’accord… Home c’est une grande messe, dite par un curé pas intégriste pour un sou – ouf je n’aime pas les intégristes –, mais qui parle doctement avec le point de vue de dieu… si si de Dieu.
Jean-luc Douin écrit, dans le Monde, qu’Home est un film militant, qu'il n'est pas décent de juger selon des critères artistiques, à l'heure où l'on annonce, par exemple, 200 millions de réfugiés climatiques probables avant 2050.
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/06/05/home-voyage-militant-dans-les-vestiges-d-un-eden-a-sauver_1202881_3476.html#ens_id=1201789
Je me sens donc fort coupable. L’apport artistique de Yann Arthus-Bertrand, c’est d’avoir, il y a longtemps déjà, fait réfléchir ! Il avait génialement déplacé notre point de vue sur la planète – au sens propre du terme. Voir la terre vue du ciel, la où dieu est, cela permet de regarder les choses autrement - peut-être avec un certain détachement - mais au moins cela renouvelle la vision. C'est justement ce qu'il faut demander à un artiste: réussir à nous montrer le monde autrement, comme pour la première fois.
Une photo aurait suffi pour faire la gloire d’Arthus-Bertrand. Il en a fait un système, j’allais dire une industrie…
Même trop nombreuses les photos ont une esthétique certaine, et disons pour faire vite que cela le fontionne. (je pourrais faire une critique de la joliesse de tout cela mais ne chargeons pas la barque)
Tout le monde sait qu’en photo le téléobjectif, écrase. En hélico tout est beau. La distance, le regard plongeant, le choix de l'heure de la prise de vue, le choix des cadres transforment le moindre cimetière en Disneyland.
Et si c’est beau, est-ce que cela bouscule ? Il me semble que la fonction de l’artiste, c’est de nous montrer le monde autrement, comme si on ne l’avait jamais vu – oui oui je l’ai déjà dit – mais aussi, en même temps, de nous faire réagir! bouger!
Or en passant de la photo au film, l’image produite n’est pas la même, et l’adaptation aurait mérité une autre conception de la prise de vue par hélicoptère. Pour des raisons techniques - éviter par exemple les vibrations - souvent l’image de Home est ralentie. Cela procure un étrange sentiment d’irréalité et de capacité à analyser qui nous offre une espèce de super pouvoir. Bref au ralenti, on plane! Difficile de prendre conscience quand on est en plein trip. Imaginer Home avec la musique d'Aguirre, la colère de Dieu, un pied total!
Photographier des personnes qui travaillent dans leur champ par exemple, et les filmer du même angle, cela n'apporte pas la même impression. Une photo en hélico donne un point de vue élevé, les travailleurs apparaissent dans leur humanité au milieu de la nature. Dans un film en hélico, le bruit, la trubulence, dans le temps de la prise de vue, écrase les sujets filmés, donne plus de poids à l'agression mécanique qui était masquée par le papier glacée. L'hélicoptère qu'on ne sentait pas trop en image fixe, devient omniprésent et modifie complétement l'écosystème de l'image.En regardant le film j’avais l’impression d’être un être supérieur, comme dieu qui regarderait en bas les petites bêtes qui s’agitent là-bas, en bas sur terre. La terre sous l’appareil photo de Yann Arthus-Bertrand était un magnifique jardin d’Eden, sous sa caméra, cela devient une sorte de fourmiliére que nous dominons d'un air détaché. Ce qui me chagrine, c'est que dans l'hélico, nous n'appartenons pas à la nature, et au sens propre comme au sens figuré, nous la dominons!
Le commentaire, par-dessus, qui dit le vrai, qui dit le juste, finit par rentrer en contradiction avec le dispositif. Nous autres documentaristes savons bien comment le texte d’une voix-off fonctionne! C'est la voix d’un savoir omnipotent qui finit par faire taire les images : comment taire !
Il est trop tard pour être pessimiste. dit Yann Arthus-Bertrand dans son texte, à la fin? Malgré mes critiques, je partage son avis: trop tard!
D’ailleurs Michel Guerrin et Nathaniel Herzberg, explique dans le Monde : Bien qu'il s'en défende, Yann Arthus-Bertrand est devenu plus pessimiste : "Seule la décroissance sauvera la planète." François-Henri Pinault corrige : "La nature humaine n'est pas disposée à renoncer à son bien-être. Il faut consommer autrement, pas consommer moins." Leur seul point de désaccord concédé. Mais il est de taille.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/06/03/arthus-bertrand-l-image-de-marque_1201679_3244.html#ens_id=1201789
Et alors là, camarade Yann, j’approuve!