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Billet de blog 29 avril 2015

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Vivants pour longtemps

Le film de Carmen Castillo, « On est vivants » sort aujourd’hui en salle. Je ne vais pas écrire ici une critique ou billet pour dire seulement tout le bien que je pense de ce film. J’ai juste envie de parler de mon émotion – intense, incroyable – quand j’ai vu, en projection privée, cette œuvre majeure (et je pèse mes mots). J’ai juste envie d’abord de dire toute mon amitié et mon admiration pour ce film fraternel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le film de Carmen Castillo, « On est vivants » sort aujourd’hui en salle. Je ne vais pas écrire ici une critique ou billet pour dire seulement tout le bien que je pense de ce film. J’ai juste envie de parler de mon émotion – intense, incroyable – quand j’ai vu, en projection privée, cette œuvre majeure (et je pèse mes mots). J’ai juste envie d’abord de dire toute mon amitié et mon admiration pour ce film fraternel.

Comment un documentaire devient-il un chef-d’œuvre ? Si j’étais un enseignant à la Fémis, ou ailleurs, je pourrais passer une semaine à analyser l’œuvre et répondre à cette question. Montrer comment, de bout en bout, « On est vivants » possède cette manière si particulière de nous parler - au présent - de toutes ces choses intellectuelles et affectives. Carmen Castillo métamorphose la défaite et le deuil, en rougeoiement de la pensée, et en énergie pour aujourd’hui. Elle regroupe ses souvenirs, comme toutes ces feuilles mortes – qui bien entendues se ramassent à la tonne-. Feuilles mortes qui s’accomplissent en pourrissant en terre, pour faire croître et renaître l’arbre qui nous permet de grimper jusqu’à la canopée.

Il me faut écrire cette phrase lyrique – si loin de la simplicité et la justesse de ton de la réalisatrice-  pour faire enregistrer ici que  « On est vivants » n’est pas le film militant, ni le documentaire « de création », qu’il serait si simple d’annoncer.

Il s’agit bien d’un authentique chef-d’œuvre qui tutoie l’histoire du cinématographe. Carmen Castillo a su mettre en scène de banales interviews, comme des scènes mythiques du cinéma mondiale.

Et en écrivant, je pense au début d’un film d’Alexeï Guerman « Vingt jours sans guerre » où un soldat revenant de permission livre ses sentiments à celui qui lui fait face dans le compartiment du train qui les emmène vers l’est. Une tension, une émotion si rare dans le cinéma de fiction que le réel contient plus souvent.

Comment un documentaire réussit à embrasser l’intimité d’un personnage dans une scène tournée dans un café banal? Comment réussir à embrasser le destin d’un ouvrier en quelques trop courtes minutes cadrées et montées avec doigté ? Voilà un des petits miracles de la vie qui passe devant nos yeux de spectateurs.

Ce film, il faut bien le dire - parce que les gazettes ne savent plus parler de cinématographe - a pour point de départ le décès du philosophe et  militant Daniel Bensaïd. L’ami. Ce n’est ni un film sur sa vie, ni un film sur ses écrits ou pensées. C’est une expérience, un moment de réflexion et d’émotion qui pose une question principale: quest-ce que lutter?. C’est un film qui démarre sur l'amitié passé entre Carmen Castillo et le militant du NPA,  pour embrasser dans le temps du film cette question.

Et en même temps – et c’est cela qui en fait un chef-d’œuvre- c’est bien autre chose.

 Ce film est à l’image de sa personne, de sa vie, son expérience et son engagement. Un film d’une justesse et d’une fougue, d’une profondeur et d’une actualité bouleversante. Un film fraternel.

Carmen Castillo explique: « Daniel m'a appris – il le dit bien mieux que moi – que la grandeur de la politique est dans ces anonymes en lutte. Je voulais rester fidèle à ça. Ces gens sont d'abord dans l'action. Ils fabriquent une pensée, même si elle n'est pas encore rassemblée, pas encore prête à être analysée. Je voulais leur donner corps, beauté. Que ces personnes, qui sont si belles, soient lumineuses – car c'est ça, l'engagement ! C'est mieux que de rester devant une télévision, dans la drogue ou le nihilisme. On vit mieux, tout simplement. C'est plus dense et, même... amusant. »

http://www.revue-ballast.fr/carmen-castillo-je-voulais-donner-la-parole-aux-anonymes-en-lutte/

Je crois n’avoir jamais vu des images, où les « gens » soient aussi bien filmés et respectés. Il y a deux séquences au moins- en France - qui sont des instants de grâce. Les personnes se livrent et racontent avec une authenticité étonnante, une spontanéité et une justesse bouleversante. Des personnes dont le corps et l’esprit remplissent le cadre, pour vous faire vivre la rencontre avec eux.

« Quand je parlais d'approcher la beauté de l'engagement politique, c'est aussi ça. Même si nous avons eu peu de temps, le travail sur l'image était primordial. Ça ne pouvait pas être moche, non ! Il y a déjà de la violence, des morts, même... Il fallait que l'image soit la plus belle possible – dans les conditions d'un documentaire (Ned Burgess, mon directeur photo depuis 2002, était au rendez vous avec son talent et sa gentillesse). Il y a beaucoup de paroles, tout au long du film. Les textes de Daniel, lus, qui forment une sorte de fil rouge et se mêlent à mon récit, j’avais besoin de beau plan large pour pouvoir les entendre. » Carmen Castillo précise sans dire combien, le timbre des voix,  le rythme du montage et la construction du film participe à cette beauté plastique recherchée.

Ce film n’est jamais manichéen, il est en équilibre, il trace son sillon, un chemin qui permet de comprendre, qui permet de lier des lieux, des expériences, des luttes, des moments dont on n’aurait jamais pensé qu’ils soient aussi intimement proches.  

En regardant le film, vous allez rencontrer de bien belles personnes. C’est le talent de Carmen de les mettre en scène,  de réussir à obtenir d’eux le meilleur d’eux-mêmes.

Carmen dit encore : « Je voulais donner la parole aux anonymes en lutte et aller à la rencontre de personnes. Pas des mouvements, des abstractions. Mais des sujets qui, en même temps, font partie d'un collectif : les sans-terre au Brésil, la résistance indienne, le DAL en France, les syndicats ouvriers... »

Ce film montre à travers quelques exemples (comme d’autres films, mais avec une grâce, une acuité, une précision rare) combien les « sans dents », les « sans droits », le peuple a une expression riche, intelligente et créative.

Ce film est un antidépresseur pour jeune français sans avenir, pour donner l’énergie qui nous manque. Une sorte de viagra pour tous qui nous sortirait de l’impuissance subie et acceptée.

« Ce n'est pas un film sur le NPA, même si Daniel en était l'intellectuel. C'est tout, j'espère, sauf un tract. Il est politique, certainement ; mais puisqu’il y a un récit personnel, une dramaturgie fictionnelle, ce n’est qu’un film, pas un acte militant. C'est un film qui pose des questions. Je ne donne pas de réponses : les gens débattent ensuite, après l'avoir vu. »

Probablement j’écris ses mots, justement, parce que je me souviens de mon émotion et mon engagement en 1973 au moment du putsch des militaires contre l’unité populaire au Chili. J’écris ceci – certainement – parce que j’ai suivi tout cela depuis si longtemps et que j’ai vu comme Carmen, la vague néolibérale emporter – comme seule une idéologie simpliste peut le faire - la morale, l’intelligence, le droit, la justice et j'ai vu comment cette idéologie abîme au plus profond la nature même de nos vies.

Mais j’écris surtout ce billet par amour pour le cinéma qui n’a pas si souvent été servi de cette manière.

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