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Billet de blog 7 août 2013

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Petits mensonges, gros bobards et statistiques

L’Inspection Générale de l’Administration (IGA) a rendu, en juin dernier, un rapport sur « l’enregistrement des plaintes par les forces de sécurité intérieure ». La lecture de ce rapport est très instructive… pour ceux qui, jusque-là, se sont contentés de la communication officielle.

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L’Inspection Générale de l’Administration (IGA) a rendu, en juin dernier, un rapport sur « l’enregistrement des plaintes par les forces de sécurité intérieure ». La lecture de ce rapport est très instructive… pour ceux qui, jusque-là, se sont contentés de la communication officielle. Les autres trouveront, à la lecture de ce document d’une grosse centaine de pages hors annexes, la confirmation de ce qu’ils pensaient ou dénonçaient depuis de longues années déjà sans être beaucoup écoutés.

Les constats posés par le rapport de l’IGA sont accablants. Il y est question de délicate distinction entre faits délictuels et contraventionnels occasionnant l’escamotage d’environ 130 000 faits entre 2009 et 2011 ; de marge de manœuvre et risque d’erreur importants ; de délais excessifs qui peuvent fausser les états statistiques ; de la qualité de l’enregistrement des plaintes qui n’est plus depuis quelques années une priorité ; d’un désengagement de la hiérarchie du contrôle sur fond de politique du chiffre ; de certaines directives qui ont pu contribuer à minorer fortement les statistiques de la délinquance ; de report systématique, dans la capitale, de l’enregistrement des faits dès lors que les objectifs chiffrés assignés étaient atteints pour un mois considéré ; de statistiques ayant perdu tout caractère opérationnel ; de pratique de dissimulation massive ; du caractère anormal du taux d’utilisation des code « Q » et « K » respectivement destinés à mesurer les dégradations contraventionnelles et les déclarations d’usagers prises dans la main courante ; de généralisation d’une pratique consistant à décourager les victimes d’infractions financières de déposer plainte, en se limitant à porter à leur connaissance les dispositions du code monétaire et financier.

N’en jetez plus, la cour est pleine !

Autant de constats qui étaient largement dénoncés par les plus fins scientifiques, observateurs aviséset indépendants du monde de la sécurité et de ses productions statistiques. Lorsque ces derniers refusaient d’applaudir aux annonces ministérielles ou présidentielles, les tenants de la pensée unique les faisaient passer au mieux pour des agitateurs, au pire pour des dangereux laxistes. Leur parole, lorsqu’elle n’était pas écartée d’un revers de main, pesait alors bien peu.

L’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) a également formulé quelques préconisations dans ses rapports successifs. Qu’en est-il advenu ?

Comment expliquer que de tels constats aient été, durant de longues années, quasiment ignorés par de nombreux commentateurs qui, chaque mois, avalaient sans broncher la bouillie des statistiques officielles qui leur était inlassablementservie ? Comment ont-ils pu avaler de telles couleuvres alors que l’outil de mesure des chiffres de la police et de la gendarmerie nationale ne répond même pas aux critères européens de la statistique publique

Encore plus accablant, le rapport de l’IGA précise : « Tous les interlocuteurs, centraux et locaux, rencontrés par la mission, lui ont signalé que les objectifs quantitatifs de baisse de la délinquance, fixés aux services de police et de gendarmerie dans les dernières années, avaient dénaturé l’enregistrement des plaintes dans les services ».

Mais où étaient ces interlocuteurs durant ces années de maquillage en bande organisée des statistiques dites de la délinquance ? S’agissait-il des mêmes personnes qui souffriraient tout à coup d’une amnésie collective ? Où sont les membres de cette belle équipe qui se gargarisait mensuellement d’une « baisse continue de la délinquance » ? Où sont les chefs de service qui mettaient une pression intolérable sur les épaules des policiers de terrain les poussant ainsi jusqu’à la rupture ?

Certes, l’urgence est aujourd’hui à la remise sur pied d’un thermomètre fiable, permettant de traduire fidèlement les chiffres de la police et de la gendarmerie nationales. La création d’un service de statistique dédié, répondant aux normes européennes, au sein du ministère de l’Intérieur, est encourageante. La consolidation de l’indépendance de l’ONDRP au travers d’une Autorité Administrative Indépendante (AAI) irait également dans le bon sens.

Pour autant, le lourd constat depuis longtemps dénoncé et aujourd’hui couché noir sur blanc par le rapport de l’Inspection Générale de l’Administration devrait au minimum conduire l’administration de la place Beauvau à une certaine introspection. Elle devrait également conduire à ce que cesse, non dans le discours mais dans les actes surtout, cette politique du chiffre qui a fait tant de mal à l’institution police comme à celle de la gendarmerie. Un simple glissement sémantique du mot « chiffre » vers celui de « résultat » ne suffira pas à mettre fin à tant d’années de triche dont nos concitoyens sont les premières victimes.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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