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Billet de blog 11 mai 2015

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Un poulet chez les bavards

J’étais invité, samedi 9 mai, par le Syndicat des Avocats de France (SAF), à un colloque ayant pour thème « à la recherche du temps ». Je savais bien, avant même d’accepter cette invitation, que ma participation risquait inévitablement d’être interprétée par certains de mes collègues comme une incongruité. Sera-ce le cas ? Pour tout dire je m’en moque un peu.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’étais invité, samedi 9 mai, par le Syndicat des Avocats de France (SAF), à un colloque ayant pour thème « à la recherche du temps ». Je savais bien, avant même d’accepter cette invitation, que ma participation risquait inévitablement d’être interprétée par certains de mes collègues comme une incongruité. Sera-ce le cas ? Pour tout dire je m’en moque un peu.

J’ai fait le choix – depuis longtemps déjà – de ne jamais refuser une main tendue, si tant est qu’elle le soit dans le but d’ouvrir un vrai dialogue, empreint de respect mutuel et d’une saine et réciproque curiosité. Je crois que notre institution se grandit à accepter le dialogue, la contradiction, le débat. Le syndicalisme auquel j’appartiens, enfant de la défunte Fédération Autonome des Syndicats de Police (FASP), a toujours porté haut l’étendard républicain et cette volonté farouche de participer à la respiration démocratique. Ce syndicalisme est à l’origine du premier code de déontologie en 1986, de l’affichage de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans les commissariats à la même époque et d’avancées sociales considérables pour les policiers.

C’est dans ce sens que, depuis quelques années maintenant, j’ai accepté, sous l’impulsion de mon prédécesseur au poste syndical que j’occupe, la main tendue du monde de la recherche (CESDIP, ORDCS...), des associations comme « Open Society » ou « Graine de France » afin de débattre de la doctrine policière, des statistiques de la délinquance, des relations police/population, du contrôle dit « au faciès » et de bien d’autres questions en relation avec mon métier. Que n’ai-je d’ailleurs pas lu sur mon investissement dans ce dialogue républicain ? Notre concurrence syndicale, confortablement drapée dans un populisme ridicule, se contente le plus souvent de hurler à la nuit tombée pour finir par se taire dès que le jour se lève. Salissez, calomniez, dénigrez, il en restera toujours quelque chose !

Je n’ignore rien du risque qu’il peut y avoir de passer pour « l’idiot utile » aux yeux de certains observateurs et même de ceux avec qui j’accepte d’échanger. La règle du jeu de dupe que certains veulent imposer ne me concerne pas. Je ne cherche, dans ces échanges, qu’à dialoguer avec des interlocuteurs qui ne pensent pas forcément toujours comme moi. Si ce dialogue ne nous permet pas toujours – hélas et heureusement – de parvenir à une compréhension mutuelle, je crois pour autant qu’il en trace le chemin. Pour paraphraser Saint-Exupéry, si mes interlocuteurs diffèrent de moi, loin de me léser, ils m’enrichissent.

Nos professions – celles d’avocat et de policier – ont des points de vue différents, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous ne voyons pas toujours le monde de la même fenêtre. Pour autant, comme je l’ai précisé, à titre d’exemple lors du colloque, l’intervention des avocats lors des auditions en garde-à-vue – qui générait tant de craintes chez certains enquêteurs – a davantage relevé d’une adaptation des pratiques qu’elle ne s’est révélée chronophage. Elle a permis, en outre, que nos deux professions se parlent davantage et que chacun puisse constater les contraintes contre lesquelles l’autre peut lutter au quotidien. Que de défiances arrive-t-on à lever par le dialogue !

J’ai un grand respect et une tendresse particulière pour ce métier. Pourtant, il y a, dans le rapport à la vérité entretenu par les avocats quelque chose qui me pose question.

Convaincu que leur rôle est avant tout de défendre leur client, je pensais peut être naïvement que la manifestation de la vérité pouvait également avoir sa place dans le but poursuivi ; une vérité replacée dans son contexte, dans sa complexité et dans sa relativité mais une vérité tout de même. Pourtant, il semble que ce sujet soit plus complexe que je ne le pensais pour ces auxiliaires de justice qui se disent (tous ?) prêts à « accompagner un mensonge » s’il permet d’assurer la défense de leur client.

Qu’il peut être complexe le rapport que chacun entretient à la vérité ! En procédure ou lors du procès lui-même, il n’est pas rare de devoir l’accoucher dans la douleur mais aussi dans la délivrance au fur-et-à-mesure que les preuves tombent. Il y a même quelquefois là un côté esthétique que j’ai pu constater. Ce moment où le mis en cause se libère en soulageant sa conscience. Dans les affaires de mœurs, j’ai même observé, une fois au moins devant une Cour d’assises, l’avocate du prévenu accoucher elle-même de cette vérité car son client s’en montrait incapable. Ses actes lui paraissaient psychologiquement trop monstrueux pour être reconnus de sa bouche. Le conseil disposait-il de l’autorisation de son client pour agir ainsi ? Avait-il convaincu le prévenu de cette solution qui le protégeait artificiellement d’une humiliation mais apportait à la victime ce soulagement d’entendre qu’elle n’était tout simplement responsable de rien ?

Je ne prétends pas détenir la vérité. J’ai néanmoins quelques convictions sur le rapport qu’on devrait entretenir avec elle. L’une d’entre elles me fait dire qu’il doit être bien difficile pour sa conscience d’accompagner un mensonge ou, pire, de lui donner de la consistance dans une plaidoirie. Il m’est arrivé jusqu’il y a peu de siéger au sein des conseils de discipline de ma profession. J’y ai défendu de nombreux collègues. En plus de dix années d’expérience, j’ai tenté de garder une ligne claire. Même si je peux avoir été trompé par un de mes collègues comme un avocat peut sans aucun doute l’être par son client, il ne me semble pas avoir accompagné un mensonge en conscience.

De ces échanges au cours d’une matinée de colloque marseillais, nous resterons donc sur quelques points d’incompréhension et de désaccord. Je regrette d’ailleurs de n’avoir pas pu rester pour pousser plus avant la controverse. Cette question du rapport à la vérité ou celle de l’accès au dossier lors de la garde-à-vue mériteront d’autres échanges, d’autres discussions enflammées et, qui sait, d’autres colloques au fil desquels le poulet reviendra peut être chez les bavards avec la volonté d’écouter, de comprendre et pourquoi pas de convaincre.

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