L’IJAT a été instituée par le décret n°61-1066 du 26 septembre 1961, en faveur des fonctionnaires des Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) se déplaçant en unité ou en fractions d’unité dans les départements métropolitains ou d’Outre-mer. Elle est destinée à rémunérer la mobilité de ces policiers et à compenser les contraintes que cela peut occasionner pour eux ou pour leurs familles.
Fixée à 30 euros par jour depuis 2002, cette indemnité a fait l’objet de pourparlers début 2015 avec, à l’issue d’une négociation houleuse, dans un contexte tendu en matière d’emploi de ces forces mobiles, la signature d’un protocole d’accord entre les deux principales organisations syndicales et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Cette indemnité journalière sera portée, en trois étapes étalées sur dix-huit mois, à 39 euros au 1er janvier 2017.
A l’époque de ces négociations, le ministre de l’Intérieur annonçait que le principe de la défiscalisation de cette indemnité serait maintenu. C’était sans compter sur le zèle de la Cour des comptes et de Bercy qui ne l’entendaient semble-t-il pas de cette oreille. En moins de 24 heures, le ministre de l’Intérieur réglait pourtant le dossier en annonçant, par un courrier aux fonctionnaires concernés, le vote prochain d’une loi destinée à maintenir le régime fiscal actuel de cette indemnité.
On peut donc noter l’empressement de l’administration police à régler un dossier si complexe, dans une maison où les hauts fonctionnaires sont trop souvent enclins à expliquer pourquoi on ne peut pas changer les choses. Dans un contexte d’état d’urgence et de missions sensibles telles que celles de Calais ou de Paris, il est bien évident que le ministre de l’Intérieur ne peut se permettre de laisser une colère trop importante s’installer au sein de ces unités.
Davantage que cet épisode de grogne au sein des CRS, c’est surtout les réactions de certains policiers affectés dans d’autres services qui ont attiré mon attention. Ainsi, dans les couloirs de nos commissariats ou sur les réseaux sociaux, on a pu entendre ou lire quelques récriminations contre les fonctionnaires bénéficiaires de cette indemnité journalière et leurs syndicats.
Ainsi, selon ces contradicteurs, la défiscalisation de l’IJAT des CRS représenterait un privilège exorbitant. Les syndicats de police seraient, toujours selon ces grognons professionnels, plus prompts à défendre cette corporation très syndiquée qu’à revendiquer pour les autres composantes de la police nationale. Comme si, au fond, les avantages accordés aux CRS pour compenser l’éloignement de leurs familles l’étaient au détriment du reste de l’institution.
Tout d’abord, il me semble important de rappeler à ces esprits chagrins que nos collègues des Compagnies Républicaines de Sécurité sont éloignés de leurs familles près de deux cents jours par an. Il n’est donc pas anormal que cette contrainte soit compensée financièrement. Tout policier qui souhaiterait bénéficier de « cet avantage » peut solliciter une affectation au sein d’une des soixante-et-une compagnies existantes sur le territoire national. Il n’y a d’ailleurs, sauf à me tromper, plus de limite d’âge pour cela.
J’attire également l’attention de ces mêmes détracteurs sur une évidence qu’ils refusent hélas de voir, préférant se concentrer sur la paille plus que sur la poutre. A chaque fois que, ces dernières années, l’administration a voulu porter atteinte aux intérêts collectifs ou individuels des CRS, nos collègues ont fait la démonstration d’une cohésion sans faille afin de s’opposer aux réformes les plus nuisibles. Il en a été ainsi lorsque le ministre de l’Intérieur a voulu, il y a quelques années maintenant, procéder à la fermeture de deux unités. C’est encore aujourd’hui le cas lorsqu’il est question de porter atteinte à un acquis social conséquent.
Au-delà de ces quelques précisions, je crois profondément que ce n’est pas en nous divisant, ce n’est pas en regardant, de façon obsessionnelle, ce que est servi dans l’assiette de son voisin, ce n’est pas en pratiquant un syndicalisme comparé d’arrière salle qu’on permettra à notre profession de progresser.
Disons-le donc tout net. C’est vrai, les conditions de travail dans de nombreux services de police sont inacceptables. Oui, nos collègues affectés au sein des services d’investigation, dont certains très prestigieux, se voient refuser la prise en charge d’une simple fiche de frais pour de futiles motifs administratifs. Oui, nos collègues de sécurité publique, amenés à se déplacer sur le territoire national pour des grands évènements (G20, anniversaire du Débarquement en Normandie…) ne touchent pas un copeck pour compenser ce déplacement. Des collègues sont régulièrement amenés à effectuer certaines missions dans des véhicules hors d’âge, d’autres surveillent des locaux de garde-à-vue où on ne mettrait pas son chien, d’autres encore marquent des centaines d’heures supplémentaires qu’ils ne pourront récupérer, au mieux, qu’à leur départ en retraite. Tout cela existe et bien d’autres choses encore. Je le constate de façon régulière.
Non, les syndicats de police n’en font peut être pas assez pour que les réalités quotidiennes en question changent. Oui, ces mêmes syndicats – certains plus que d’autres il me semble, suivez mon regard – sacrifient quelquefois les intérêts collectifs de la profession au prix de quelques intérêts individuels en termes de mutations ou d’avancements prioritaires pour leurs adhérents. Car, soyons-en conscients, quand on revendique sur les conditions de travail en général, c’est bien souvent en secouant des hiérarques qui n’aiment pas bien ça, et qui préfèrent des syndicalistes qui, bien plus prudents, attendent sagement leur retour sur investissement.
Mais nous avons, au fond,la démocratie sociale que nous méritons.
D’une part, parce que les délégués syndicaux sont, dans notre pays, élus, et non auto désignés. Combien de collègues sont aujourd’hui prêts à s’investir au service de leurs collègues et de leur profession, souvent au détriment de leur vie personnelle et professionnelle ? Hein, combien ?
D’autre part, parce que si les syndicats de police sont aussi présents dans la gestion des « gamelles et des bidons », des mutations et des avancements, c’est parce que nombreux sont les policiers qui attendent avant tout cette gestion boutiquière de la part de représentants du personnel qu’ils côtoient tous les jours dans les services. « Si tu peux me faire muter, je prends mon timbre chez toi ! »
Et si nous voulons que tout cela change, il faut s’investir. Il faut aussi avoir conscience que l’intérêt général n’est pas constitué de la somme des intérêts particuliers. Il faut enfin comprendre que seule une large, une très large mobilisation, permet de faire bouger les lignes au sein d’une administration qui – hélas, je le regrette très sincèrement – ne respecte bien souvent que ce qu’elle craint.
Et si les CRS ont réussi, depuis leur création après-guerre, à faire progresser puis à sauvegarder leurs acquis sociaux mieux que d’autres pans de la profession, c’est avant tout grâce à leur cohésion face à des administrations successives qui, pour certaines au moins, rêvaient jour et nuit de faire reculer leurs acquis sociaux afin de réaliser des économies. Tout cela s’est réalisé sans révolution, sans démonstration démesurée de force, mais dans une cohésion et une solidarité sans faille.
Mais préférons donc jalouser en silence les avantages acquis par ces collègues et leur capacité à défendre leurs conditions de travail. Préférons montrer du doigt ceux qui, pour reprendre une métaphore rugbystique, mettent bien souvent la tête là où d’autres refuseraient de mettre les pieds. Continuons à penser que ce qu’obtiennent les CRS l’est forcément au détriment du reste de la profession. Ainsi, rien ne bougera et les représentants de notre administration continueront à dormir sur leurs deux oreilles, gavés de prime de résultat et de performance, dans l’opacité la plus complète. Et nos gentils grognons pourront, dans le confort de leurs certitudes, continuer à accuser ces « salauds de CRS » !