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Billet de blog 1 janvier 2014

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Journal de bord du Commandant Popotski

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Édito
L’exposition Intelligentsia, clôture de l’Année «France Russie 2012, langues et littératures»
Placée sous le parrainage de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et de M. Sergueï Narychkine, président de la Douma d’État de Russie, l’Année littéraire «France Russie 2012, langues et littératures » a célébré à travers plus de soixante-dix manifestations les relations intellectuelles, linguistiques et littéraires privilégiées entre nos deux pays.
Parce que « le passé tourne autour du présent », comme l’écrivait Georges Bernanos, il est apparu évident à l’Institut français et à la Direction des Archives du ministère des Affaires étrangères que cette année littéraire se devait de porter un regard original et rétrospectif sur ce qui fait, encore aujourd’hui, la spécificité des relations intellectuelles et littéraires franco-russes. Permise par l’ouverture exceptionnelle de l’ensemble des archives de la Fédération de Russie, l’expertise de Véronique Jobert et Lorraine de Meaux ainsi qu’une étroite coopération avec l’École nationale supérieure des beaux-arts et sa directrice des éditions Pascale Le Thorel, cette exposition donne naturellement à voir les séductions et illusions de l’idéologie soviétique,l’engagement de la littérature dissidente et lesefforts de propagande, mais aussi, bien plus généralement, les regards divers portés en France sur la Russie: regards enthousiastes et critiques qui ont entretenu débats et polémiques au sein de la société française pendant près d’un siècle. Elle vient aussi utilement rappeler que, précédées par la passion ancienne et jamais démentie du public français pour les lettres russes du XIXe siècle, les relations culturelles entre la France et la Russie ne se sont nullement étiolées au long de ce « court XXe siècle » qu’ouvre la révolution d’Octobre et que clôt l’effondrement du bloc soviétique en 1991.
Les trois cents documents, méconnus ou inédits, présentés au public, illustrent aussi bien le célèbre voyage en URSS d’André Gide que
l’affaire Pasternak. Ils témoignent que dans un contexte de tension croissante dans les relations interétatiques, les sociétés civiles et les scènes
intellectuelles française et russe ont continué de dialoguer et maintenu un lien et une amitié ancienne entre nos deux pays. L’Institut français, qui est à l’origine de cette exposition, avec la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères, joue ici pleinement son rôle pour développer les échanges intellectuels et artistiques à l’international.
Xavier Darcos
Président de l’Institut français
Commissaire général pour la France de l’Année « France Russie 2012 : langues et littératures »
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C'est dans le contexte décrit plus haut qu'à été porté à la connaissance des chercheurs le recueil des écrits du commandant Popotski (Иван Клод Попоцкий), officier légendaire de la Marine soviétique, décoré de l'ordre de Lénine, de l'Ordre de la Gloire, étoilé d'or de l'Union Soviétique, décoré, entre autres, de L'Ordre de Bogdan Khmelnitsky, de la Médaille de la défense des régions polaires, de l'Ordre de la Victoire et atteint d'une hernie discale lombaire due au port prolongé de l'ensemble de ses décorations durant les cérémonies officielles.
D'une grande bravoure, le commandant Popotsky se distingua durant le deuxième conflit mondial par son zèle acharné à combattre la Kriegsmarine au péril de sa vie. Cet épisode fit de lui un personnage connu de tous et cité en exemple par les manuels scolaires soviétiques comme un modèle de courage et de dévouement. Jusqu'à ce jour, cependant, le journal de bord dont les extrait son présentés ici n'avait pas été rendu accessible. Il constitue un témoignage de première main sur les conditions de vie des combattants soviétiques de l'époque, ainsi que sur les valeurs qui les ont animés face à la barbarie nazie.

Extraits du journal de bord du commandant Ivan Klodevitch Popotski
7 Avril
Voilà des mois que je n'ai pas vu la terre ferme, la bonne vieille terre de ma patrie soviétique, les vertes et vastes plaines où il fait si bon vivre le collectivisme dans la fraternité ouvrière. Comme c'est loin tout ça. Parfois, j'en pleurerais en rentrant dans ma cabine, après être resté face à ce miroitement infini et cet horizon brumeux dans lequel se fondent les vagues et le ciel, la seule chose que je voie dans mon périscope. Quand je vois quelque chose. Parce que la nuit, c'est pire. Même dans la lunette infra-rouge, c'est le vide absolu.
8 Avril
Encore une journée de foutue. Même pas une coquille de noix à torpiller. Bon Dieu, mais où sont les boches?
9 Avril
Aujourd'hui, j'ai battu le quartier-maitre Vilénovitch aux dés. Ce con n'a même pas vu que je trichais. Je l'ai mis en bouillie. Ou alors, s'il l'a vu, il n'a rien dit. C'est un bon communiste. Un peu fruste, certes, mais toujours prêt quand il y a de l'action. Dommage qu'il n'y ait rien à foutre à longueur de journée à part lire des cartes de fonds sous-marin. Bordel, mais qu'est-ce qu'il foutent, ces salopards d'ordures nazies?
10 Avril
Aujourd'hui j'ai coulé un bateau de pêche. Je ne suis pas sur que ça soit des boches: ils n'avaient pas de pavillon. Mais je préfère ne pas prendre de risques, et tirer sans savoir, plutôt que laisser passer des espions nazis. De toute façon, il n'y a pas d'innocents. Soit c'était une bande de nazis et j'ai bien fait, soit c'était des neutres et c'était forcément des complices des nazis. Car si l'on ne fait rien contre les nazis, c'est qu'on est forcément un nazi soi-même. Qu'on ne vienne pas me parler d'innocents pêcheurs. Est-ce que je pêche moi? Le devoir d'un bon communiste, c'est la guerre. Un point c'est tout.
Leur bateau a sombré rapidement, du travail sans bavure.
Le plus dur, pour moi, c'est les survivants. On les voit s'agiter, à travers le périscope, essayant désespérément de sauver leur misérable peau en s'accrochant qui à une bouée, qui à un tonneau, qui à un morceau d'épave doté de capacités de flottaison. Le plus atroce n'est pas qu'il meurent, tout le monde meurt, un jour ou l'autre. Non, ce qui est insupportable, c'est le temps qu'ils mettent à quitter cette vie dérisoire. Ils crient, ils pleurent, ils s'arrachent les poumons en appelant leur mère tandis que leurs membres se paralysent de froid.
J'ai donné l'ordre d'émerger, je n'en pouvais plus, c'était inhumain.
Je suis monté sur le pont extérieur et je les ai fini moi-même à la kalaschnikov. Mon humanité me perdra, je le sais. Pourtant, depuis longtemps, je m'efforce d'annihiler tout sentiment bourgeois en moi, comme la pitié ou la sympathie. Mais de temps en temps, ça ressort. On n'est pas des machines.
Vilenovitch, voyant que mes nerfs avaient lâché, est monté derrière moi. Il en a achevé deux à la rame. C'est un bon communiste.
11 Avril
Aujourd'hui, rien.
12 Avril
Toujours rien
13 Avril
Si ça continue comme ça, il va falloir trouver quelque chose pour distraire les hommes. Je pourrais demander à Vilénovitch de faire ce fameux duo prolétarien où nous chantons l'internationale habillés en danseuses de cancan. C'est un truc qu'on faisait à l'école de guerre, les soirs d'hiver, après l'entrainement. On est très au point tous les deux. Mais c'est une cartouche que je garde pour les moments de crise. J'ai peur qu'après ça, si le calme dure encore, les hommes commencent à désespérer.
Je crois que je vais faire une lecture commentée du Capital.
14 Avril
Bon Dieu, c'est pas possible. Quand je suis parti en mission, le camarade Joseph Staline lui-même m'a embrassé à la russe au moment d'embarquer. C'est un signe qui ne trompe pas: quand il fait ça, c'est que la mission est désespérée, on n'a quasiment aucune chance d'en revenir. De toutes façon, si on en réchappe on est fusillé pour homosexualité petite-bourgeoise.
Mais je n'ai pas peur de la mort. Un bon communiste peut regarder la mort droit dans les yeux et lui cracher au visage. Notre vie n'est rien, seule compte la victoire du Parti.
Mais si ces enflures moisies de crotte de bique nazie, se décidaient enfin à apparaitre.
15 Avril
Vilénovitch me regarde d'un drôle d'air depuis que j'ai jeté sa guitare à la mer. Je l'avais pourtant prévenu: pas de chants contre-révolutionnaires à bord. Pourtant, hier soir, je l'ai surpris en train de s'agiter sur le bord de sa couchette et de marmonner un truc du genre bibapaloula chizmabébi. Il a eu beau prétendre que c'était une chanson traditionnelle ingoutche, on ne me la fait pas. J'ai tout de suite compris qu'il avait encore abusé de ces petites cigarettes afghanes qu'on trouve dans certains de nos ports. Pour la chanson, j'aurais pu passer l'éponge, mais fumer à bord, c'est impossible, je ne peux pas tolérer ça. Sinon mon autorité sera sapée. Je lui ai pris sa guitare et je l'ai passée par le tube lance-torpille. Pendant un bref instant, j'ai cru qu'il allait piquer une crise. Sa lèvre inférieure s'est mise à trembler et ses yeux ont lancé un bref éclair. Puis il s'est ressaisi. Il a pris une grande respiration et a dit: c'est pas grave, j'ai un harmonica. Il est retourné sur sa couchette et s'est mis à jouer l'internationale. L'équipage était soulagé, et moi aussi. C'est un bon communiste. N'empêche, il a tout de même un drôle d'air. Je crois que je vais l'envoyer fumer sur le pont extérieur pendant les émersions techniques de radiocommunication avec le commandement. Il faut être sévère avec la discipline mais il ne faut pas humilier les hommes.
16 Avril
Horreur, cette nuit le bâtiment a bien failli être en perdition. J'avais pris ma pause comme d'habitude en laissant le commandement au second et je me suis couché en lisant les Principes du Léninisme, l'ouvrage de notre guide suprême. Je ne sais pas ce qui s'est passé, ça m'a fait un curieux effet. J'ai commencé à faire des cauchemars. J'étais dans un berceau et je voyais le camarade Staline habillé en nounou en train de le faire balancer. Au début, il chantait doucement et le bercement était très agréable. Mais progressivement, il se mettait à bouger mon berceau de plus en plus fort. Sa voix aussi devenait plus forte. Il me regardait d'un air perçant en me demandant ce que j'attendais pour affronter l'immonde vermine nazie. J'essayais de lui expliquer que ce n'était pas de ma faute si les bâtiments ennemis ne croisaient pas dans les parages mais il n'avait pas l'air de me croire. Il commençait à me reprocher de douter de lui, à penser que je savais mieux que lui comment diriger la lutte immortelle de l'émancipation prolétarienne. Je crois qu'il y avait un fort roulis, cette nuit-là. C'était sans doute la raison de ce mauvais rêve. Dans mon délire hypnagogique, j'étouffais littéralement. À moitié somnambule, je déambulai jusqu'au compartiment de tir et, sous les yeux médusés des hommes de quart, j'ouvris un des tubes lance-torpilles en disant: ah, un peu d'air, ça fait du bien.
Par chance, Vilénovitch était éveillé, il faisait des exercices de yoga toutes les nuits dans la coursive. Il fit évacuer la zone immédiatement en fermant les portes de sécurité et empêcha la voie d'eau de prendre des proportions irrémédiables. Quel communiste nous avons là. Bien qu'autodidacte et un peu fruste, il est toujours sur le qui vive.
17 Avril
J'ai fait fusiller Vilénovitch. La décision n'a pas été facile à prendre mais c'était la meilleure solution. Comme il a fallu émerger en urgence et évacuer l'eau du compartiment des torpilles, l'incident a été consigné dans le journal de bord. Il fallait un coupable, sans quoi quelqu'un, quelque part, un jour, aurait pu douter de l'infaillibilité de la chaine de commandement. Ce n'est pas imaginable. Que deviendrait l'aspiration sacrée des travailleurs à se libérer de leurs chaines? La volonté farouche de briser à tout jamais le joug qui les opprime?
On l'a fait sortir sur le pont extérieur. Vous imaginez sans peine qu'on ne peut pas fusiller quelqu'un à bord du bâtiment sans l'endommager. Il est resté digne jusqu'au bout après avoir fumé sa dernière cigarette afghane. Il n'a pas manifesté la moindre frayeur devant la mort. Il a juste dit: c'est cool par ici, on entend le bruit de l'eau.
C'était un bon communiste.
18 Avril
Merde, toujours pas de bâtiment ennemi en vue. Je me demande si nous n'avons pas fait une erreur de calcul de position. Pourtant, je sais qu'il y a des bâtiments nazis dans les parages. D'après le renseignement militaire le cuirassé Bigenwald faisait route sur nous. Il ne s'est pas volatilisé, tout de même. Et le Porfirio, bon sang, ce contre-torpilleur espagnol phalangiste. Mais où sont-ils donc passés?

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