L'attaque est rude: sous les traits joviaux de deux contrôleurs des finances représentant le service public se cache en fait le rictus hideux du Grand Capital, décidé à museler la presse et à faire reculer les maigres libertés qui nous restent. Mais, au nom de ces libertés si chèrement acquises par le sang de nos anciens, nous n'avons pas le droit d'abandonner le terrain de l'information à la presse-purée, aux feuilles de chou stipendiéés, à la communication officielle du pouvoir et au story-telling des spin doctors. La classe ouvrière a le droit de savoir ce qui se trame dans les arrière-boutiques de la finance mondialisée. Non, nous ne laisserons pas le champ libre aux officines louches de la désinformation. D'ailleurs à y bien regarder, tout n'est pas perdu, loin de là. Inutile, comme de bienveillants lecteurs l'ont suggéré, de transférer le siège social de Médiapart aux iles Caïman. Bien au contraire, comme souvent, la solution est plus évidente qu'il n'y parait.
Le plus simple serait qu'Edwy Plénel prenne sa plus belle plume pour écrire au Ministre des Finances.
Un truc du genre:
Mon vieux Pierre,
Le nouvel an arrive à grand pas et je n'ai même pas eu le temps de prendre de tes nouvelles. C'est incroyable la vie qu'on mène. On n'a plus le temps de rien faire. Ah, c'est plus comme au bon vieux temps où je m'appelais Krasny et où on se croisait à la LCR.
En tout cas, toi, tu as fait ton chemin, on peut dire que tu as un bon job maintenant. Qui aurait cru ça à l'époque?
Au fait, j'ai quelques petits soucis avec tes employés: figure-toi qu'on me réclame un gros paquet de TVA. Je suis persuadé que c'est une erreur mais tu sais comment est l'administration: avant qu'ils aient rectifié, ça va prendre des lustres. Et comme j'ai dans l'idée de faire un petit tour de table pour trouver de nouveaux partenaires, je ne voudrais pas que Médiapart passe pour un investissement risqué. Je n'aurais plus que des investisseurs véreux devant moi. D'ici à ce que je me retrouve avec Tapie comme seul prétendant, ça la foutrait mal.
Aussi, si tu pouvais bien régler ce petit malentendu, en souvenir du bon vieux temps.
Je sais qu'on n'a pas été très sympa avec toi, ces derniers temps. Mais c'est normal, on ne partage pas tes points de vue sur la conduite des politiques économiques. Sans compter qu'avec le lectorat qui nous vient de chez Méluche, on ne peut pas trop faire dans la dentelle. Surtout depuis qu'il a dit qu'avec toi, on est devant le comportement de quelqu’un qui ne pense pas français, qui pense finance internationale. On aurait l'air mou du genou.
Après, on a dit que tu étais porteur d'une révolution conservatrice. C'est notre opinion, et nous la partageons. Laurent a peut-être un peu exagéré en disant que tu encourageais à la triche sur le Crédit d'Impôt Compétitivité. Il a peut-être oublié que sous Sarko, ledit crédit donnait systématiquement lieu à un contrôle fiscal. Mais tout ça n'avait rien de personnel, tu le comprends bien. C'est comme quand il a dit il y a évidemment quelque chose d’affligeant à voir un ministre des finances jouer les « toutous » devant un parterre de chefs d’entreprise. Chez nous, à Médiapart, l'expression toutou n'a rien de vexant, car on aime les animaux. Il a parlé aussi de Tango d'amour Moscovici-Gattaz. Mais tu sais comment est Laurent: il regarde trop Danse avec les stars. Après il a des images un peu audacieuses. Mais c'était une forme de compliment de sa part, car lui-même danse comme un manche à balai. J'espère que tu ne t'es tout de même pas imaginé qu'on te voulait du mal.
C'est comme cette histoire sur Itélé, le 7 avril 2013. Certes, je t'ai salement balancé pour Cahu mais, au fond, je savais bien que tu t'en remettrais. C'était juste pour le sport. C'est vrai aussi qu'on a parlé de reconstitution de Ligue Sarkozyste dissoute avec ton management du ministère. Mais c'était une private joke: des dissolutions, on en a connu à la LCR. On t'a aussi accusé d'avoir aidé Lagarde a échapper à la mise en examen devant la Cour de Justice. Laurent a parlé aussi de foutage de gueule, à propos de la retraite de Varin. Que veux-tu, c'est notre style. On ne fait pas dans le compassé, nous. Notre lectorat ne comprendrait pas.
C'est comme quand on dit "Le projet de loi de finances pour 2014 qui sera examiné, mercredi 25 septembre, par le conseil des ministres va donner le coup d’envoi d’un débat sur les impôts parmi les plus glauques qui aient jamais eu lieu sous un gouvernement de gauche. (...) sous les applaudissements du patronat". Tu nous vois dire que nous avons des craintes pour l'équité fiscale? Franchement? Avec le lectorat qu'on a, il leur faudrait un décodeur.
Oui, je reconnais que Martine n'aurait pas du dire que tu avais conservé le Directeur du Trésor par pur dilettantisme, mais, là aussi, c'est un effet de style. On n'a jamais suggéré que tu étais une feignasse, c'était un hommage discret à ton côté bon vivant, épicurien. Mais pas Strauss-Khanien, hein? On n'a pas dit ça. Enfin, pas ouvertement.
Enfin bref, comme tu le vois, il n'y a aucun malentendu qui ne cède la place à une bonne mise au point et tu réalises bien que, sous des dehors un peu va-de-la-gueule, nous sommes animés d'un esprit de modération dans la critique qui s'étend jusqu'aux commentaires de nos articles. Nous sommes avant tout politiques, les adjectifs blessants, c'est juste pour illustrer, pour donner des points de repère à notre lectorat..
Aussi, si tu pouvais dire à ton personnel de nous lâcher un peu, ce serait sympa. Le ras-le-bol fiscal, tu connais, je crois?
Bien à toi
Edwy