Les dernières "performances" sanglantes d'Israël au Liban soulèvent l'admiration d'un système de propagande complaisant. On admire l'efficacité, la force d'Israël.
Mais Israël est-il si fort ? Le Mossad est-il ce "superman" que l'on décrit ? En fait, ce qui fait apparemment leur force, ce sont les faiblesses du camp adverse, ce sont des erreurs comme celles-ci. Se réunir à Beyrouth, dans son QG, à son adresse officielle, comme il semble que l'ai fait Hassan Nasrallah, n'est-ce pas insensé ! Comment l'expliquer ? Combien de hauts cadres du Hizbollah ont-ils été tués ces dernières semaines chez eux ou au siège connu de tous de leur commandement. Tués ainsi sans même qu'ils combattent. Etre manipulé ainsi pour en arriver à envoyer soi-même, 5000 bippers piégés, à ses cadres, ses militants, à ses partisans, les blesser, les mutiler ainsi sans même qu'Israël n'ait à le faire, les acheter, sans avoir sécurisé le processus de leurs achat, sans même les contrôler à la réception, c'est de même incroyable ! Comment ne pas critiquer comme le font beaucoup dans la résistance arabe. ?
Un cri de douleur et de peine
Mais aussitôt ces critiques faites, qu'on se demande si elles sont de mise. Comment se permettre de donner des leçons à quelqu'un comme Hassan Nasrallah qui a tenu tête à Israël et aux USA depuis trente ans, qui a obligé Israël à quitter le Liban après son invasion, qui a survécu à tous les pièges des ennemis et des faux amis, qui a déjoué toutes les tentatives de division du peuple libanais et de guerre civile, qui a rendu sa fierté aux Libanais , Nasrallah, celui admiré dans l'opinion arabe pour sa rationalité, sa modernité face au langage creux et ronflant des autres dirigeants arabes.
Le cri de colère, qui a éclaté chez beaucoup de ses partisans, devant sa mort est en réalité un cri de peine, d'affection, un cri de douleur de voir un tel homme et ses valeureux compagnons mourir ainsi, tomber ainsi, se faire piéger pour des raisons qui semblent anodines, en tout cas disproportionnées par rapport à leurs terribles conséquences, des raisons qu'on ne s'explique pas.
Le talon d'Achille
Et pourtant il faut bien arriver à les expliquer, et cela pour l'avenir du Liban lui-même. Il faut bien essayer de comprendre ce qui s'est passé. Quelles explications trouver ?
La tâche du Hizbollah est extrêmement difficile, complexe dans le Liban tel qu'il est. Elle lui impose d'être à la fois un parti politique et un mouvement de résistance armé. La première tache impose la visibilité et donc d'être exposé aux coups de l'ennemi et de ses agents. La deuxième, la clandestinité, et donc le secret, le silence. Une contradiction difficile à gérer. Comment combattre Israël tout en ne mettant pas en danger l'existence de l'Etat libanais, et tenir compte ainsi des exigences de ses alliés libanais, éviter les reproches, les divisions, les pièges d'un ennemi aux aguets, dont la stratégie essentielle est la division des libanais et leur paralysie par la guerre civile? Si l'on ose une comparaison, le FLN, en Algérie, n'était pas embarrassée par les contraintes de la défense de l'existence d'un Etat, et pouvait mener totalement son action de résistance, sans aucune pression et limites. On peut se demander d'ailleurs si cette activité politique du Hizbollah ne l'a pas souvent exposé: réunion, meetings, gigantesques manifestations populaires de démonstration de force mais aussi de révélations de ses forces à l'ennemi, et ceci à l'époque de l'intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale.
Il faut se demander si là n'est pas son talon d'Achille. Qu' 'il ait ainsi pignon sur rue, en tant que parti gouvernemental est peut être une explication à ces frappes qui ont atteint ses cadres. L'efficacité n'aurait-elle pas demandé plus de modestie, de réserve, de secret?
Ceci expliquerait donc la vulnérabilité du Hizbollah aux infiltrations d'éléments ennemis, et à la trahison . C'est en tout cas l'explication qui prédomine dans les médias et chez les analystes arabes, pour expliquer les coups terribles reçus par le Hizbollah ces dernières semaines. L'explication par la trahison.
La trahison
Mais la trahison ne serait-elle pas une explication trop facile. Dans tout conflit, il faut faire avec les trahisons. S'en préserver, les combattre est une part de la lutte contre l'ennemi. La lutte contre la trahison est d'abord une question d''organisation, de rigueur; Elle exige une lucidité extrême sur la nature de l'ennemi.
L'erreur commise par Nasrallah, de se réunir dans le siège si connu de son mouvement, peut-elle seulement s'expliquer par la trahison. Ne serait-elle pas due à l'idée qu'Israël ne franchirait pas cette ligne rouge, son assassinat direct, en tant que le principal dirigeant libanais, C'est souvent le cas dans les conflits où il y a une sorte d'accord implicite sur ce point, l'assassinat des dirigeants adverses, et que le franchissement de cette frontière fait passer à une autre dimension du conflit. N'y a-t-il pas eu là la sous-estimation de la nature sans aucun scrupule du sionisme, , comme l'a montré toute l'histoire de la résistance palestinienne. C'était ne pas vraiment comprendre qu'Israël était capable de tout, au sens littéral du terme. L'exemple des bippers, celui du génocide de Gaza le prouvaient pourtant. La sous-estimation de l'ennemi, de ses caractéristiques, c'est la seule explication qui vient à l'esprit pour une pareille erreur.
La comparaison la plus proche avec la lutte nationale en Palestine et au Liban est celle de la lutte de libération algérienne. Ce qui a peut-être éclairé et protégé le combat de l'Algérie, la lutte menée par le FLN, c'est que toute l'histoire de ce combat, depuis les premiers jours de la conquête coloniale, avait appris au mouvement national la nature machiavélique, par essence, de tout colonialisme. Lorsqu'après bien des déboires, des tromperies, des échecs douloureux, le mouvement national s'est pénétré de cette certitude, s'est doté de ce "blindage", il a alors été prêt à affronter le colonialisme et le vaincre..
Le Liban et l'Algérie
On donne souvent comme argument les particularités du Liban, la proximité d'Israël,, la présence au Liban même de forces politiques qui ont pactisé avec Israël pendant la guerre civile jusqu'à commettre avec lui les massacres de Sabra et Chatila, l'hostilité de ces forces au Hizbollah, leurs connexions avec Israël et l'ancienne puissance coloniale, la France. Il y a certes de tout cela au Liban et qui peut expliquer la présence de relais à la trahison.
En Algérie, le premier novembre 1954, les conditions étaient, par certains côtés plus difficiles qu'au Liban. Les Algériens étaient 9 millions La communauté coloniale française comptait plus de 1 million de membres. Il y avait 130 000 juifs naturalisés français et qui étaient pour leur quasi-totalité partisans de l'Algérie coloniale française. Beaucoup de leurs descendants se trouvent aujourd'hui en Israël parmi les colons les plus actifs et les plus extrémistes contre les Palestiniens. Il y avait en Algérie environ 1 million de militaires français armés et équipés en grande partie par les Etats Unis et l'OTAN. Il faut y ajouter 300 000 harkis, supplétifs de l'armée française. Il faut aussi mentionner les familles algériennes proches de la France, ou avec des sentiments et des positions ambigües. Enfin, il n'y avait pratiquement aucune possibilité pour l'ALN d'obtenir des armes comme c'est le cas pour la résistance libanaise. L'Algérie était enfermée à ses frontières Est (Tunisie) et Ouest (Maroc) par deux lignes électrifiées et minées de 750 km chacune les lignes Morice, renforcées à l'Est par la ligne Challe. Il n'y avait qu'une seule possibilité pratiquement de combattre: prendre ses armes à l'adversaire. Sans parler du contexte international où le colonialisme était encore dominant en Afrique etc..
Ils sont en réalité faibles
En 1945, le colonialisme français s'était livré à une immense boucherie, tuant 45 000 algériens. L'armée et les colons brûlent les corps des algériens par milliers dans un four crématoire comme à Auschwitz, Buchenwald et Dachau. Des témoins parlent de "l'odeur insoutenable de la chair brûlée"(1)
Le général Duval, qui mène la répression sur ordre du General De Gaulle, président du gouvernement provisoire français, dira, le 16 mai 1945, dans un rapport à ses supérieurs: "Je vous ai donné 10 ans de paix" (1). Il ne croyait pas si bien dire: 10 ans environ après, en 1954, éclatait la révolution de libération algérienne.
Comme en Palestine et au Liban, les résistants font des erreurs, mais ils s'en remettent. En Algérie, l'armée française avait utilisé les mêmes méthodes que les israéliens aujourd'hui, celle de distiller la méfiance et la paranoïa dans les rangs du FLN et de l'ALN, en faisant croire qu'ils avaient de nombreux agents et informateurs dans les rangs de la résistance algérienne. Cela avait donné lieu à ce douloureux drame connu sous le nom de "bleuite", à la fin de l'année 1957, où beaucoup de combattants sincères avaient été soupçonnés et avaient perdu la vie. On peut remarquer qu'actuellement tout le réseau lourd des médias occidentaux, en liaison avec les agents israéliens déclarés ou masqués, s'acharne à diffuser cette méfiance dans les rangs de la résistance à Israël et aux Etats Unis.
Autre exemple concernant l'Algérie, le 22 octobre 1956, cinq des principaux dirigeants de la révolution algérienne avaient fait l'imprudence de voyager ensemble dans un avion de la compagnie "Air Atlas-Air Maroc". L'armée française ne pouvait rater une si belle occasion pour décapiter la révolution algérienne. L'avion est détourné: un acte de brigandage international. Les responsables algériens avaient probablement cru au respect du droit international dans le camp colonial français. La surestimation des scrupules de l'adversaire, en fait la sous-estimation de sa nature réelle, n'ont donc rien de nouveau. Par ces arrestations, le colonialisme avait cru ainsi arrêter la révolution algérienne. Les dirigeants algériens ont été aussitôt remplacés. On connait la suite de l'histoire. Les colonisateurs, les dominants, font, étrangement, toujours la même erreur, celle de croire qu'ils tuent un mouvement en tuant ses dirigeants. Ils oublient que c'est le mouvement qui produit ses dirigeants, qui s'en dote, et non l'inverse.
De même, en Palestine, et au Liban, d'évidence, la lutte nationale continuera et reprendra sans fin, encore et encore, jusqu'à épuisement de l'adversaire.. Les nations ont le temps pour elles. C'est en effet une loi historique du mouvement de libération moderne qui ne souffre pas d'exception. Pourquoi Israël serait assez forte pour imposer son colonialisme à la Palestine et au Liban, là où une grande puissance d'alors comme la France n'avait pu le faire en Algérie.
Non, ils ne sont pas forts. Ils sont en réalité faibles stratégiquement. Ils ont peur, l'humanité les rejette. La politique génocidaire et sanglante sans discontinuité d'Israël, à l'ombre des Etats Unis, est un immense aveu de faiblesse. Car ils n'ont pas d'autre politique. Ils ne savent que tuer. Aucune victoire sur le long terme, une victoire morale, civilisatrice n'a jamais été remportée ainsi.
Salah Eddine El Ayoubi en libérant Jérusalem des croisés, avait refusé toute répression malgré les crimes commis par ceux-ci, "Le sang appelle le sang", avait-il dit pour expliquer pourquoi il épargnait l'ennemi dès lors vaincu. Il s'en est suivi des siècles de paix en Palestine… avant l'arrivée du sionisme.
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(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacres_de_S%C3%A9tif,_Guelma_et_Kherrata