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Billet de blog 3 juillet 2024

« Une cigogne cruelle raisonne dans la maison bleue nuit »

A la Maison des femmes de Saint-Denis (93), au sein de l'atelier « Prendre mots » il est question aujourd'hui d'animaux imaginaires. Dont un qui peut avoir « l’apparence d’une louve au niveau du visage et la majesté du lion en héritage ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous revoici en petit comité, ce lundi 24 juin, à l’atelier « Prendre mots » de la Maison des femmes de Saint-Denis (93). Les séances d’écriture avec l’écrivaine Gaëlle Josse sont terminées, elles ont libéré une certaine aisance chez les participantes, en accompagnant des textes plus élaborés, plus engagés, plus réfléchis peut-être. Les temps d’écriture ont été plus longs aussi.

L’atelier commence toujours par un moment ensemble, à partager un café ou un verre d’eau. Trois mots pour se raconter la semaine, prendre le pouls de l’état dans lequel on est. L’une des participantes, qui comme toutes les autres est intégrée au dispositif de soin de la Maison des femmes à destination des femmes victimes de violence, cette femme donc, rapporte que sa référente estime qu’elle va beaucoup mieux et qu’il fallait peut-être envisager la fin de la prise en charge. Nous aussi avions remarqué qu’elle était plus souriante, plus ouverte aux autres, en un sens plus libre. Mais pour cette femme, c’est beaucoup trop tôt, elle a encore besoin de soutien, de ces rituels hebdomadaires. L’idée de ne plus venir ici la panique un peu. Une autre femme abonde en son sens : « Il ne faut pas lâcher d’un coup ». De tout cela, elle en parlera encore avec les médecins et psychologues. L’atelier n’est qu’un maillon du parcours dans lequel les femmes partagent leurs impressions, leurs sentiments, se confrontent aussi au vécu des autres.  

Mais, revenons à nos carnets. Aujourd’hui, c’est Louise Oligny qui propose une consigne : « Essayez de décrire un animal imaginaire en utilisant vos cinq sens : la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût ». De fait, le goût n’a inspiré personne, peut-être parce qu’aucune n’a songé à manger son animal. 
(Nous reproduisons ci-dessous les textes écrits lors de cette séance avec l’accord des femmes pour cette publication)

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« Mon petit animal imaginaire serait une boule de plumes avec les couleurs d’un arc en ciel qui au toucher d’une caresse se met à rouler sur elle-même et à sauter pour me montrer sa joie de bouger avec toutes ces couleurs qui se mêlent à ses mouvements. »

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« Alors voilà la bête, Te voilà du haut de tes 3 mètres 20, grande masse de fourrure fauve. Une crête rouge en plumes au sommet du crâne jusqu’en bas de ton cou. Tu marches sur tes deux pattes arrière tel un ours de fête foraine, ta queue de crocodile te sert de point d’appui et te permet de t’agripper aux branches et de t‘enrouler sous ta cape de chauve-souris géante. Tes pattes avant ressemblent à celles d’un rongeur, je compte six doigts de chaque côté. Tu as quelque chose de doux dans le regard mais il suffit que tes babines de retroussent pour que je sois pétrifiée sur place. »

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Illustration 1
A l'atelier « Prendre mots », le 24 juin 2024 © Louise Oligny / MDF


« Si je pouvais être un animal créé de toute pièce, je serais aussi puissante et agile qu’un tigre dans la toundra ; j’aurais la force de me défendre comme une panthère car elle n’attaque jamais mais se défend férocement ; j’aurais la résilience d’un phœnix pour renaitre de mes cendres autant de fois que nécessaire, j’aurais l’intelligence et la faculté d’adaptation d’une corneille, l’audition d’une chauve-souris, la vue du chat, la fidélité et la loyauté du chien shiba, J’aurais la liberté des oiseaux migrateurs et la légèreté d’un colibri. Je serais travailleuse comme une abeille, car elle est utile bien plus qu’on ne le pense. J’aurais la minutie d’une araignée tissant sa toile. J’aurais l’apparence d’une louve au niveau du visage et la majesté du lion en héritage. Voilà, si j’étais un animal rêvé je serais un peu de tout ceux-là avec une durée de vie courte, comme celle d’un papillon. »
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Consigne suivante, après ce premier texte, imaginez une scène où vous interagissez avec cet animal :

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A propos de la boule de plumes multicolores :

Illustration 2
A l'atelier « Prendre mots », le 24 juin 2024 © Louise Oligny / MDF

« Je m’imagine à la place de cet animal où je me servirais de ces plumes pour m’envoler dans le ciel avec des ailes, pour me confondre avec les couleurs de l’arc-en-ciel afin de laisser mes pensées, et m’envoler le plus loin possible avec mes ailes d’oiseau pour parcourir le monde. » 
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A propos de la bête de 3 mètres 20
- Dis, est-ce que tu pourrais sortir du placard… tu fais peur à ma fille, elle t’appelle « cauchemar »
- Je prendrais trop de place dans ton salon
- Peut-être mais au moins, on ne craindrait plus que tu surgisses pendant la nuit. Regarde en face, il y a une forêt, tu pourrais t’y reposer et trouver d’autres personnes, d’autres enfants à terrifier…
- Ce qui te terrifie en amuserait d’autres et tant que tu me verras comme un danger, je resterais pour t’apprivoiser.
- Mais je ne suis pas un renard et toi, tu n’es pas le Petit Prince !
- Non, mais tu as besoin d’aimer l’obscurité.
- Qu’est-ce que tu en sais ? 
- Je le sais, c’est toi-même qui m’a créé.
- Alors je veux bien essayer… Pour commencer, je vais t’habiller en princesse de conte de fées, je vais gommer ces vilaines dents et te coller des dents de lait, des oreilles de chats. Te rapetisser jusqu’à ce que tu tiennes dans le creux de ma main. Parfois, je te porterai en boucle d’oreille, parfois tu orneras mes plantes préférées..
Voilà, maintenant tu me fais rire, tu peux partir, je t’ai adopté ! »

Illustration 3
A l'atelier « Prendre mots », le 24 juin 2024 © Louise Oligny / MDF


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A propos de l’animal empruntant à nombre d’autres et ayant la durée de vie d’un papillon :
« Ma vie étant très courte, je n’ai pas une minute à perdre et décide de parcourir le monde afin d’être le plus utile possible au plus grand nombre. 
J’irai là où la famine règne et mettrai mes talents d’abeille au travail et déciderai de planter des arbres fruitiers et des plantes comestibles que je polliniserai à foison pour ne plus laisser la famine s’installer en apprenant aux Hommes avec un grand H quoi cultiver à partir de leurs ressources terrestres. 
J’irai dans les zones où la guerre sévit afin de défendre les opprimés, telle la panthère s’occupant de ses petits. 
Tel un oiseau migrateur, je parcourrai ensuite de longues distances avec sur mon dos mon enfant et nous découvrirons les mille et une beautés de ce monde en vivant en toute simplicité.
Telle une louve, je m’assiérai au milieu des sages de chaque ethnie du monde pour m’enrichir de leurs savoirs et le transmettre à mon tour à qui voudra, car c’est la seule chose qui se multiplie en la partageant. »
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Il nous reste un petit quart d’heure sur les deux heures que dure l’atelier. On se lance dans un cadavre exquis qui quelques semaines auparavant nous avait bien amusées. A chacune une fonction : l’une écrit un sujet, l’autre un adjectif, l’autre un verbe ou un complément circonstanciel… en prenant soin de ne laisser apparent que le dernier mot écrit sur lequel la suivante doit rebondir. Cette fois, cela donne : 
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Une cigogne / cruelle / raisonne / dans la maison / bleue nuit / sous le ciel étoilé / Oh, tu l’as vue, vite fait un vœu. 

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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice et la journaliste Sophie Dufau. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.
  

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