A l’atelier “Prendre mots” où des femmes vulnérabilisées ou victimes de violence sont prises en charge à la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (93), nous commençons d’emblée notre séance du lundi par imaginer chacune une petite histoire qui commencerait ainsi « Je me lève tôt ce matin et je décide de changer de tête »
Nous reproduisons ci-dessous les textes des femmes qui en ont accepté la publication dans ce blog
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« Ce matin, je me regarde dans le miroir et décide de changer de tête. Est-ce que me couper les pointes, changer de coupe m’irait ? Est-ce que je me ferai bien une frange ?
J’ai testé par le passé la frange, trop de contrainte d’entretien ; aussitôt lissée, aussitôt bouclée, mes cheveux ne supportent pas qu’on les contraignent, comme moi.
Changer de couleur ? J’ai été rousse, auburn, acajou, rouge par le passé, ce rouge flamboyant qui au bout de trois jours a viré au rose Barbie non assumé, quelle horreur ! Je me revois encore et ça me fait rire.
Une nouvelle coupe ? Entre des mains inexpérimentées pour des cheveux bouclés… La dernière fois, ils me les ont coupés mouillés, la coiffeuse avait forcé sur le nombre de centimètres et j’ai fini avec une chouche incroyable sur la tête, les cheveux me remontaient sur les côtés, telle princesse Leya dans Star Wars. Que dis-je, surtout Mafalda, l’héroïne de BD, pour être honnête.
Alors c’est décidé, je n’irai pas chez le coiffeur, je vais leur foutre la paix à mes cheveux, qu’ils vivent librement et selon leurs envies cette journée.
Peut-être qu’un peu de maquillage par contre, ne serait pas un luxe.
J’ai d’ailleurs acheté des produits qui m’ont coûté un bras, y’a un moment déjà, pour essayer le contouring (une technique cosmétique basée sur les reliefs naturels du visage que l'on assombrit ou illumine pour corriger ce que l'on pense être des défauts, Ndlr)
Et c’est parti, un coup de teinte foncée pour creuser les traits, ombrer certaines parties du visage, pour affiner et cacher certains aspects disgracieux, du highlighter pour le contraste, je prends confiance, du blush, du fard à paupières, du crayon à sourcil, du mascara coloré pour égayer le tout, un beau rouge à lèvres.
Ta, ta, ta… fou rire assuré, je ne sais pas les utiliser et dans le miroir j’ai l’impression de voir la tête de mon père travesti.
Ça m’aura bien fait marrer. Faut tout enlever maintenant, je vais être en retard.
Le réveil vient de sonner. Ouf, il est temps de me réveiller et de me lever. »
Ce premier texte, écrit d’une traite par une femme qui semblait beaucoup s’amuser a été lu par elle, tout aussi volubile. Et ce fut l’éclat de rire général à l’image du père travesti. Des moments de joie et de complicité qui ponctuent parfois ces ateliers souvent studieux et silencieux.
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« Changer de tête… dans le livre L’homme qui se prenait pour Napoléon, la psychiatre et histoirienne Laure Murat analyse l’effet des événements historiques sur la santé mentale afin d’écrire une histoire politique de la folie. Si je me souviens bien, elle remarque, à lire les registres d’admission à l’asile, qu’au temps de la Révolution française, il y eu beaucoup de gens que l’on diagnostiquerait aujourd’hui schizophrènes qui étaient internés.
Ils étaient persuadés qu’on leur avait coupé la tête et qu’on leur en avait posé une autre à la place car ils entendaient des voix qui n’étaient pas les leurs.
George Sand aussi se souvient avec effroi de cette période. Elle séjournait alors chez sa tante qui habitait le premier étage d’un immeuble sur un boulevard qui me semble être celui qu’on appelle aujourd’hui Beaumarchais, et qui donne sur la place de la Bastille.
George Sand était petite, elle ne s’était pas encore nommée George, mais dans son autobiographie, elle revoit adulte, ses têtes brandies sur des piques qui apparaissaient à sa fenêtre, qui montaient et qui descendaient.
Il me semble qu’en ces temps là, on n’avait pas vraiment envie de changer de tête. »
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Nous accueillons de temps en temps dans ces ateliers de jeunes praticiennes en stage à la Maison des femmes. Ce jour-là, c’est une sage femme qui se prête au jeu de l’écriture. Au moment où celles qui le souhaitent commencent à lire leur texte, elle s’excuse timidement : « C’est la première fois que je tente un truc comme ça. C’est intimidant d’écrire ». Une femme la rassure avec un doux sourire : « Nous, ça fait des années que c’est à l’intérieur de nous, donc ça peut sortir très vite. »
Nous posons ensuite quelques images (photos ou dessins) sur la table et suggérons à chacune d’en choisir une et suivre son inspiration.
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Agrandissement : Illustration 1

« Quelle photo somptueuse capturée sur l’instant d’un oiseau libre, en capacité de voler, d’aller où bon lui semble quand il le souhaite, symbole de la liberté à l’état pur. Cet oiseau est venu se poser sur cette main.
L’homme doit être forcément bienveillant et patient, inspirant instinctivement confiance à cet oiseau pour que cela soit possible.
Elle prouve qu’il en existe tout de même, des hommes bienveillants, elle nous réconcilie avec l’être humain, nous redonne espoir et nous prouve qu’il ne faut pas aller à l’encontre de son instinct et si cela nous inspire de placer notre confiance en l’autre, pourquoi pas être agréablement surpris et dire merci à nouveau à la vie.
Faisons nous plus confiance et vivons nos vie ! »
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« Tu ne ressembles à rien, petite chose fragile et mouillée. Le creux de mes mains semblent trop grand pour toi, prête à t’envoler dans le vent si je bouge trop vite.
Ton poil est si étrange, ni tout à fait lisse, ni tout à fait bouclé, et tes contours frémissants se floutent dans mes yeux, petite mosaïque de poil, de dents pointues et de griffes. Tu ne peux pas rester près du bord où je t’ai trouvée. Je vais te réparer et te changer, tu es trop étrange pour ne pas te trouver des sœurs dans les hautes herbes… »
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Agrandissement : Illustration 2

« Des codes, des cases, des boites, des envahissements, pourquoi, dites-moi, pourquoi aujourd’hui on enferme la vie avec un grand V. Des émotions, une sensibilité accrue et top dans la case hypersensibilité.
Moi j’ai eu du mal et je l’ai souvent détestée la vie, car incomprise par la société.
Tu aimes trop hyper, tu ris trop hyper mais au fait, c’est quoi trop ?
Tel ce poney rempli de vie et enfermé dans une cage qui au grand comble, est en plein milieu de la vie, la mer, la libération, elle vague doucement puis par rafale, et lui pose-t-on des questions ?
Pourquoi tes vagues sont trop fortes et pourquoi ton sable est si chaud ?
Non, on n’y trouve même pas le repas.
Bref, je m’éparpille, je suis déso… non, non, non, à dire vrai, je ne suis pas désolée de ressentir, de vibrer, d’aimer à toute patate, je crie et si on décidait d’ouvrir les cages, les boîtes, pour que cette mort lente quand on y est enfermé ne soit plus aussi bruyante que la vie, car la vie a sa propre mélodie, unique et personne ne peut rivaliser.
PS : Vous être gentiment priés de libérer ce poney tacheté de yin et de yang, né dans la liberté. N’avez vous pas honte de l’enfermer ? Alors je vous demande, plutôt j’ordonne de le libérer !
Fini la politesse et la bienséance qui s’inclinent devant la bêtise et la souffrance. »
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Agrandissement : Illustration 3

« J’ai choisi cette image car je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’autrice. Ce que je vois sur cette illustration est une femme aux cheveux longs, aux jambes fuselées qui porte littéralement le monde sur ses épaules, dans son essence la plus brute, elle porte la vie en elle car elle se déplace avec le corps symbolisé par une montagne verdoyante, elle est en mouvement, elle est déterminée, le regard tourné vers l’avenir, et peu importe le poids de son passé, elle avance.
Je trouve incroyable cette illustration car pour moi, elle représente la force de chaque femme car oui, nous sommes le sexe fort sinon comment supporter la douleur d’être en vie, les règles qui nous mettent à mal si tôt, la ménopause également, ces changements ne sont pas si violents pour l’homme, la nature nous a choisies pour une raison bien définie, elle sait !
Nous sommes le sexe fort, notre endurance n’a pas de limite. »
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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice, la journaliste Sophie Dufau, et cette année avec l'étudiante en art thérapie Juliette Cabon. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.