C’est bientôt les vacances. Dernière séance ce lundi 1er juillet de notre atelier d’écriture « Prendre mots » à la Maison des femmes de Saint-Denis (93) où sont prises en charge des femmes vulnérabilisées et victimes de violence. Deux mois d’interruption, ce sera long pour certaines qui disent avoir trouvé dans ce rendez-vous hebdomadaire un lieu pour coucher leurs réflexions sur papier. On parle un peu du résultat du premier tour des législatives et de la crainte de replis identitaires plus grands encore. On rit aussi beaucoup d’un homme bien macho qui a tenté un crush avec une des femmes. On parle, plus que d’habitude.
Et vient la première consigne : et si vous écriviez une lettre d’amour à vous-même ? Réaction immédiate : « C’est dur, car il va falloir penser à soi positivement », « Oui, ça va pas être facile, car on a tendance à s’oublier soi-même; » Mais toutes acceptent, dans la bonne humeur, de relever le défi. Certaines ont imaginé la lettre qu’elles pourraient recevoir d’une personne réelle ou imaginaire, d’autres se sont directement adressé un courrier.
(Nous publions ci-dessous les seuls écrits des femmes qui ont donné leur accord pour cette publication)
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« Tu es si forte et courageuse.
Attentionnée même en temps orageux
J’entends ton sourire quand tu parles
Et toujours vers un bel avenir, tu marches
Tu n’as pas peur d’être seule dans la vie…
Pourtant Dieu sait que tu aurais aimé être en bonne compagnie,
Mais le passé t’a un peu épuisée
Et le futur semble encore un peu comme un mirage…
J’aimerais aujourd’hui que tu réalises
Que tu n’es plus seule.
Lève ton visage
Pose ta tête sur mon épaule
Mon amour t’accompagne ! »
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« Ma personne, mon moi, mon être de confiance, d’écoute, de tolérance, je te parle souvent intérieurement afin de te solliciter pour du réconfort, de la tendresse qu’il y a dans ton cœur, ce cœur qui bat sans cesse pour moi et pour moi seule. Je souhaiterais te donner le meilleur pour que tu puisses vivre dans le bonheur et t’élever au dessus des montagnes pour arriver au sommet parce que tu le mérites. Tes qualités sont comme un ensemble de plusieurs jardins fleuris de toutes sortes de fleurs différentes, aussi belles les unes que les autres, avec des senteurs indescriptibles dont les parfums se mélangent au vent et qui disperse mon amour sincère et loyal dont je suis fière et qui me représente.»
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« Ma camomille
Je me sens apaisé en ta présence, plus joyeux, la vie me parait douce.
Ton tendre regard sur ce et ceux qui t’entourent, la délicatesse de tes mouvements ne serait-ce que pour écraser convenablement le mégot de ta cigarette (que tu viens de fumer) pour le jeter délicatement dans la poubelle ou ces portes que tu prends soin de fermer avec douceur. Ces petits gestes du quotidien que tu transformes malgré toi en une danse parfois légèrement maladroite, tout cela me manque mais me remplit de sérénité quand j’y pense. Ton regard, à la fois triste et enfantin, toujours bienveillant ; la forme de tes seins, parfaite ; ton hypersensibilité qui te cause bien du tracas mais qui traduit pour moi ce souci du monde qui t’entoure et qui m’attendrit, qui m’inspire. Me manque ta maladresse aussi, ta folie douce.
Tu es mon rayon de soleil, lumineuse, ma camomille, et celle des autres aussi car ce n’est pas seulement moi que tu rends heureux, c’est tous ceux qui ont la chance de croiser ton chemin.
J’espère bientôt te retrouver et te serrer dans mes bras en t’embrassant jusqu’à ne plus pouvoir respirer.
Reviens, ou je viendrais te retrouver.
Je t’aime et te respecte.
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Ma chère,
Je te sais et te connais un peu. J’apprends encore à te connaître, mais chaque jour passé à tes côtés me fait t’apprécier un peu plus.
Autrefois, j’avoue que j’avais du mal à te comprendre, à t’apprivoiser, à t’approcher. On peut se le dire, je te détestais même. Mais tu t’es livrée enfin, tu as brisé les verrous de ton âme et déposer les armes.
Qu’il en a fallu du temps, de la patience pour apprendre à te connaître, gagner ta confiance et être à la hauteur.
Je pense que c’est le bon moment, le bon timing pour te déclarer ma flamme.
Je ne fais pas que t’apprécier, tu l’auras deviné. Je commence à t’aimer, ou si tu préfères, à « tomber en amour » pour toi.
Il faut dire que jamais ça ne m’était arrivé, la sensation est étrange, mais un jour, je m’en rappelle encore, j’ai décidé de faire fi des défauts et de ne voir que le meilleur et une fois n’est pas coutume, je vais te livrer ce que j’aime chez toi : j’aime ton côté taquin, drôle, ton humour, ton sens de l’absurde, tes jeux de mots surtout quand tu es énervée et que tu y repenses en riant, ton rire franc et sincère qui illumine ton visage, ton regard qui dit tout de toi à qui s’en donne la peine, ta coquetterie, tes doutes, ta pudeur parfois extrême, ta gentillesse, ton altruisme, ton profond désintérêt pour l’argent, tes valeurs, ton côté entier, ta franchise car avec toi, on sait toujours où on met les pieds et où on en est, ta curiosité en tout, ton côté fonceur, ta douceur notamment avec ta fille, ton hypersensibilité qui a longtemps été un énorme problème à gérer et que tu as su amadouer.
J’aime également ta fille qui n’est rien d’autre que ton prolongement et me permet de te retrouver dans bien des traits de ta personnalité et qui me dit, si seulement tu avais pu avoir une enfance paisible, tu aurais surement été celle-là.
Tes fragilités, tes blessures, ton vécu, ton parcours me font t’aimer car je connais ta vraie valeur. On dit qu’il faut chausser les chaussures de la personne pour juger de son parcours et vu l’état des tiennes, tu as bien galéré.
Mais je voudrait surtout te dire que je t’aime pour celle que tu seras car je connais tout ton potentiel inexploité et inavoué. Nous avons fait la paix il y a peu, mais je ne veux plus jamais partir loin de toi, tu m’es trop précieuse.
Signé : Estime »
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Agrandissement : Illustration 1

« Tu vois, j’y suis arrivée, sourit une femme. J’avais du mal à m’imaginer parler de moi. » .
Cet atelier n’est pas un groupe de parole, on s’amuse plutôt avec les mots, on en joue comme d’une petite musique qui pourrait peut-être apaiser. Comme nous parlons beaucoup aujourd’hui, il ne reste qu’une poignée de minutes avant de se quitter. Le temps de piocher dans trois tas de petits papiers, un personnage, un verbe ou une action, et un lieu. A partir de ces trois données, inventer une histoire.
(Dans les textes reproduits ci-dessous, les papiers piochés sont en gras)
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« Il était une fois un chaton, il est parti un jour avec son baluchon à la découverte du monde. Il a marché, pris le train et a décidé, une fois son tour du monde accompli de retourner dans sa région d’origine où il se sentait finalement libre car l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Il regagna donc sa Bourgogne natale en avion et mena sa vie simplement, vivant de sa passion, celle de ramasser les escargots. »
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« Vogue sur les flots petit bateau, vogue sur les flots et surfe sur la vague, sur la vague de la vie à venir qui me parait rayonnante maintenant que je suis moi, celle que je voulais être et que je suis, celle que je deviendrai car on ne finit jamais vraiment de se construire et se réparer, de se créer par les autres et parfois pour. Aujourd’hui, je vis pour moi et me façonne à ma façon. Ce ne sont pas les autres qui vont me dicter qui je suis. Je suis transgenre, et alors ! Je suis et je m’apprécie.
Hissez haut, je retourne sur mon bateau, celui de la vie et m’en retourne, illico presto, repeindre les mur de mon joli salon.
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Toi l’oiseau tropical qui vole, te déplace d’arbre en arbre, qui danse au milieu de cette forêt immense sans te rendre compte du piège du chasseur qui te ramène dans une cage, dans son igloo glacial.
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L’arc en ciel jouait à cache-cache avec les nuages sur une plage abandonnée de l’Océan indien, où les coraux scintillaient entre les algues. Taï-Taï le hérisson, roulé en boule pour tenter de passer pour un oursin, craignait la sortie du soleil de midi. Son petit museau se glissa dans le sable pour trouver la direction d’un abri. Doucement, de galet en galet, Taï-Taï parvint à quitter la plage. Le soleil était au zénith et commençait à lui chauffer les épines. Taï-Taï se dressa sur ses petits pieds et vite vite, couru plonger dans la rivière. Il avait oublié qu’il ne savait pas nager.
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Il y a cette histoire d’une prostituée qui se brossait énergiquement les dents parce qu’elle se sentait sale après chaque passage de client… chaque homme quant à lui, repartait gaiement chez lui en se sentant pas perturbé par sa soirée. Elle vit dans une cabane dans le jardin d’un vieux couple, il vit dans un bel appartement parisien, sans vis-à-vis. Elle se sent sale de devoir utiliser son corps pour subvenir à ses besoins… alors qu’il profite de son statut pour utiliser cette femme. C’est si paradoxal.
Au final, c’est lui le plus sale et elle la plus grande.
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Cet atelier a débuté en janvier. Foule de petits textes drôles, émouvants, intimes, parlant de colère, de blessures, de douceur, de joie, d’avenir… ont été produits (voir tous nos billets ici). A la rentrée de septembre, nous allons revenir sur ces premiers jets d’écriture, en sélectionner, les ordonnancer, les retravailler car en janvier 2025, une première restitution publique devrait en être donnée. Nous vous en dirons plus le temps venu.
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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice et la journaliste Sophie Dufau. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.