Du carnet à la scène, de la Maison des femmes à la Maison de la poésie
Une heure de représentation intense et émouvante à la Maison de la poésie. Les participantes de l’atelier Prendre mots de la Maison de femmes de Saint-Denis ont restitué leur année de travail d’écriture. Avec la participation de l’écrivaine, slameuse et rappeuse Treize.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
De l’émotion, des rires et des sourires, de la musique et des poèmes, des larmes retenues et des voix qui se cassent, de la sororité : c’était un beau samedi d’hiver. Le 25 janvier dernier, à la Maison de la poésie à Paris, les femmes de l’atelier Prendre mots de la Maison des femmes de Saint-Denis (93) ont offert à leurs proches et quelques invités une représentation restituant un an de travail. L’autrice, slameuse et rappeuse Treize s’était jointe à elles et nous a régalés de deux de ses textes.
Chaque lundi, depuis janvier 2024, un petit groupe de femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (93) (maison fondée en 2016 par Ghada Hatem) se réunit pour « jouer avec les mots » et produire des textes courts, des poèmes, des lettres, des jeux de définitions subjectives, des cadavres exquis… et toute forme d’écriture permettant de se réapproprier les mots et retrouver l’envie de s’en servir. Cet atelier est animé par l’illustratrice et autrice Clémentine du Pontavice, la photographe et autrice Louise Oligny et la journaliste Sophie Dufau. L’autrice Gaëlle Josse a aussi organisé trois ateliers.
Lorsque l’idée d’une restitution a vu le jour, que la Maison de la poésie à Paris nous a proposé sa petite salle, toutes se sont emparées de ce spectacle qu’on allait donné. Pour cette première, il a été convenu qu’on ne l’ouvrirait pas au public, que seuls les proches et celles et ceux que l’on choisirait pourraient y accéder.
Mais il a fallu auparavant sélectionner les textes, les organiser pour construire une narration, imaginer quand même une petite mise en scène, une bande sonore et un jeu d’éclairage. Et même de la musique ! En ce donnant pour limite que le spectacle ne dure pas plus d’une heure.
Certaines femmes ayant participé à l’atelier n’ont pas souhaité que leur texte soit présenté. D’autres n’ont pas voulu être sur scène tout en voulant faire entendre leur parole. Leurs mots ont alors été lus par une autre participante, de même que sur scène, chaque femme n’a pas lu forcément ce qu’elle avait écrit, mais peut-être le texte d’une autre… Sur scène, il y avait donc Aurélie, Kaïna, Léonie, Wendie, Oriane, Treize, Clémentine, Sophie et Louise
Et voici ce qui s’est dit :
Kaïna L’avenir est une merveille qu’il faut arroser. Wendie Je peux prendre une décision pour moi-même Clémentine Assez les grandes personnes, faîtes enfin des nids ! Oriane Entre failles, nous sommes toutes sœurs. Aurélie Une femme libre est une grande personne Léonie Elle s’identifiait à ses sœurs du monde, cette âme vagabonde pour qui exister reste un combat.
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Kaïna : J’ai longtemps gommé mon existence, dans un état de survie, comme un pilote automatique dans cette vie. Ne laisser aucune trace sur aucun papier, nier ce que je suis dans l’essence même de l’individu. Depuis que j’ai entamé de « me réparer », de taper à la porte de la Maison des femmes et ai décidé d’exister, cet atelier d’écriture est arrivé. Tout est question de rendez-vous et celui-ci, j’étais décidé à l’honorer.
Amoureuse des mots depuis ma plus tendre enfance, j’étais décidé à écrire, à laisser une empreinte sur le papier, à exister.
J’écris dans une pulsion irrépressible de vivre, un besoin de respirer à nouveau, une sorte de renaissance. Je suis un phœnix et forte de cette conviction, j’avance. Plus personne ne pourra m’empêcher ou m’interdire d’écrire. Donc, je le redis, j’écris pour exister.
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Oriane Le fait de mettre par écrit le ressenti, c’est l’extérioriser, témoigner, se souvenir, car face au trauma, quand les choses se répètent, le cerveau a tendance à les oublier (…) Parfois, j’écris encore : des notes sur mon téléphone, et certaines, je me les envoie par mail pour les conserver. Je pense que pour moi, écrire, c’est un besoin.
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Kaïna Enfant, j’écrivais beaucoup. Puis mon père a découvert mes textes, a déchiré toutes les feuilles et m’a battue. Je me suis toujours interdit d’écrire, pour ne pas laisser de traces. Ce truc de laisser des traces… !
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Que vous évoque le mot forte Aurélie Utilisé au féminin pour se débarrasser d’un problème. Kaïna Oh, c’est rien… t’es forte ! Léonie Tu es forte, tu me fais peur. Wendie Pour une boisson, signifie trop d’alcool, on devient ivre. Sophie Se dit de quelqu’un dont on n’a pas envie d’entendre les douleurs. Clémentine Une femme forte, une femme un peu trop grosse. Contrairement au mot masculin « fort », qui est valorisant. Oriane Un homme fort est le contraire d’une femme qui pleure. Néanmoins, dans le contexte olfactif, peut-être très déprécié : un homme qui sent fort. Léonie C’est un moyen de dire « tais-toi ». Pour moi, c’est un “mot alerte”, comme le mot Résilience. On l’utilise pour désamorcer un problème, empêcher le déclenchement d’une discussion. Clémentine Une forte poitrine, des seins géants lui ont poussé dans la nuit. Elle va devoir mettre une bande dessus, sinon, elle ne pourra plus bouger. Et puis, les autres ne regardent que ça chez elle, la forte poitrine. Elle n’existe que par ses seins. Elle a même rêvé qu’ils risquaient d’exploser. C’est tout ou rien. La forte poitrine ou bien des œufs sur le plat. Mais peut-être qu’elle pourrait être bi-dimensionnelle, les deux en même temps ? Forte et plate, vallonnée et bas plateau, féminine et homme tout à la fois. Elle serait tout.
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Léonie Dans les moments où je ne pouvais pas bouger, où mes pieds faisaient défaut, où le simple fait de me tenir debout était un réel combat, la nuit semblait remplacer le jour. Je me cherche, je cherche un passage vers le jour, la fameuse rencontre avec le soleil. Comment faire face à ce débordement de l’âme ? Comment me sortir de cette spirale, où ma vie semble être un perpétuel combat, entre l’ombre et la lumière, et être enfin cette femme libre que j’aspire à devenir ?
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Oriane Il y a des monstres dévorants dont la gueule est pleine d’ombres mouvantes dans lesquelles s’enfonce le temps, nos rides et nos pas perdus, pour toujours. La lumière du dehors éclabousse leurs dents pointues. Il y a aussi des monstres qui dévorent du dedans et dont il est difficile de se défaire, sauf à les accepter tout à fait. On peut, peut-être, essayer de les apprivoiser pour les contenir dans un grain de beauté, pas plus gros qu’un pépin. Impossible en tout cas de les trancher d’un coup de scalpel car ils repousseraient alors plus nombreux, plus difformes et plus terrifiants encore. Enfant, j’aurais aimé qu’on me sauve des monstres.
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Les gens qui tombent
Sophie Les gens qui tombent ont parfois le temps de penser au lacet mal fait, à la pierre qui les a fait trébucher, au copain, au frangin qui les a poussés. Ils ont le temps. Parfois. Clémentine Les gens qui tombent Se relèvent ou pas… Laissons-leur le droit De se redresser Quand l’orage a cessé
Aurélie Et bien c’est fait, plus besoin d’avoir peur et tant qu’on y est, dégringolons jusqu’à être sens dessus-dessous, et peut-être reprendre au début.
Wendie Les gens qui tombent ne se relèveront pas. Ils peuvent toujours tomber plus bas. Ils se redressent au mieux Ou se reconstruisent, un peu plus solides à partir des ruines d’un passé parfois (souvent) douloureux, toxique, envahissant Que l’on finit par accepter, sans pardonner, car il nous a forgé et a construit la nouvelle personne que l’on est aujourd’hui et que parfois on apprécie.
Kaïna Adolescente, à la sortie du lycée un jour de pluie dense, j’ai couru pour attraper le bus qui se trouvait à l’arrêt avec une bonne partie de mes camarades dedans. Et j’ai trébuché sur l’esplanade, faisant un « aquaplaning humain » devant tout le monde, et au lieu de me sentir éclabousser par la honte, l’autodérision et l’humilité, mes deux meilleures amies et meilleures armes m’ont aidée à m’asseoir dans la boue, aux yeux de tous, et trempée de la tête aux pieds, à avoir l’un des plus grands fous rire de mon existence.
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Léonie J’ai découvert un passage vers un monde d’ombres. Je m’y suis précipitée.
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Aurélie Chute de l’ombre. / Kaïna De l’ignorance existentielle, je me passage vers le dur. / Léonie Je m’éclaboussure dans ma tête, / Wendie Je me nourriture de la découverte de ces ombres. / Sophie Le ciel débordement. / Clémentine Le ciel arrosoir de ténèbres. / Oriane Depuis le ciel, précipice des ombres, / Sophie surgissement comme des oiseaux-enfant. / Aurélie Moi spectaculairement debout. / Kaïna Je bousculée, mais je me tenace. / Léonie Vie de nouveau légère, / Wendie entre toutes.
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Un endroit, un lieu, où l'on est bien
Oriane Mon canapé, c’est là où je m’allonge entièrement, où je m’enfonce, l’endroit qui me procure ce sentiment d’être maintenue entièrement, où tout mon corps est soutenu. L’impression de ne pas tomber dans cette douleur qui me terrorise au plus profond de moi-même. C’est l’endroit qui me permet d’écrire justement cette douleur qui veut s’exprimer haut et fort.
Pourquoi lui ? D’autres pourtant s’y assoient tous les jours mais moi, je l’occupe uniquement quand il est vide, à des heures perdues, tard le soir le plus souvent, car il m’appartient à ce moment où tout est calme et me donne cette sensation d’être accompagnée par le confort physique qu’il me procure, et libère en moi l’envie de me livrer rien qu’à lui. Mine de rien, c’est peut-être mon compagnon imaginaire, celui qui m’écoute en silence, écoute les vibrations de mon corps malade, souffrant, et que lui seul ressent comme un besoin d’être prise dans des bras réconfortants.
Aurélie Ma limace s’appelle Nullisse. C’est un joli prénom pour une limace. Elle ressemble étrangement à une merde posée là par le dernier clébard venu. Mais ce n’est pas une merde, c’est une limace, un être vivant doté de sensibilité, d’une volonté et même de passions.
Ma limace est d’ailleurs une Reine-limace, quand elle bave c’est de l’or en paillette qu’elle étale sur son chemin. Sa valeur ne se cache pas dans sa forme, ou dans sa vivacité, mais dans ses qualités intrinsèques.
Souvent quand j’étais enfant et adolescente, on m’a dit « Aller, bouge, mets-toi en mouvement, on dirait une limace sur le canapé ».
Limace, limaçonne, mollasse, mollassonne : l’immobilité ou la lenteur comme repoussoir.
Alors j’ai longtemps cru que ma limace devait être cachée ou même combattue, qu’elle était laide et inutile, qu’il valait mieux la dénigrer, ou même nier son existence, l’enfermer dans une boite, l’éventrer d’un coup de botte en caoutchouc dans le jardin pour voir ses entrailles souiller l’herbe. Parfois je me sens limace, grasse, collante, baveuse, lisse, glissante, lente, inutile, ridicule, laide, molle. Je visualise une limace, poisseuse de l’intérieur, éventrée vivante.
Cependant, ce n’est pas parce qu’on ressemble à une merde qu’on en est une.
Aujourd’hui je vois la beauté de ma limace dans chaque mouvement subtil de ses antennes, dans les dessins raffinés des ridules sur son corps. Je vois sa puissance dans sa capacité à se tracter et se rétracter à la seule force de la ventouse que l’évolution de la vie sur terre lui a donnée. Et je collecte précieusement les paillettes qu’elle étale autour d’elle.
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Kaïna Si je pouvais être un animal créé de toute pièce, je serais aussi puissante et agile qu’un tigre dans la toundra ; j’aurais la force de me défendre comme une panthère car elle n’attaque jamais mais se défend férocement ; j’aurais la résilience d’un phœnix pour renaitre de mes cendres autant de fois que nécessaire ; j’aurais l’intelligence et la faculté d’adaptation d’une corneille, l’audition d’une chauve-souris, la vue du chat, la fidélité et la loyauté du chien shiba. J’aurais la liberté des oiseaux migrateurs et la légèreté d’un colibri. Je serais travailleuse comme une abeille, car elle est utile bien plus qu’on ne le pense. J’aurais la minutie d’une araignée tissant sa toile. J’aurais l’apparence d’une louve au niveau du visage et la majesté du lion en héritage. Voilà, si j’étais un animal rêvé je serais un peu de tout ceux-là avec une durée de vie courte, comme celle d’un papillon.
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Conversation avec une bête haute de 3 mètres 20 Wendie Dis, est-ce que tu pourrais sortir du placard… tu fais peur à ma fille, elle t’appelle « cauchemar » Aurélie Je prendrais trop de place dans ton salon Wendie Peut-être mais au moins, on ne craindrait plus que tu surgisses pendant la nuit. Regarde en face, il y a une forêt, tu pourrais t’y reposer et trouver d’autres personnes, d’autres enfants à terrifier… Aurélie Ce qui te terrifie en amuserait d’autres et tant que tu me verras comme un danger, je resterais pour t’apprivoiser. Wendie Mais je ne suis pas un renard et toi, tu n’es pas le Petit Prince ! Aurélie Non, mais tu as besoin d’aimer l’obscurité. Wendie Qu’est-ce que tu en sais ? Aurélie Je le sais, c’est toi-même qui m’a créé. Wendie Alors je veux bien essayer… Pour commencer, je vais t’habiller en princesse de conte de fées, je vais gommer ces vilaines dents et te coller des dents de lait, des oreilles de chats. Te rapetisser jusqu’à ce que tu tiennes dans le creux de ma main. Parfois, je te porterai en boucle d’oreille, parfois tu orneras mes plantes préférées.. Voilà, maintenant tu me fais rire, tu peux partir, je t’ai adopté !
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Kaïna Je suis là et vivante malgré tout et aucun regret à être ici car si je n’ai pas choisi d’être là, on m’y a mise pour la vie qu’on m’a donnée. Je ne regrette pas la souffrance infligée par autrui, ça encore non choisie. Les regrets sont pour les autres, pas pour moi, car je m’efforce de me dire que le regret est pour l’autre.
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La liste des choses dont on a aucun regret
Wendie - Mes ami.e.s, ma famille, voyager, rencontrer, apprendre, faire, Mon amoureux, quand il ne m’agace pas, quand il m’agace aussi parfois Reprendre le quotidien délaissé comme si rien n’avait changer, ou un peu, à peine Mes deux chats et penser à ma poule aussi, mon doudou Ressembler à Amama et marcher dans ses pas Apprendre le basque, un jour Regarder la nature, dire bonjour aux vaches et s’émerveiller. Faire de la cueillette, cuisiner, ramasser des champignons, ceux que je connais. Faire du théâtre, de la musique, dessiner, Voir des gens sourire, des amoureux rire, être heureux avec.
Léonie Les regrets sont pour les autres, pas pour moi. C’est ici que je vibre.
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Quelques cadavres exquis :
Aurélie Par ici la folie / Kaïna Sortez vos plus beaux parapluies / Léonie Je suis dessous mais l’eau ruisselle quand même sur mon visage dans le miroir / Wendie de l’eau qui reflétait le soleil, le ciel / Sophie est par dessus les toits si bleu, si calme… / Clémentine Et comment fait-on si l’on ne peut, ne veut pas, rester calme / comment fait-on avec cette injonction, comment fait-on avec la révolution ?
Kaïna La pluie frappait le sol / Aurelie Comment faire dit l’oiseau pour prendre mon envol ? / Léonie Prévoir un parachute pour l’atterrissage ou l’amerrissage / Wendie Je me suis mise à l’eau et j’ai flotté pendant des heures en regardant le ciel / Sophie couvert de nuages tellement gris que les oiseaux tombaient / Clémentine mais ils se relevaient, marchaient, couraient, riaient… et repartaient.
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Lecture sur fond de ukulele
Léonie Prendre la vie du bon côté Tel un rideau de fleurs fanées On se croirait au paradis Au chevet des talus ensevelis Se dresse une cascade.
Kaïna Au chevet de mon âme, je hisse le rideau jusqu’au paradis et prends une cascade de fleurs sur mon visage.
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Mélodie sur fond de ukulele Wendie Vogue sur les flots petit bateau, vogue sur les flots et surfe sur la vague, sur la vague de la vie à venir qui me parait rayonnante maintenant que je suis moi, celle que je voulais être et que je suis, celle que je deviendrai car on ne finit jamais vraiment de se construire et se réparer, de se créer par les autres et parfois pour. Aujourd’hui, je vis pour moi et me façonne à ma façon. Ce ne sont pas les autres qui vont me dicter qui je suis. Je suis transgenre, et alors ! Je suis et je m’apprécie. Hissez haut, je retourne sur mon bateau, celui de la vie et m’en retourne, illico presto, repeindre les murs de mon joli salon.
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Clémentine Il y a cette histoire d’une prostituée qui se brossait énergiquement les dents parce qu’elle se sentait sale après chaque passage de client… Chaque homme quant à lui, repartait gaiement chez lui en ne se sentant pas perturbé par sa soirée. Elle vit dans une cabane dans le jardin d’un vieux couple, il vit dans un bel appartement parisien, sans vis-à-vis. Elle se sent sale de devoir utiliser son corps pour subvenir à ses besoins… alors qu’il profite de son statut pour utiliser cette femme. C’est si paradoxal. Au final, c’est lui le plus sale et elle la plus grande.
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« On nous arrache tout » : Chanson accompagnée au ukulele.
Elle vivait à Paris jusqu’à ses 14 ans Sa vie était moisie, ça n’était qu’une enfant La poisse l’a poursuivie, depuis elle est partie Recommencer sa vie, tout revivre autrement
Elle a grandi ailleurs, a quitté ses ami.e.s Ça ne lui fait pas peur, c’est elle qui l’a choisi Adieu mes chers parents, adieu mes bons ami.e.s J’en décide autrement et pars refaire ma vie
Refrain Tout, tout, on nous arrache tout Tout, on nous arrache tout
Le respect qu’on s’accorde, l’estime qu’on a de soi Qui composent l’amour propre, ont volé en éclat Son enfance est brisée, son cœur est resté lourd La vie lui est ôtée, et cela pour toujours
Chacun, à sa manière, affronte ses démons, L’oubli certains préfèrent, l’envoi dans l’inconscient D’autres n’acceptent pas la douleur du passé Et vivent à travers elle, ils refusent d’oublier
Refrain Tout, tout, on nous arrache tout Tout, on nous arrache tout
Puis un jour on vieillit, qu’a été notre vie Des gens qu’on a aimés, beaucoup sont décédés Nos ami.e.s, nos enfants, nos potes et nos parents, Tous ceux qu’on a aimé sont partis désormais
Il ne reste que nous et quelques connaissances De la famille un bout et du reste l’absence Quant à nos facultés, il faut bien l’avouer Ne sont plus ce qu’elles étaient, elles sont un peu rouillées
On ne peut plus marcher, notre vue a baissé On perd la mémoire, on oublie notre histoire Arrive le regret de nos moments passés Qui n’étaient pas heureux, mais semblaient un peu mieux
Refrain Tout, tout, on nous arrache tout Tout, on nous arrache tout
Parlé : Morale de l’histoire, l’avenir étant pire Profitons du présent qui forge nos souvenirs Afin que la vieillesse soit remplie des sourires Qu’on n’oubliera jamais, des gens qu’on a aimés
Refrain Tout, tout, on nous arrache tout Tout, on nous arrache tout
Wendie Barrère
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Aurélie 10 juin 2058, j’ai 80 ans. Mes chers enfants, ami.e.s, amours.
Je veux commencer par vous remercier car c’est à vos côtés que tout a pu exister. Je regarde le mur à droite de la porte fenêtre, celui qui est protégé de la lumière trop vive qui l’été emporte avec elle une partie des couleurs. Il y a les traces, les contours, les dates de mes concerts, des tournées internationales, de ce passé de cantatrice dont je rêvais en silence, enfant. Cantatrice hybride, reggae, rock’n roll, parfois solo, parfois en groupe. Inclassable, décalée, j’en porte toujours les traces sur ma peau, ces tatouages multicolores qui m’habilleront jusqu’à mon dernier souffle. Toutes ces folies, ces bœufs, ces feux de joie à demi nue sur la plage parfois, c’est avec vous que je les ai partagés, vibrés. Ils m’ont nourrie.
Mon ange, ma beauté, ma douceur, nous avons partagé plus de 1000 et 1 tétées, plus de livres, de contes, de jeux de mots, de rires et c’est à toi que je dois mon envie d’écrire, de raconter, d’illustrer.
Merci dans ces moments difficiles d’avoir tendu l’oreille aux mots qui soulignent, merci d’avoir bu de tes yeux ces élixirs d’amour qui réchauffent à travers les traits et les couleurs, qui m’ont extirpé le droit d’exister.
Mon trésor, mon fils, ma bataille, mon miroir. Merci d’avoir ouvert la voie à toutes ces via ferrata. Ensemble, nous avons parcouru des terres inconnues, découvert des langues mortes auxquelles nous avons redonné vie pour les laisser se transformer ensuite à leur gré, au fil des rencontres, des années. Nous sommes faits de la même pâte, celle que nous avons appris à modeler pour vivre, survivre parfois et nous avons recréer.
Vois ces statues dans le jardin, ce n’est pas celui de Rodin où je t’amenais enfant, mais le nôtre. Elles sont le témoin de tous ces bonheurs passés qui continuent à se raconter. Si un jour en mon absence tu as besoin de te ressourcer, écoute-les, elles parlent notre langue.
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Kaïna Mon urgence est de me sauver pour enfin exister, j’ai cette absolue nécessité d’écrire pour exister, pour redonner un sens aux mots M-O-T-S, à mes maux, M-A-U-X.
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Sophie Ce sont des petits morceaux qui s’assemblent, c’est la question de la fragmentation. Comme au Kintsugi, l’art japonais de la restauration avec de l’or : on peut faire du beau avec du cassé.
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Léonie Quand l’ombre s’étire et m’entoure, Quand mes doutes murmurent au détour, Tu es là, solide, serein, Le roc qui apaise mes lendemains. Ta main, refuge dans mes tempêtes, Force discrète, douce conquête, Elle me guide, elle me porte, Quand l’espoir vacille, quand la peur m’emporte. Dans le combat d’être, au jour le jour, Tu es l’étoile, tu es l’amour. Avec toi, l’avenir a des éclats, Et je marche, confiante, sous ton bras.
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Oriane Tu es si forte et courageuse. Attentionnée même en temps orageux J’entends ton sourire quand tu parles Et toujours vers un bel avenir, tu marches. Tu n’as pas peur d’être seule dans la vie… Pourtant Dieu sait que tu aurais aimé être en bonne compagnie, Mais le passé t’a un peu épuisée Et le futur semble encore un peu comme un mirage… J’aimerais aujourd’hui que tu réalises Que tu n’es plus seule. Lève ton visage Pose ta tête sur mon épaule Mon amour t’accompagne !
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Wendie Ma camomille,
Je me sens apaisé en ta présence, plus joyeux, la vie me parait douce. Ton tendre regard sur ce et ceux qui t’entourent, la délicatesse de tes mouvements ne serait-ce que pour écraser convenablement le mégot de ta cigarette (que tu viens de fumer) pour le jeter délicatement dans la poubelle ou ces portes que tu prends soin de fermer avec douceur. Ces petits gestes du quotidien que tu transformes malgré toi en une danse parfois légèrement maladroite, tout cela me manque mais me remplit de sérénité quand j’y pense.
Ton regard, à la fois triste et enfantin, toujours bienveillant ; la forme de tes seins, parfaite ; ton hypersensibilité qui te cause bien du tracas mais qui traduit pour moi ce souci du monde qui t’entoure et qui m’attendrit, qui m’inspire. Me manque ta maladresse aussi, ta folie douce.
Tu es mon rayon de soleil, lumineuse, ma camomille, et celle des autres aussi car ce n’est pas seulement moi que tu rends heureux, c’est tous ceux qui ont la chance de croiser ton chemin.
J’espère bientôt te retrouver et te serrer dans mes bras en t’embrassant jusqu’à ne plus pouvoir respirer.
Reviens, ou je viendrais te retrouver. Je t’aime et te respecte
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Kaïna On dit qu’il faut chausser les chaussures de la personne pour juger de son parcours et vu l’état des tiennes, tu as bien galéré.
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Léonie Un jour, c’est le printemps et puis un jour, c’est l’automne. Silencieusement, les feuilles mortes s’envolent, à pas lent, en direction de la montagne. Le soleil se couche et mon cœur est en paix.
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Carte blanche à TREIZE.
Treize, écrivaine (auteur deCharge. J'ouvre le huis clos psychiatrique, éd. La Découverte), slameuse et rappeuse a offert deux textes cristallins et punchy pour cette représentation.
PAS ASSEZ SALÉ
J’te coupe une part je prépare ton plateau Dans la pièce ce soir j’ai cuisiné dans un étau Au couteau la garniture t’as découpé dans mon cœur Moi je m’occupe des textures, je suis cheffe de la douceur La farine en colère essuyée sur le tablier La pincée d’sel, frustrée, si j’me suis déshabillée L’huile d’olive pour couler la politique la pâte est prête Je cuisine tes critiques, ça remplit mon assiette Et ça communique à sens unique Mais mon amant est alcoolique, sexe économique Les mois passent les corps s’effacent, coincent On se lasse j’encaisse le désir grince Il me dit que je suis belle quand je pleure ! L’abruti C’est malsain qu’t’admires ton œuvre aboutie Confusion dans ma tête tu dis ok tu dis fuck J’crois qu’tu t’en fous – si je suffoque
Cauchemar culinaire, qu’est-ce que tu goûtes ? Et qu’est-ce que ça me coûte quand tu t’éclates autoritaire ? Pâte à tarte conjugale … Parait qu’c’est pas assez salé….
J’ai horreur d’être parquée dans la cours de tes casse-têtes J’voudrais claquer les beaux discours qu’y a sous ta casquette. Dans ma tête t’es rentré, je réfléchis mal J’me retrouve éventrée par un message subliminal : Ta colère, ton histoire, tes douleurs pourquoi tu mens Les rôles de coupables partout dans ton roman Pâte à tarte pâte à modeler tu t’éclates des bonnes occas’ Ils diront que toutes tes meufs se ressemblent à la base J’ai tapé dans les murs pour éclater mes frustrations J’ai pleuré dans les rues pour décanter tes mutations J’me suis dit qu’mes inquiétudes c’était pour te protéger J’me suis mise en habitude : est-ce qu’il faudra tout partager ? Ton grand rire amer ta dureté tes absences Dans ta grammaire la cruauté de ton silence Pour te plaire j’avais pétri dans la chair de mes secrets Ton mépris m’a agrafé v’la que je t’aime avec regrets
Cauchemar culinaire, qu’est-ce que tu goûtes ? Et qu’est-ce que ça me coûte quand tu t’éclates autoritaire ? Pâte à tarte conjugale, Parait qu’c’est pas assez salé…. Sale dominant j’veux pas payer l’addition patriarcale
Tu me dis que tes promesses n’engagent que ceux qui les écoutent T’as déjà ri de mes blessures, mon passé te dégoûte Tu me rends ridicule quand tu dis qu’tu me manipules Tu prétends qu’y’a pas d’pouvoir dans tes cis-testicules T’écoute peu, pernicieux, tu dévores tous mes avis Tes coups d’pion, dans mes yeux le jeu tu as ravi Je deviens ce que j’ai jamais souhaité à tes côtés Ton contrôle dans les crevasses de ma liberté L’amour est loin il disparût depuis longtemps Ça finira par détruire la pâtisserie segmentant C’est sur mon corps qu’on mettra le couvert J’vois pas comment raconter l’histoire à l’envers
Qu’est-ce que tu goûtes ? Et qu’est-ce que ça me coûte ? Pâte à tarte conjugale Parait qu’c’est pas assez salé Pas assez salé…
VIENS BOXER
Entre les gouttes de sueurs Une histoire se répète Quand il faudra combattre Est-ce que tu seras prête ?
Ma boxe je la travaille la joie la rage les rêves m’habitent Tu branles que des batailles autour de la taille de ta - Qui t’accueille dans ton club ? ? Virilité vedette L’écueil se répète. Tu l’assumes pas sur ta plaquette
Ça me casse les côtes quand ton pote reluque mon cul Son coup d’œil je le boycotte tes critiques j’évacue Bien que j’honore toutes mes techniques, y’a toujours un sale porc Dans ta salle qui claque un com’ sur mon corps au sport
Tu pratiques l’exclusion t’es toxique quand tu tapes Tu campes sur des positions de dominant tu sors en grappe Incroyable t’es dépassé par ton propre ego qui t’attrape Ta dignité tombe dans les gars qui te drapent
T’aimes cogner qu’sur moins fort… Haaan ! Tu m’exaspères Tous des tocards ça m’inspire : direct avant direct arrière J’irai pas boxer à l’envers, moi j’avalerai plus ma colère Nous on se bat dans la lumière tes sales coups de traître on les enterre
Viens pas punch dans mes seins, j’veux pas d’tes bleus ça fait pas beau Je vais pas te faire un dessin, tu sais très bien quand c’est de l’abus Tu sais très bien quand c’est de l’abus Tu sais très bien…
J’ai pas besoin d’écraser pour briller, je vais t’éclairer : Tu sais pas quoi ? On peut s’élever se dépasser sans s’humilier C’est pas mon but de dominer, j’m’en fous de savoir qui a gagné Les combats sans issue sont toujours mes préférés
J’irai avec Joé dans les pas de Nikita Y’aura Juliette, Yémendja, c’est Situ qui montrera J’mettrai les gants avec Roumdoul, Bettina, Jaunie, Sully Anaïs, Lélé, Surya, Sasha, Ran, Hinde et Billie
Depuis Gaëlle au tout début jusqu’à Audrey qui veut pour toutes Y’aura Maïa, Mona, Marie, demain celles de Bondy sans doute Fightbrightlikeadiamond Nous on s’entraîne au consentement, on sèche les bandes à l’arc en ciel
J’ai des brillances dans les yeux quand j’vois boxer toutes mes copines Je veux les mères au sac de frappe, près des crochets des gamines Je veux des grosses et des pédés, des handis, des trans, des gouines Des TDS et des autistes, sur le ring je veux des dragqueens
Je veux le jog et les paillettes, je veux des poils et du make up Des poumpoumshorts et des capuches, j’veux des binder et des push up Des tresses collées et puis des couettes, de la sueur dans les perruques Je veux des hijab j’amène mon cut, qu’on célèbre les uppercut
Elles sont si belles ces boxeuses qui m’enseignent leurs coups C’est comme un souffle, glissé dans mon cou Mes chéries si la vie vous a appris à encaisser Montez sur le ring serrez les poings on va guérir et transgresser
La violence ça prend tout, la violence ça prend trop Viens t’entraîner La violence s’apprend, viens boxer La violence s’apprend, self defense
Self défense
Les combats sans issue sont toujours nos préférés…
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Mode d’emploi du mot Combat
Kaïna Pour les femmes: tel un médicament à usage quotidien, actif du réveil du matin jusqu’au coucher. L’intensité est variable d’une personne à une autre et d’une période à une autre et chaque jour étant différent, le combat se modifie. Avant de partir au combat, assurez-vous néanmoins d’être prête, d’être bien entrainée sous peine d’encaisser des coups d’une rare violence avec des conséquences désastreuses pour la psyché. Effets indésirables éventuels : saturation, dépression, remise en question, grande fatigue… En cas d’effets secondaires indésirables, alertez votre entourage et pensez à consulter
Mode d’emploi du mot Femme Chacune s'avance à son tour sur scène pour dire "qu'il y a de femmes"
Clémentine Aucun mode d’emploi ne peut exister puisqu’il y a autant de cheveux dans le vent (Aurélie) qu’il y a de femmes. Autant de caractères différents (Wendie) qu’il y a de femmes. Autant de désirs brulants (Kaïna) qu’il y a de femmes. Autant de créativité (Oriane) qu’il y a de femmes. Autant d’intelligence (Sophie) qu’il y a de femmes. Autant de puissances (Léonie) qu’il y a de femmes. Autant de sensibilité (Louise) qu’il y a de femmes. Je pourrais écrire une phrase par femmes. Finalement, je pourrais rêver à ce mode d’emploi : pour toutes les femmes, veillez scrupuleusement au grand RESPECT et à la liberté d’action, de choix et de penser. Toutes ensemble C’est important de rêver…
Textes de : Oriane RDS, Wendie Barrère, Léonie, Lisa, Aurélie Butaye, Kaïna Chekkal, Clémentine du Pontavice, Sophie Dufau, Louise Oligny et quelques autres qui ont souhaité rester anonymes. Musique : Wendie Barrère, Treize, et Louise Oligny. Photos : Série « Debout les Reines », réalisée à la Maison des femmes en 2023 par Louise Oligny (avec Clémentine du Pontavice) Dessin : Oriane RDS