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Billet de blog 7 juin 2024

« Prendre la vie du bon côté / Tel un rideau de fleurs fanées »

Deuxième atelier d'écriture avec l'écrivaine Gaëlle Josse, ce lundi à l'atelier de la Maison des femmes de Saint-Denis. Elle a apporté avec elle « Note de chevet », de la japonaise Sei Shōnagon. Un livre qui a plus de 1000 ans, mais parfait pour s'en inspirer et révéler la langue singulière de chacune.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ça commence fort ce lundi 3 juin. La semaine passée, à l’atelier « prendre mots » de la Maison des femmes de Saint-Denis (93), le mot « oser » s’était invité : que devrait-on oser ? Faut-il toujours oser ? Et forcément, ces quatre lettres ont cheminé : « Depuis 2015, je n’étais pas entrée dans une boutique. Je n’arrivais pas à m’habiller, juste à m’accessoiriser (un sac, un foulard…), raconte une femme. Mais à l’issue de notre dernière séance, eh bien j’ai osé ! Je suis entrée, dans une boutique, j’ai essayé des vêtements et…  j’ai même aimé ! J’en suis ressortie avec deux robes et une combinaison pantalon à bretelles ! Des bretelles… vous n’imaginez pas l’audace qu’il me faut pour en porter ! » précise-t-elle dans ce bel éclat de rire qui depuis quelques temps ponctue ses récits. 

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Gaëlle Josse, le 3 juin 2024, lors de l'atelier de la Maison des femmes de Saint-Denis. © Louise Oligny / MDF

L’écrivaine Gaëlle Josse animait ce lundi la deuxième journée d’atelier d’écriture auquel assistent des femmes victimes de violence prises en charge à l’hôpital Delafontaire. Une dernière séance aura lieu le 17 juin. 
Elle apporte avec elle les Notes de chevet, de la japonaise Sei Shōnagon, qui fut dame de compagnie de l'impératrice consort Teishi durant les années 990 et au début du XIe siècle. Il y a donc plus de 1000 ans.
La table des matières de ce chef d’œuvre de la littérature japonaise donne une idée des listes que dresse Sei Shōnagon. Liste « des choses qui font battre mon cœur », « des choses qu’on ne peut comparer », « des choses dont on a aucun regret », « qui distraient dans les moments d’ennui »… Des inventaires ponctués parfois d’historiettes dont la qualité littéraire fait toute la saveur. 

Allez, à notre tour de dresser des listes. 2 fois 20 minutes, top chrono :
(Comme pour tous les billets de ce blog, les écrits reproduits ci-dessous le sont avec l’accord des femmes) 

1- la liste des choses dont on a aucun regret :


« Je suis là et vivante malgré tout et aucun regret à être ici car si je n’ai pas choisi d’être là, on m’y a mise pour la vie qu’on m’a donnée. Je ne regrette pas la souffrance infligée par autrui, ça encore non choisie. Les regrets sont pour les autres, pas moi moi, car je m’efforce de me dire que le regret est pour l’autre. »

***
« Je crois que je ne regrette pas grand chose »

***
« Je n’ai plus le regret du temps qui passe, pourquoi regretter ce qu’on a déjà vécu, quelque soit l’expérience, bonne ou mauvaise. Bien sûr, on se souvient toujours de ces beaux moments de la vie, on a envie que ça dure toujours. Ces instants de bonheur nous marquent, nous façonnent. On les aime, on les regrette, surtout quand ça va mal. Quand la vie nous malmène, on se souvient des jours heureux, de nos réalisations. Ce qui hier était un regret est devenu force de ma vie. »

***
« - Avoir un enfant
- En finir avec les personnes toxiques, hypocrites, malhonnêtes
- Mes propos énoncés sont toujours réfléchis et assumés
- Le bien que je fais
- Dire ce que l’on pense
- Agir en accord avec ses valeurs, conviction ou conscience
- Vouloir mieux
- Ma franchise, mon honnêteté et mon intégrité
- Voyager
- La mort
Tout le reste contient mes regrets.»

***
« Mes doutes
S’empilent
Toujours
S’ajoutent
Les uns après les autres
Me fatiguent à l’excès
Mes doutes (m’avalent parfois)
Mais ils ne souffrent aucun regret
Ils sont mon ADN
Ma tendresse pour la marge
Ma sincérité

***
« Les regrets sont pour les autres, pas pour moi
C’est ici que je vibre. » 

***

2- La liste des choses qui égayent le cœur

« - Le sourire d’un enfant et/ou son rire
- Le sourire et/ou le rire de mon enfant
- Ceux que j’aime réunis
- Capturer des moments hors du temps
- La maladresse
- La spontanéité
- La nature que l’on observe
- Les films drôles comme « La Chèvre »
- Les bonnes actions
- Une discussion avec sincérité
- Découvrir de nouvelles choses
- L’amour de son enfant
- La réalisation du chemin parcours et s’apercevoir qu’on a emprunté le bon. »

***
« - Se lancer dans de nouveaux projets
- Etre utile aux autres, aider son prochain
- Bien agir
- Transmettre son savoir
- Partir en vacances
- Faire les choses que l’on aime
- Rendre visite à ceux que l’on apprécie et qu’on n’a pas vus depuis longtemps
- Rencontrer des élèves ou jeunes dont je me suis occupée lorsqu’ils étaient enfants et découvrir ce qu’ils sont devenus.
- Les voir me retrouver sur les réseaux sociaux
- Faire rire les gens même les plus déprimés avec mes histoires incroyablement rocambolesques
- Recevoir le compliment de Louise (Louise Oligny, une des animatrices de cet atelier, ndlr) comme un doux parfum que l’on sent pour la première fois.
- Faire pousser le vivant à partir d’une graine et en récolter les fruits
- Se dépasser et parvenir au résultat escompté
- Avoir réaliser ma liste de tâches quotidiennes
- Avoir atteint mes objectifs.

***
« Toi mon cœur que j’écoute constamment et connais comme personne, je cherche sans cesse à t’émouvoir et t’égayer, à rechercher le mieux pour toi, mais ce que j’aime te donner, c’est du ressenti personnel pour t’encourager et t’ouvrir davantage au bonheur, et ce bonheur, je l’ai trouvé dans un autre cœur qui est né en moi, il y a quelque temps, en donnant la vie et qui grandit de jour en jour. Son sourire, ses yeux plein de franchise, des rires de joie, c’est ce qui m’égaye au quotidien. »

***
« - Mes ami.e.s, ma famille, voyager, rencontrer, apprendre, faire, 
- Mon amoureux, quand il ne m’agace pas, quand il m’agace aussi parfois
- Reprendre le quotidien délaissé comme si rien n’avait changer, ou un peu, à peine
- Mes deux chats et penser à ma poule aussi, mon doudou
- Ressembler à Amama et marcher dans ses pas
- Apprendre le basque, un jour
- Regarder la nature, dire bonjour aux vaches et s’émerveiller. 
- Faire de la cueillette, cuisiner, ramasser des champignons, ceux que je connais. 
- Faire du théâtre, de la musique, dessiner, 
- Voir des gens sourire, des amoureux rire, être heureux avec. 

***
Il reste à peine 20 minutes pour cette séance, Gaëlle Josse propose alors à chacune de piocher un mot dans les « Notes de chevet » et de composer une phrase ou une courte histoire qui utilisera tous les mots choisis. « Vous verrez, on a une langue commune mais cette langue nous est aussi très singulière, elle dit nos univers particuliers. » Alors avec « cascade ; chevet ; prenez (ou prendre) ; rideaux ; paradis ; fleurs » qu’est-ce que ça nous inspire ?

« Le rideau de larmes qui tombe de la cascade que figurent mes yeux à l’annonce de cette fleur qui se fane direction le paradis. Je prends les mains de ma sœur, de mes cousines, nous lisons nos textes, écrits en sa mémoire puis le sourire nous revient peu à peu à ton souvenir, nous sommes toutes à ton chevet, plus soudées que jamais. » 
***
« Prendre la vie du bon côté
Tel un rideau de fleurs fanées
On se croirait au paradis
Au chevet des talus ensevelis
Se dresse une cascade. » 
***
« Inspiré d’une histoire vraie », précise une femme :
« Je suis vêtue d’un saroual et mon gros orteil gauche s’est pris dans l’ouverture de ma jambe droite, résultat, je trébuche dans ma chambre, je m’accroche au rideau, trébuche et me cogne au pied de la table de chevet, Cette cascade est douloureuse, je cherche juste un coin de paradis qui sentirait bon le parfum des fleurs, au lieu de cela, c’est l’hôpital avec une odeur de désinfectant et de maladie. Verdict : j’ai mon gros orteil cassé, je vais devoir prendre mon mal en patience.»

***
« Au chevet de mon âme, je hisse le rideau jusqu’au paradis et prends une cascade de fleurs sur mon visage.» 

***

L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison de femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice et la journaliste Sophie Dufau. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.

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