38 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 mai 2025

« J’utiliserai mes maux comme une force pour soutenir ceux des autres »

A l’atelier de la Maison des femmes de Saint-Denis, cette semaine, des odeurs ont réveillé nos sens, nos sensations, nos émotions.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette semaine, une des femmes participant à l’atelier “Prendre mots” de la Maison des femmes de Saint-Denis (93) avait apporté sa boite à huiles essentielles. Elle nous avait raconté un jour qu’elle travaillait dans des maisons de retraite autour de l’olfactothérapie : les odeurs, expliquait-elle en substance, pouvaient réveiller des émotions, des souvenirs. 

Curieuses, les autres femmes lui avaient demandé si elle pouvait aussi venir à l’atelier avec ses huiles. Ce qui fut fait ce lundi. 

Après une petite mise en route, chacune s’est vu distribuer une bandelette en carton chargée de quelques gouttes d’huile dont on ignorait le nom. L’odeur n’est ici qu’un simple support à l’écriture. Une femme a juste précisé qu’elle n’aimait pas du tout l’ilang-ilang afin qu’elle n’en ait pas sur sa bandelette.

Dans ce petit cercle de jeu de mots où nous accueillons chaque semaine des femmes victimes de violence et prises en charge dans un parcours de soins hospitalier, l’émotion est souvent à fleur de peau. Avec beaucoup d’attention dans le choix de leurs mots et de courage aussi parfois, chacune a écrit un texte, s’arrêtant parfois pour respirer à nouveau l’odeur et rattraper les sensations fugitives. 

Nous reproduisons ici les textes des femmes qui ont donné leur accord pour la publication dans ce blog.

***
« Une acidité qui pique.
Un bourdonnement qui m’horripile.
Je n’ai jamais aimé les moustiques. 

Petite déjà, je me promenais aux aguets dans la chambre que nous partagions avec ma sœur chez ma grand-mère, un mouchoir à la main, poing fermé, attendant que mon troubleur de nuit daigne se montrer, prête à l’écraser. 
Je suis une personne d’un tempérament doux mais les moustiques me faisaient sortir de mes gongs. 
Lampe torche à la main, j’errais lentement à l’affut de l’ennemi. Je finissais toujours par réveiller ma sœur qui s’énervait alors. Je devenais malgré moi perturbatrice de son sommeil. Je reproduisais ce qui me dérangeait à coups de boum sur les murs et applaudissements nocturnes, manifestant que désagréments.

J’ai grandi et les moustiques m’incommodent moins, je les attire moins, les piqûres restent moins longtemps sur ma peau. 

D’autres moustiques, plus gros, les ont remplacés. Des moustiques qui m’ont incommodée et que j’aimerais aussi écraser. Ce n’est pas de sang qu’ils m’ont vidée mais de joie de vivre. Et malheureusement, à force, ces gros moustiques ont eux aussi fini par moins m’opportuner, je me suis accommodée de leur présence que je tentais tant bien que mal de normaliser et là aussi, les piqûres disparaissaient plus vite. 
Le quotidien prenait le dessus tandis que mes émotions s’éteignaient. 

Je ne reproduirais pas ce que j’ai vécu, je l’espère, j’utiliserai mes maux comme une force qui pourra soutenir ceux des autres, voilà tout. » 

***

Illustration 1
A l'atelier "Prendre mots" de la Maison des femmes, le 12 mai 2025 © Louise Oligny / MDF

« Il y a un parfum et les mains d’une femme fraichement manucurée qui s’agitent devant moi. 

Les ongles peints, que les doigts agitent, semblent danser telle une abeille s’évertuant à donner les coordonnées GPS du dernier champs de fleurs visité à ses copines butineuses. Une danse frénétique, tantôt harmonieuse, tantôt désordonnée, je me laisse hypnotiser par ces insectes couleur cerise bien mûre. 

Puis mon champ visuel s’ouvre et je découvre l’espace d’une cuisine chaleureuse, bas de plafond, la lumière du dehors éclaire l’espace de façon à permettre le maintien d’un climat intime où les discussions résonnent parfois sur le carrelage décoré au-dessus de l’évier, puis rebondissent sur la tomette du sol avant de s’échapper par la porte-fenêtre qui donne sur un grand jardin ombragé vraisemblablement en friche. 
Ici, tout est calme et propice au repos, la beauté des choses simples, des fleurs, des matières brutes invite au dénuement de l’esprit, à un retour à l’essentiel.

Le partage et la joie d’être ensemble, les prises de conscience qui profitent à toustes, le confort d’une présence chaleureuse et aimante, un retour à soi. » 
***

« Me revoilà plongée dans le jardin, plutôt la prairie de ma grand-mère, dont, hasard ou pas hier, après une prière Mangue, l’odeur m’a accompagnée toute la journée. 

Elle qui foulait la terre de ses pieds, grimpait aux arbres fruitiers pour nous nourrir d’amour et de paix. 
Elle était ma pause dans cette enfance dont les souffrances abattraient une armée.
 
Juillet arrive. J’avais hâte de quitter la maison pour retrouver le foyer de paix. Sur le chemin à deux heures de l’aéroport, on sentait cette odeur, alliée à Oum Kalthoum et ses chansons sur cassette que l’on écoutait. 

C’est comme si cette odeur, ce chemin, m’enlevait chaque épine du cœur que j’accumulais dans l’année.
 
Puis vint un jour, un autre drame, 9 ans sans parcourir ce chemin de paix. 

Puis une “fintoire” (la victoire d’une fin, d’une faim) en 2017, m’a permis de pouvoir de nouveau appeler le figuier de ma grand-mère, sentir la chaleur de l’aéroport de Carthage mais surtout, retrouver à un certain âge, une des femmes les plus courasages (courageuse et sage). 

Avec ma sœur, on ne leur avait rien dit. Surprise ! la petite princesse du village est de retour. 
Entendant les bruits des roulettes des valises, Déda est sortie avec ma tante dans cette si belle campagne puis elle dit : « C’est ma princesse, ce sont ses pieds, je les aient reconnus. » « J’ai reconnu son odeur, elle est enfin revenue avant que je ne meurs. » 

Liberté, demi-sécurité, fruits, rire, partage, douceurs, leçons, transmissions, enveloppe maternelle, voilà ce qu’elle m’évoque. 
De part sa présence et son don de soi, elle qui ne savait rien de mes blessures, m’a réconciliée avec ma mère (sa fille), le tout sans un mot. 
Et si nos sens, nos actes, nos vibrations nourrissaient des émotions qui valent 10 000 mots ?

Je t’aime, je t’aimerai et transmettrai tout ce que ton âme a semé. 

PS : Ta petite-fille qui a eu une fille à son tour. Devine quoi Déda… elle a ton nez, tes beaux yeux vert et ce caractère doux et bien trempé. La lignée est assurée. Repose en paix. Protection. » 

***

Illustration 2
A l'atelier "Prendre mots" de la Maison des femmes, le 12 mai 2025 © Louise Oligny / MDF

« Sentir cette odeur inconnue stimule mes sens, moi qui suis hypersensible, notamment sur ce sens, l’odeur apparait puissante, persistante, saturant mon sens et mon esprit. Elle est si forte qu’elle en est âpre dans la gorge, comme une boule se formant à l’intérieur. 

Elle ressemble à un mélange d’effluves avec une pointe de citronnelle ou une proche parente, et de henné, une poudre sentant la terre. 
Cette odeur m’évoque le répulsif à pigeons ou à insectes qu’on utilise. 

Je ne l’ai sentie que deux fois car l’odeur m’entête et j’ai l’impression qu’elle me colle à la peau. Peur au final qu’on la sente et la ressente sur moi car elle ne me caractérise pas. Je ne trouve pas quelle sente bon, c’est un répulsif à mon sens mais pas qu’aux insectes et aux pigeons, à toute forme de vie. Elle en devient désagréable. 

Je sens mes doigts après l’avoir déposée et ouf, ils ne sentent rien. Me voilà rassurée, car l’heure d’aller chercher mon enfant à l’école va bientôt arriver et j’ai hâte de l’enlacer puis viendra le tour de mon chéri qui bossant en horaires décalées sera très tôt rentré et me croisera avant de m’être douchée.
Ouf, je n’aurai pas à la porter. 

Cette odeur assurément est une sorte d’épouvantail olfactif et je suis curieuse d’en connaitre le nom car je la trouve complexe et la plante dont elle est issue a bien évidemment un sens utile d’exister et d’être extraite en huile essentielle et donc d’en connaitre la vertu. 
Même les choses désagréables ont un sens, du moins je le pense. 

Je ne laisse jamais rien au hasard, tout arrive à point nommé pour une raison précise dont le bienfait est à extraire car il est nécessaire de transformer chez moi en positif la moindre chose qui m’arrive, une quête de sens, vitale, je pense dans mon fonctionnement. »

***
« Déchirée, indécise, revoilà, encore, je ne sais pas…
Attirée, repoussée, un désir quelque part de quelque chose… peut-être.

Et puis non, je m’enfuie, j’ai déjà connu cette volupté et ses pièges, cette envie d’être autre, de laisser les conventions au vestiaire.
Ce désir de se couvrir de soie et de dentelles pour s’épivarder (s’amuser, prendre du bon temps, Ndlr) aux quatre vents.

Non pas cette fois, je décide d’être très bien avec mon ordinaire, mon banal, mon quotidien. Alors j’accélère, je m’éloigne et puis stop. 
L’encens, le poivre, le musc, un désir de cet épice. 
Je pivote
Je lâche prise, le corps épuisé, la racine de mes cheveux humides, les pores de peau bouchées, les poils retroussés, les dents affutées, je pousse un grognement. Une faim dévorante pour l’autre, l’ailleurs. 
Je reviens sur mes pas. 
Je suis déjà une bête qui traque sa proie, j’oublie le qu’en dira-t-on, je jette mes vêtements trop ajustés, j’accélère. 
J’ai besoin de confort, mon horizon s’élargit. Des ailes me poussent, je deviens prédatrice, je m’envole les ergots sortis, prête à fondre sur cet autre, offert à mes désirs. 
Et encore Stop
Je redeviens, transmutation, je ne sais plus dans quel sens. Quel sens ? Justement. Dois-je suivre ?»
  
***
L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice, la journaliste Sophie Dufau, et cette année avec l'étudiante en art thérapie Juliette Cabon. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.