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Billet de blog 17 mai 2024

« Mon canapé, l’endroit qui me permet d’écrire cette douleur »

L’écrivaine Gaelle Josse a animé cette semaine l’atelier « Prendre mots » de la Maison des femmes de Saint-Denis (93). Ainsi accompagnés, les textes produits ont été plus sensibles, plus intimes.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le lundi 13 mai, dans l’après-midi, l’écrivaine Gaëlle Josse était l’animatrice de notre atelier « Prendre mots » où des patientes de la Maison des femmes de Saint-Denis (93) viennent chaque semaine participer à ce petit cercle de jeux de mots.

Avant les vacances d’été et l’interruption de nos activités, il nous avait semblé intéressant qu’une personne ayant fait de l’écriture son métier anime cet atelier. Gaëlle Josse reviendra deux fois au mois de juin, lors de deux lundis consécutifs. 

Cette fois-ci, c’était donc comme une mise en jambe. Et d'abord les présentations : 

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Gaëlle Josse, le 13 mai 2024, à la Maison des femmes de Saint-Denis. © Louise Oligny / MDF


Gaëlle Josse commence : son dernier livre A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? (Ed. Noir Sur Blanc) est sorti en février. Il rassemble une trentaine de nouvelles mettant en scène des personnages qui n’arrivent pas à dormir. « La nuit, on n’a rien à prouver, à porter… qu’est-ce qu’il reste à ces moments-là de sa journée, de sa vie ? Il se passe beaucoup de choses », racontait-elle à Augustin Trapenard, en mars dernier au cours de l’émission la Grande librairie.

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Cette vidéo, je viens de la retrouver. Elle résonne divinement avec notre atelier. Car avant d’entamer ces présentations, une des femmes rapportait qu’« à la fin du dernier atelier », elle était « bouleversée. Je n’arrivais pas à retrouver une sérénité. J’ai appelé des amis, mais je n’ai pas réussi à fermer l’œil avant 4h du matin. J’ai cru que c’était en raison de ce que j’avais écrit sur la lecture, qu’elle avait été salvatrice d’un quotidien destructeur. Que c’était mon refuge contre le trauma. Et je me disais que j’étais toujours dans ce truc du trauma, que je faisais que gérer cela. Et puis, durant la nuit, je me suis dit que non, c’est l’évocation du silence lors de l’atelier qui m’avait chamboulée. On en a à peine parlé, on s’est juste demandé, sans même répondre à la question : est-ce qu’on aime être ou pas dans une pièce silencieuse ? Et on est passé à autre chose. Mais après l’atelier, “le silence” m’a bouleversée. En fait, j’avance toujours en terrain miné. Tous les jours, y’a des bombes qui explosent autour de moi. Mais j’avance. Et l’avantage, c’est qu’au fur et à mesure, ça déblaye le terrain. » 
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Gaëlle Josse écrit donc des romans, des nouvelles, des poèmes, des biographies et anime des ateliers d’écriture ou d’écoute musicale quand le projet lui plait. « Et là, c’est le cas.»
 
Les femmes expliquent à leur tour pourquoi elles sont venues à cet atelier. L’une « s’est inscrite par hasard », elle a toujours aimé écrire, elle écrivait beaucoup, mais « les évènements m’ont faite arrêter ». Puis de temps en temps, il lui arrivait de reprendre le stylo : « comme si je racontais ce qui m’arrivais à quelqu’un, je disais mon ressenti comme on fait une confidence. Le fait de mettre par écrit le ressenti, c’est l’extérioriser, témoigner, se souvenir, car face au trauma, quand les choses se répètent, le cerveau a tendance à les oublier (…) Parfois, j’écris encore : des notes sur mon téléphone, et certaines, je me les envoie par mail pour les conserver. Je pense que pour moi, écrire, c’est un besoin. »

Une autre se souvient aussi qu’enfant, elle « écrivait beaucoup. Puis mon père a découvert ces textes, a déchiré toutes les feuilles et m’a battue. Ecrire ici, c’est exister de nouveau. » 

Gaëlle Josse précise que durant ces séances, « on ne va pas écrire le traumatisme » qui a amené les femmes ici. « Mais il se peut qu’on puisse le lire, qu’il soit comme un rai de lumière qui éclaire une pièce, quelque chose qui donne une tonalité ».

Une autre femme vient là pour la première fois : « J’aimais beaucoup écrire et lire, j’ai eu un journal intime. J’ai eu même un blog où j’écrivais des billets d’humeur, il était assez suivi. Et puis un jour j’ai tout arrêté, j’ai crains que cela me porte préjudice et j’ai eu peur que ça ravive les souvenirs. Je voulais me protéger. Mais j’aimerais reprendre goût à l’écriture. » 

Illustration 2
A l'atelier « Prendre mots », le 13 mai 2024 © Louise Oligny / MDF

« Ici, ensemble, vous allez passer un moment en toute liberté, précise Gaëlle Josse. C’est pour vous que vous écrivez. »
Première consigne : « Nos vie quotidiennes sont beaucoup plus riches que l’on suppose. Vivre, c’est aussi vivre avec ses sens. Je vous propose de raconter quel est le lieu que vous aimez, qu’est-ce qui s’y passe dans ce lieu. » 

Les récits s’attardent sur des paysages de vacances, des monts que l’on gravit, des eaux où l’on s’enfoncent, des odeurs de terre, de feuilles. Des moments en famille, parfois jusqu’à quatre générations sous un même toit. Ou encore le plaisir de quitter la terre, s’envoler à bord d’un avion. Des textes joyeux, espiègles. Avec une belle musicalité des mots.  

Et puis, une femme nous lit son texte : « Mon canapé, c’est là où je m’allonge entièrement, où je m’enfonce, l’endroit qui me procure ce sentiment d’être maintenue entièrement, où tout mon corps est soutenu. L’impression de ne pas tomber dans cette douleur qui me terrorise au plus profond de moi-même. C’est l’endroit qui me permet d’écrire justement cette douleur qui veut s’exprimer haut et fort.
Pourquoi lui ? D’autres pourtant s’y assoient tous les jours mais moi, je l’occupe uniquement dans il est vide, à des heures perdues tard le soir le plus souvent, car il m’appartient à ce moment où tout est calme et me donne cette sensation d’être accompagnée par le confort physique qu’il me procure, et libère en moi l’envie de me livrer rien qu’à lui. Mine de rien, c’est peut-être mon compagnon imaginaire, celui qui m’écoute en silence, écoute les vibrations de mon corps malade, souffrant, et que lui seul ressent comme un besoin d’être prise dans des bras réconfortants. » 

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Le temps file, il ne nous reste qu’une petite demi-heure à passer ensemble. Gaelle Josse propose alors, à partir d’un petit livre malicieusement illustré Les gens qui tombent de Thomas Vina et Lulu Skopi (ed. Les Venterniers) d’écrire à notre tour quelques lignes.  

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« Si je tombe, qu’est-ce que j’aurais envie de me dire ? Je tombe, ça n’est rien, ça n’est pas la première fois, oh que non, ça fait mal, c’est sûr, mais ce qui est encore plus sûr, c’est que je refuse de rester à l’endroit de la chute. Le temps passe trop vite pour le perdre à geindre sur ce lieu. Je me relève, je check mon corps, je fais un point rapide de mes blessures, je sèche mes larmes. Les blessures guérissent avec le temps, peut-être qu’elles laisseront des cicatrices qui sait, mais il est maintenant temps de se remettre en marche. 
Un proverbe dit qu’il existe deux catégories de personnes lorsqu’elles tombent. Celles qui restent à l’endroit de la chute, traumatisées, et celles qui trouvent la force de repartir et d’avancer. Celles-ci sont les gagnantes de l’épreuve car elles se sont transcendées, dépassées pour continuer. Je préfère de loin appartenir à celles-ci et puis surement plus tard, je rirai. »

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« Les gens qui tombent
Se relèvent ou pas…
Laissons leur le droit
De se redresser
Quand l’orage a cessé »

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« Et bien c’est fait, plus besoin d’avoir peur et tant qu’on y est, dégringolons jusqu’à être sens dessus-dessous, et peut-être reprendre au début. »

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Illustration 3
A l'atelier « Prendre mots », le 13 mai 2024 © Louise Oligny / MDF

« Les gens qui tombent ne se relèveront pas.
Il peuvent toujours tomber plus bas. 
Ils se redressent au mieux
Ou se reconstruisent, un peu plus solides à partir des ruines d’un passé parfois (souvent) douloureux, toxique, envahissant
Que l’on finit par accepter, sans pardonner, car il nous a forgé et a construit la nouvelle personne que l’on est aujourd’hui et que parfois on apprécie. »

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« Tomber puis se relever ou rester au sol. Tomber subitement ou être poussé par quelqu’un ou quelque chose. Parfois il y a de la douleur et parfois un réconfort, une façon de se laisser aller pour, peut-être, mieux rebondir. »
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« Les gens qui tombent ont parfois le temps de penser au lacet mal fait, à la pierre qui les a fait trébucher, au copain, au frangin qui les a poussés. Ils ont le temps. Parfois. »

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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison de femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice et la journaliste Sophie Dufau. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.

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