Au sein de l'atelier “Prendre mots ” de la Maison des femmes de Saint-Denis (93), où chaque lundi après-midi, des femmes vulnérabilisées et/ou victimes de violences prises en charge dans un parcours de soins viennent prendre leur plume, nous avons proposé une série de photos ou dessins, suggérant à chacune d’écrire ce que cela leur évoque. Il est toujours intéressant de confronter les interprétations.
(Nous reproduisons ci-dessous les textes écrits lors de cette séance avec l’accord des femmes pour cette publication)
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Agrandissement : Illustration 1

« Pas de vague. Ou peut-être une petite. Une ondulation, un remous du fond du cœur qui ne s’efface pas quand on ferme les yeux. Qui part du centre sans qu’on sache trop où il va.
Une vague qui traverse. Qui même petite, submerge. Précédée puis suivi par le calme.
Parfois, on la voit arriver. On l’anticipe. On jauge de son intensité. Est-ce qu’elle ne fera que chatouiller ou est-ce qu’elle nous glacera jusqu’à l’os ? Et dans ce cas, il nous faudra attendre ou espérer que le soleil sera assez chaud pour retrouver de la chaleur.
A moitié dedans, à moitié dehors. Les pieds qui glissent d’un galet à l’autre. Le vent qui souffle sur les épaules. Le sel sur les lèvres.
Un pas. Nouveau remous. Celui que l’on provoque. Qu’on regarde s’éloigner. Venant de soi, puis d’ailleurs.
Un mouvement. Juste un mouvement de cet ailleurs, ailleurs de soi, à l’intérieur de soi. Aller au devant de la marée.
Assembler les petits galets luisants. Petits morceaux du fond de l’eau, qui captent la lumière. Un courant qui donne la direction à la prochaine qui suivra le chemin.
Sa petite main est déjà dans la mienne. Perché sur mes épaules. Hors de l’eau, dans le vent. »
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« Des flots ? Un tissage ? Ce ne peut-être la mer, ces vagues sont trop régulières. Partons donc sur un tissage.
Beaucoup d'expositions sur les tissus, sur des œuvres à partir de fils, sont visibles en ce moment à Paris.
Des œuvres de femmes, des œuvres autour des liens, des liens qui se croisent, s'assemblent, se tiennent les uns aux autres.
Des œuvres faites en silence, sans le bruit de scie, de marteau, de machine. Sans violence. »
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Parfois, le texte de l’une fait réagir une autre. Ainsi, le premier texte reproduit ci-dessous a inspiré le suivant, que son autrice a lu avec beaucoup d’émotions dans la voix.
« Je rêve d’un monde où il n’y a pas de guerre, pas de discrimination, un monde où certains ne se font pas réveiller par des coups de feu et/ou des bruits de bombardement. Un monde où chacun profite pleinement de sa vie sans aucune contrainte.
J’ai envie de vivre dans un monde où tout le monde s’accepte, se pardonne, se chérit. Un monde sans stress, sans peur, sans haine, où les enfants vivent leur enfance.
Moi, j’aimerais voir un monde dans lequel chacun est libre de s’exprimer, de s’affirmer sans avoir peur d’être jugé. Mais j’ai peur que tout ceci ne soit malheureusement qu’un rêve. MON REVE. »
« Une douleur, un frémissement, j’étouffe, alors hop !
S. à ma gauche use de sa plus belle plume, de ces mots transcendants et ose aborder ce sujet qui pour moi est un tourment, Palestine, Gaza, Goma, les Ouïgours.
Et de sa chaude voix fine, S. a fait de ce frémissement un instant de partage, de tissage de sentiments que l’on ressent face à l’actualité, qui parfois me laisse sans voix et déclenche une avalanche d’émotions.
Merci à toi, S., car être femme, être en empathie, c’est aussi saluer les talents de toutes ces gentes dames. »
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Agrandissement : Illustration 2

« Je me saisis d’un manteau chaud, mon cœur souhaite saisir ce moment, dans la solitude qui est devenue une habitude, mon cœur palpite à l’idée de retrouver ces oiseaux aux mille et une couleurs, ouf ! Je suis arrivée.
Je sens le vent sur ma peau ; les feuilles qui crépitent, puis mon cœur badaboum ralentit, s’apaise enfin, un soulagement, bercé par le chant des rossignols, illuminé par un ciel sans jugement qui là, une puis deux perruches se posent près de moi.
D’ailleurs, au moment où j’écris cette phrase, l’avez-vous entendu, voilà que son chant est derrière cette porte, hasard ou accompagnement chantant.
Dans la solitude humaine, l’incompréhension de mes sentiments, me voilà entourée de corbeaux, de perruches, de rossignols, d’un faucon, de pies… moi dans un nuage gris, je retrouve le chemin de mon cœur à travers leurs chants. Ouf ! Un pur kiffe, un pur bonheur, je m’assoie, je saisis l’instant, j’attrape ma plume qui se balade entre tous mes sentiments et voilà que les couleurs de mon âme remplacent la grisaille de mes pensées à cet instant.
Solitude, je t’ai détestée et tu ne m’as pas lâchée, alors je t’ai niée, cachée, mais tu remontrais le bout de ton nez alors j’ai décidé un jour de t’inviter à boire un thé.
Entre deux gorgées, tu me confies ne pas être mon ennemie, n’être là que pour un temps et faire barrage à l’isolement, afin de comprendre, d’explorer, de saisir, de ressentir mes sentiments.
Puis au fil des mois, j’ai compris, finalement tu étais primordiale au salut de la survie, mais s’il te plait, reviens de temps en temps, j’ai goûté à ces silences qui crient, plutôt qui chantent maintenant, et cette femme dans la grisaille, dans son long manteau noir, devient une FEMME avec des couleurs, les cheveux au soleil, le vent qui ne dit plus “aïe, tu me fais mal” mais qui t’invite, de temps en temps sur cette colline avec ces animaux qui n’ont pas notre langage, mais dites-moi, avons nous besoin de parler la même langue pour que nos cœurs se soulagent ? Eh bien non, et merci au temps pour cette magnifique leçon. »
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« Une envolée d’oiseaux comme autant d’émotions ou pensées me submerge. Chaque seconde de chaque journée du réveil au coucher. La liste est longue est variée :
- établir la liste de choses à faire mentalement
- se préparer
- réveiller ma fille
- la préparer
- lui préparer son petit-déjeuner, la coiffer, la presser afin de ne pas être en retard, ce qui indubitablement nous stresse dès le petit matin
- partir pour l’école en catastrophe
- l’y déposer
- partir pour une journée de travail. Souvent à la maison, donc dresser une liste exhaustive de tout ce que je dois faire
- les prioriser
- les cocher une à une après les avoir réalisées et se satisfaire ce qui a été accompli
- mettre un réveil pour s’assurer de ne pas oublier d’aller chercher ma fille
- tout est une course
- faire les devoirs, le gouter, la douche, la coucher
Vivre plusieurs vie en une seule, joie de la vie d’une maman solo ! L’idée que l’on s’épuise à battre des ailes.
Vivement le repos de la fin de journée pour se poser enfin et réfléchir à la liste de demain. »
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Agrandissement : Illustration 3

« Elle m’évoque la force et le courage d’une femme qui lève son bras tel un guerrier qui lèverait son glaive devant l’adversité. Elle m’évoque les combats que chaque femme en son for intérieur a dû mener pour exister, pour arriver là où elle est, que ce soit des batailles personnelles, professionnelles, tues ou décriées.
Les femmes sont fortes, nul besoin de le prouver !
La pureté de chaque combat est aussi noble pour chacune.
Nous sommes une et multiple, toujours debout ! Face aux gens, aux déchainements des éléments tels que les bourrasques du vent, d’une mer agitée, nous sommes immuables ! Restons debout ! »
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« Tout y est minuscule, presque flou. Comme si de la vapeur venait perturber la vision, comme s’il fallait une attention toute particulière pour déchiffrer ce qui se dessine là, sous mes yeux.
Je m’approche. Cette attention nécessaire m’émeut, elle m’enveloppe tout en entier. Elle m’éfforce de rendre visible ce qui veut se taire.
En se rapprochant encore, je devine les détails, les traits ciselés, les graines plantées et les tiges naissantes, je les vois toutes, précisément. Je découvre un monde à l’aube de la respiration florissante. Je vois un monde en jachère, un monde à l’ombre des exploits brulants qui ne demande qu’à être ravivé. »
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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice, la journaliste Sophie Dufau, et cette année avec l'étudiante en art thérapie Juliette Cabon. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.