Troisième et dernier atelier d’écriture avec Gaëlle Josse, ce lundi 17 juin 2024 à la Maison des femmes de Saint-Denis (93). Il nous restera ensuite deux semaines avant les vacances d’été.
Gaëlle Josse nous présente un essai de Jean-Philippe Toussaint, L’urgence et la patience, (éd. de Minuit, 2012) dans lequel l’écrivain interroge ces deux caractères – l’un induisant l’impulsion, la fougue, la vitesse ; l’autre la lenteur, la constance et l’effort – indispensables dans l’acte d’écrire. (À écouter, un podcast de France Culture).
A notre petit cercle de jeux de mots s’est jointe cette semaine l’autrice et éditrice Anne-Charlotte Sangam Delourme, de passage à Paris pour la sortie de son livre Oser la douceur.

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Gaëlle Josse propose alors aux participantes à l’atelier Prendre mots d’écrire deux petits textes en miroir, l’un autour du thème « Quelle est ton urgence ?» Et l’autre sur « Quelle est ta patience ? »
(Nous reproduisons si dessous les textes produits lors de cette séance notamment par des femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine et qui ont donné leur accord pour cette publication)
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« Mon urgence est de me sauver pour enfin exister, j’ai cette absolue nécessité d’écrire pour exister, pour redonner un sens aux mots M-O-T, à mes maux, M-A-U-X,
Trop souvent bâillonnée, reléguée au tout dernier plan, je n’existais que pour être utile aux autres, tantôt défouloir, humiliation, tantôt marche-pied pour l’ascenseur social bloqué au - 1 pour moi, mais je faisais la courte échelle aux autres.
Grâce à des mains tendues, j’ai réalisé tous les mécanismes résiduels de traumas passés qu’il convient de reléguer à leurs places légitimes : les oubliettes.
Je ne saurai supporter plus longtemps leur fardeau.
Cet accomplissement fut ma première urgence, elle n’était pas seulement nécessaire mais vitale.
La deuxième urgence était de réaliser, de ME réaliser au présent, de mettre en place des routines, de taire cette petite voix intérieure qui m’accompagnait jusqu’alors, et d’entreprendre. L’envie de vivre se vit dans le présent.
Ecrire comme une urgence est le témoin de ce présent, il est action et permet de dévorer la vie comme un boulimique se tournerait vers la nourriture.
Besoin de remplir tous les manques du passé où « je » serai le sujet principal. L’axe de ma vie doit être égocentré pour continuer de tourner rond sans se fatiguer, tout en gardant en tête que mon corps et mon cœur restent tournés vers l’extérieur.
Se réveiller chaque matin dans un esprit positif, faire des listes pour tout et rien, et se poser chaque jour pour dresser un portrait d’une journée pleinement remplie, accomplie, avec une liste de gratitudes et s’émouvoir à la moindre occasion, est mon urgence absolue.
A contrario, son pendant est la patience.
Ma patience réside en ce que je suis empêchée de réaliser au quotidien par des contraintes toujours extérieures car la vie est mon plus grand enseignant et la patience ma plus belle leçon. Toutes les choses que l’on a attendues sont les plus appréciables, les plus remarquables à mon sens.
Ne doit-on pas attendre neuf mois pour rencontrer l’amour le plus absolu qui soit, son enfant ?
« Tout arrive à point à qui sait attendre ». Pour une impatiente, une hyper active telle que moi, ce dicton ne me faisait pas écho.
J’ai souvent pensé que le désir et l’envie de faire les choses s’atténueraient avec l’attente, mais la patience a toujours été récompensée par l’obtention ou la réalisation de notre envie et notre désir.
Je pense l’acquérir chaque jour un peu plus et elle me permet d’accepter les épreuves de la vie avec plus de philosophie, de sagesse et j’ai appris également que l’empêchement n’était pas forcément définitif si on s’est être patient.
Je patience donc encore pour pouvoir voyager dans des contrées lointaines qui me font rêver car je sais qu’avec le temps, en me donnant les moyens, j’y parviendrais.
Je patiente toujours pour pouvoir me réaliser, pleinement. »

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« Plus que d’urgence, il me soucie la nécessité. Ecrire pour faire joli sur la table du salon, écrire pour être écrivain ne m’a jamais questionnée.
La nécessité n’est pas l’utilité. Un livre est rarement utile, sauf s’il contient de bonnes recettes de cuisine.
La nécessité, c’est « il faut le faire ». Pour soi, pour les autres, pour l’époque. Et là où la nécessité rejoint l’urgence, c’est quand « il faut le faire maintenant ».
Un bon livre est un livre qui vient au bon moment. Pour soi ou pour les autres. Il y a alors urgence à s’y atteler plus qu’urgence à écrire.
Car il va falloir ne pas perdre de temps pour rassembler ses idées, lire, lire et lire tout ce qui peut les nourrir, retravailler les situations, les concepts, trouver la formule qui traduira « ce qu’on a à dire ». Il faut laisser décanter pour que les idées s’éclaircissent. Ré-fléchir. Après on peut poser le premier mot. »
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Après lecture de nos propres textes, il y a toujours un temps d’échange, de réflexions sur ce que nous avons entendu. « Ce sont des petits morceaux qui s’assemblent, c’est la question de la fragmentation. Comme au Kintsugi, l’art japonais de la restauration avec de l’or : on peut faire du beau avec du cassé. »
L’une des participantes souligne qu'au sein de cet atelier, « il n’y a pas de masque. Ici on prend le temps, on est orienté dans l’écriture alors qu’à l’extérieur, j’ai toujours ma Poker face, toujours l’impression de devoir jouer quelqu’un, c’est épuisant. C’est le jeu social, on est dans une représentation car les gens peuvent être tellement malveillants…
Johnny, quand il était sur scène, il était à fond dans son show et la transpiration dégoulinait sur son visage. Ben moi, c’est pareil, je transpire à mort quand je dois faire mon show social. »
Dans un deuxième temps, nous nous sommes demandé « Pourquoi, pour qui, as-tu de la patience ? ». Là, il y eu beaucoup de “lettre à ma fille”...
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« Tu es là et tu me le fais ressentir au quotidien, tu me donnes du bonheur, de la joie, de la crainte parfois, mais ma patience est plus grande que tout envers toi car je t’aime et tu le sais, tu me cherches sans cesse quand tu ne me vois pas, tu as peur de me perdre, mais je te rassure, je suis là, je te surveille, ma patience envers toi s’est transformée en un amour pour la vie, car je suis là pour te tracer un chemin dans ta vie future, t’apprendre la patience à toi aussi, car tu en auras besoin plus tard dans ta vie, comme moi qui me donne corps et âme pour cette patience passionnante et qui constitue un amour inconditionnel et vital envers toi. »
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« Encore sur ce manège, je la regarde tourner, tourner revenir puis repartir, ma toupie d’amour, j’ouvre mes bras, elle y tombe, encore je la serre, encore elle s’échappe et encore je la regarde s’étourdir. J’ouvre mes bras, encore. Je serai toujours là, prête à rattraper son pas chancelant, jusqu’à ce quelle comprenne d’elle-même qu’elle peut marcher droit et s’éloigner de moi. »
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« Pour qui, combien, quand et pourquoi, contre qui comment et contre quoi, c’en est assez de vos violences », c'est le début d’une chanson de Barbara, Perlimpinpin, qui tourne en boucle dans ma tête depuis l’énoncé de cette consigne d’écriture. J'ai donc détourné la consigne :
Pour qui ? pour celles et ceux qui veulent comprendre, qui veulent entendre
Pourquoi ? Pour que la bêtise et la haine ne régissent pas le monde
Pour ne plus s’entendre répondre « Parce que c’est comme ça »
Pour que la pensée soit toujours en mouvement
Pour se souvenir à jamais des « plus jamais ça »
Pour que l’intelligence soit plus forte que la violence
Pour que l’écho d’un cri résonne dans nos consciences
Pour qu’éternellement la vie n’ait pas de prix. »
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Anne-Charlotte Sangam Delourme ajoute à l'attention de celles qui s'étonnent d'écrire finalement facilement : « L’écriture n’est pas réservée à une élite, à quelqu’un qui aurait un don. Et ça ne coute rien d’écrire. Quand on s’exprime, ça sort de soi, on peut le déposer. »
L’une des femmes raconte alors : « Ma sœur, à qui j’ai fait lire mes textes m’a écrit qu’elle n’avait pas imaginé que j’avais vécu autant de souffrances. » « Ce qu’on écrit est parfois mieux reçu par des inconnus que par des proches », ajoute une autre.
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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice et la journaliste Sophie Dufau. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.