ANNA WANDA GOGUSEY
L’écoanxiété met l’Occident au centre de la narration alors que ce sont les populations du Sud global qui sont les plus touchées et moins responsables. Comme bien d’autres concepts : l’effondrement, l’anthropocène… Les émotions oui, mais pas sans analyse des dominations !
DEFINITION
L'écoanxiété (ou solastalgie), c'est un concept dont on entend de plus en plus parler dans les médias ou certains milieux écolos. Ecoanxiété = "Néologisme qui désigne l'ensemble des émotions liées au sentiment de fatalité vis-à-vis du réchauffement climatique. Ces émotions sont principalement la peur, la tristesse et la colère." Comme souligné par le GIEC, ce n'est qu'une des facettes de l'impact du changement climatique sur la santé mentale. On ne parle pourtant jamais de la santé mentale des premières victimes dans le Sud global.
DECENTRER SON REGARD : LE SUD GLOBAL EN PREMIERE LIGNE & LES PERSONNES DOMINEES EN OCCIDENT
Quelles sont les conséquences dans le Sud global, c'est à dire dans les zones les plus touchées ? L'augmentation des températures et des événements extrêmes (cyclones, sécheresses, inondations, vagues de chaleur...) qui peut causer dénutrition ou déplacement peut causer : anxiété, dépression, suicides, addictions, stress post-traumatiques...
Dans le Nord global, ce sont les populations les plus pauvres et minorisées qui seront les premières victimes : personnes pauvres, sans-papiers, racisées, minorités de genre, en situation de handicap etc.
L'OCCIDENT TOUJOURS AU CENTRE DE LA NARRATION MALGRE SON HISTOIRE GENOCIDAIRE
C’est le modèle capitaliste ultralibéral, colonial et extractiviste qui cause le changement climatique, et qui a bénéficié aux plus aisé-e-s : pourquoi vouloir toujours se mettre au centre de la narration ? Il y a de nombreux génocides, crimes contre l'Humanité ou écocides qui ont eu des conséquences qu'on pourrait assimilier à des effondrements : la colonisation (en Amérique, Afrique, en Asie ou Océanie) et l'esclavage en Afrique, les guerres et génocides associés, la Shoah...
LES DANGERS DES COURANTS D'ECOLOGIE CENTRES SUR EUX-MEMES COMME LA COLLAPSOLOGIE
La "collapsologie" a été popularisée par des auteurs comme Servigne et Stevens en 2015 ou relayée par Yves Cochet ou Agnès Sinaï. Ou encore par Jared Diamond. Toutes des personnes blanches occidentales. C'est une approche "pluridisciplinaire", qui "s'intéresse à l'effondrement possible de notre civilisation".
Les critiques sont nombreuses : une critique "scientiste" du capitalisme, son regard centré sur l'Occident, des théories qui nourrissent le mythe malthusianiste de la "surpopulation", un cadeau pour l'extrême-droite qui joue sur l'effondrement de la civilisation européenne... Un exemple de courant qui invisibilise le Sud global. Tout ça pour quels résultats ? Des écolieux de CSP+ ?
PSYCHOLOGISATION DE L'ECOLOGIE = DEVELOPPEMENT PERSONNEL ?
L’écoanxiété sans analyse des rapports sociaux, c’est du développement personnel pour les personnes blanches. Mettons la santé mentale, un vrai enjeu, au centre et des vraies politiques publiques, tout le monde y gagnera. En commençant par les plus pauvres, et en rendant accessible à tout le monde via des centres de santé communautaire et sans psychiatrisation. Pas l’écoanxiété des CSP+. Vous êtes blanc-he-s et vous souffrez d’écoanxiété ? Décentrez votre regard et servez-vous du luxe que vous avez pour ne pas avoir à survivre pour concrètement agir : en soutenant les luttes des plus minorisé-e-s, par votre temps, financièrement…
L'IMPORTANCE DES EMOTIONS POUR UN PASSAGE A L'ACTION : LA NECESSITE DU CONFLIT
Les émotions sont importantes à exprimer. Toutefois, ce ne sont jamais celles des personnes les plus touchées qui sont mises en avant. La santé mentale est un enjeu crucial, que ce soit en France ou ailleurs. Il est important d'avoir des espaces pour en parler. Seulement, l'écoanxiété entre CSP+ tend vers une écologie individuelle et libérale, qui ne cherche aucun conflit. Or l'écologie, c'est une histoire de luttes. Il faut désigner des responsables et des ennemi-e-s : ceux qui maintiennent ce capitalisme extractiviste et écocidaire.
POUR UNE DIVERSITE DES MODES D'ACTION, SANS DEVELOPPEMENT PERSONNEL
Il est certain que le changement climatique est l'une des plus grandes menaces, mais elle ne touchera pas tout le monde de manière uniforme. Comme dit Malcom Ferdinand : "Face à la tempête écologique, nous sommes tous dans le même bateau, mais pas dans les mêmes conditions."
Les organisations les plus connues lient leur manifestation de l'écoanxiété avec des pratiques de non-violence, parfois même avec des spiritualités New Age. Il faut envisager tous les modes d'actions face à ces dominations. Le développement personnel n'en est pas un (sauf pour les CSP+).
Le plus grave, ça serait de ne pas lutter. L'écologie n'est ni individuelle ni psychologique : c'est une lutte pour l'émancipation. À ce titre, il faut lutter pour toutes les autres luttes qui relèvent de la survie au quotidien et qui permettent d'améliorer les conditions matérielles d'existence.
SOURCES
Alice Desbiolles, L'écoanxiété : vivre sereinement dans un monde abîmé (pas d'accord avec elle, mais elle en parlé beaucoup)
Valérie Masson-Delmotte du GIEC : https://twitter.com/valmasdel/status/1580313349128003584
Reporterre, Crise climatique : passons de l’écoanxiété à l’écocolère
Frédéric Lordon, L'écoanxiété une merveilleuse conner*e
Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale
Twoinou, La collapsologie ou la critique scientiste du capitalisme
Echanges avec Juan Pablo Guttierez (Survival) et Cathy Peltier (native-américaine) à la Semaine Décoloniale