La récente publication de France Stratégie commençait plutôt sur une bonne note : en France, où l’on ne cesse de rebattre les oreilles des salariés avec la valeur travail, le patrimoine transmis ne cesse d'augmenter et de se concentrer. Le premier décile des ménages les plus aisés détiennent 50% du patrimoine. Passée en trente ans de 8% (en moyenne) à 20% aujourd’hui, la part du patrimoine transmis dans le revenu net des ménages pourrait, à ce rythme, en représenter un tiers d’ici 2050. De quoi décourager n’importe quel héritier de se soumettre aux laborieuses injonctions de François Fillon et du patronat d’aller travailler plus !
Le constat, il est vrai, n’est pas nouveau ; il a même connu un large écho médiatique à l’occasion de la publication du Capital au XXIème siècle de Thomas Piketty. Selon la dernière « enquête patrimoine » de l’INSEE, la Providence fait décidément bien les choses. 15% des successions dépassaient en 2010 un montant de 100 000 euros dont un tiers des bénéficiaires détenaient déjà un patrimoine de plus de 500 000 euros. « Il pleut là où le sol est mouillé », s’exclamait déjà à la tribune de l’Assemblée Lamartine, contemporain de Guizot et de ses petits Père Grandet. Vieillissante, la France de 2017 accumule, s’encroûte en exhalant les effluves moisies de la rente ; cette même France offrant à François Fillon l’assise sociale à ses propositions de démantèlement de la Sécurité sociale au profit des compagnies d’assurances privées ; celle-là même dessinant l’horizon d’une société de propriétaires épargnants qui s'assoupissent au coin du feu en énumérant assurance-vies et autres investissements subventionnés en mode Scellier ou Duflot avant de se délecter de la lecture du dernier numéro du Point ou de Valeurs actuelles sur les assistés, les fonctionnaires paresseux, les Roms voleurs, les locataires qui font des histoires ou encore les immigrés qui sont tout noirs.
Pour les auteurs de la note, non seulement la fiscalité actuelle sur les transmissions creuse les inégalités sociales, mais elle freine également le développement économique. Face à ce diagnostic sans appel dont l’évidence suffirait à ancrer la légitimité dans le sens commun, le remède promettait d’être de cheval et les taux sur les successions d’airain. Enfin, se disait-on, l’héritage allait se laisser dégorger dans son jus fiscal. « Sus à la rente ! » Hélas, comme on pouvait le craindre, ce constat lucide accouchait d'une souris décatie. Repenser cet impôt sans s'attaquer au droit de propriété lucrative ni verser dans un républicanisme égalitaire mal venu relevait d'une gageure appelant une inventivité surgie d’un écrin technocratique. Le Mérite n’est pas donné à tout le monde ; il est juste de n’en dispenser la leçon qu’à ceux qui n’ont rien. Et puis ne prenons surtout pas le risque d'être accusés de vouloir écorner le droit d'être bien né ! Hériter est un droit naturel. Qu'importe que l'on vomisse les repas du dimanche, que les réveillons nous fassent crever d'ennui, que le vieux sente la pisse et la vieille l'eau de Cologne, « la patience est un arbre dont la racine est amère, et dont les fruits sont très doux », dit un proverbe persan. Qu’importe, enfin, que nos enseignants, dans de fastidieux cours de morale civique, s’échinent à enseigner aux élèves que notre belle République est née de la contestation du droit tiré de la naissance et de Dieu. Il vaut mieux tâcher d’édifier leurs esprits sur la laïcité menacée par les barbus.
De la patience, voilà une qualité morale, à défaut du goût pour l'effort, dont il est bon de disposer quand on aspire à devenir héritier. Les auteurs de la note en sont bien affectés et entendent poursuivre deux objectifs pour délester l’ayant-droit du fardeau du temps : favoriser l’égalité des chances (devant le patrimoine) et réduire les écarts patrimoniaux entre « jeunes » et vieillards. Car, aux yeux de France Stratégie, prévenir la formation d'une société de bons-à-rien flétris exige une réduction des inégalités non pas tant entre classes sociales qu'entre générations. Les cadres sup qui attendent de plus en plus longtemps, selon la note, que mamie clamse pour s'acheter un plus grand appart - au moment où les gamins se tirent, c'est malin ! - doivent pouvoir empocher l'oseille plus vite. Finis les dimanches éprouvants à évoquer, à mi-mot, dans un silence gêné que seules les facéties déplacées du vieux gâteux viennent égayer, les difficultés à financer les prochaines vacances et les cours de maths du petit-fils un peu cancre - mais pourquoi donc se foulerait-il ? Aux âmes bien nées, la valeur (patrimoniale) n’attend pas le nombre des années !
Pour prévenir « la formation d'une société d'héritiers », donc, il est proposé, d’une part, d'inciter, sous la forme d’abattements sur les donations et legs, à léguer plus tôt à ses descendants et, d’autre part, de relever la progressivité et le rendement de cet impôt en se basant non plus sur la succession, mais sur l'ensemble des successions dont un contribuable héritera dans sa vie pour calculer le taux. Bien que non dénuée de bon sens, cette dernière mesure produira, en plus d'être difficile à mettre en œuvre, de bien maigres résultats au regard d’un simplissime relèvement des taux d’imposition. Mais, comprenez-vous, il ne faudrait pas qu’ils prennent peur et se laissent délicatement convaincre, sur les conseils avisés de leurs avocats, de réaliser des placements plus prudents à l’étranger ou dans je ne sais quel Eden fiscal ou autre niniche. Ne les effrayons pas trop ! La rente est un papillon fragile prêt à s’envoler à la moindre pression. Une telle mesure pourrait s’articuler, nous dit-on, à la création ou au relèvement de dispositifs d'incitation fiscale, l'unique levier, avec les réglementations, estampillées « vertes » de préférence, sur lequel l'Etat s'autorise encore à agir non sans éprouver, on l’a vu, une certaine mauvaise conscience. On a besoin des riches ; leur argent doit pouvoir ruisseler sur nos pauvres têtes envieuses. Evidemment, l’incitation fiscale suppose que les premiers intéressés aiment moins leur argent que leurs descendants et que, chez d’autres encore, la haine nourrie durant de longues années d’intense labeur contre l'hydre fiscale ne l’emporte sur toute affection filiale. Après tout, la Bible ordonne bien de chérir ses parents mais ne dit rien des enfants. Voilà donc une mesure bien mal engagée sinon à triompher des passions tristes que fait naître le goût de l'argent sans la saveur.
Continuer à présenter l'héritage comme l'un des piliers de l'ordre social tiré d'un droit naturel imprescriptible dont l’inviolabilité et la dimension sacrée ne sauraient souffrir aucune contestation égalitaire sans vous expédier immanquablement au goulag exige aussi d'y rallier le plus grand nombre. Le spectre, pourtant frêle et pâlot, du communisme continue de tourmenter ces malheureuses consciences. La troisième solution avancée parachève donc le grand œuvre réformateur en favorisant « l’inclusion des non-héritiers dans une société patrimoniale. » Il s’agit d’assurer aux 50% de Français privés d'onction successorale le versement d'un petit quelque chose à se partager entre eux au moyen d'une ponction d'une partie des recettes fiscales sur les successions. C'est la version techno de la vieille douairière qui jette deux euros sur un clodo en prenant bien soin de ne pas le toucher : « Tenez, mon bon ami, tachez d'en faire bon usage ! Les portes du ciel sont grandes ouvertes aux hommes de bonne volonté ! » Cette idée renversante avait d’ailleurs un temps traversé l’esprit , sous une forme plus cocasse encore, de notre bon roi avant de renoncer à prolonger son règne. Le problème n'est donc pas l'héritage, mais que tous ne puissent pas hériter car, ce qui importe, ce n’est pas le montant de la succession, mais l’inclination aux sages vertus de l’épargne et aux joies paisibles que procure la détention d’un patrimoine même modeste. Sarkozy avait fait vibrer la France du « tous propriétaires ! » ; le « tous héritiers ! » nous dressera sur les chemins de la société réconciliée autour de la famille et de la propriété. Gageons, là encore, que ces récipiendaires béats de la grâce étatique, prêts à tout claquer à la moindre promo chez Auchan, ne gâcheront pas leur providentiel obole dans l'achat d'un misérable écran-plat ou d'une clinquante Audi décapotable, actifs de fâcheuse qualité propres à se déprécier de moitié dès leur achat. On ne sait jamais avec ces gens-là...
L'effort de France Stratégie à déciller les paupières du monarque est louable et nous serions mauvais coucheurs de ne pas y voir une contribution, même involontaire, au débat sur la légitimité de l’héritage. Toute initiative nous conduisant sur cette voie, même animée d’intentions divergentes de l’idéal républicain – vous savez, le Mérite –, est bienvenue. Aussi je me permets modestement de suggérer à l'honorable institution de prospective économique quelques idées plus efficaces, quoique bien timorées au fond, afin de tarir les flux dévitaminés de l'héritage et, en premier lieu, de fixer un taux sur les successions de 100% au-delà de 500 000€, soit une vie de SMIC, puis de durcir la fiscalité sur les assurance-vies et de déplafonner les livrets réglementés, en particulier le Livret A – dont on aura préalablement rendu le monopole à la Caisse des dépôts et consignations –, afin de consentir davantage de prêts à la construction massive de logements sociaux ou au rachat d’immeubles au parc privé. Pour permettre un apport en fonds propres, sera créée une branche logement de la sécurité sociale – en remplacement des inutiles et corrompus collecteurs du 1% patronal – abondée par la cotisation au « 1% patronal » dont le taux qui n'est plus actuellement que de 0,43% sera relevé à 2%. Développer l’offre de logements publics offre une série d’avantages et, tout d’abord, de soulager les bailleurs des tourments du rendement locatif tout en augmentant l’offre de logements publics, ce qui est de nature à desserrer l’étau sur le marché locatif. Tout le monde y gagnerait, à l’exception, il est vrai, des bailleurs rentiers. Pour eux, il y aura toujours la possibilité de s’exiler en Suisse… pour se faire euthanasier. Allez Français, encore un effort pour être républicains !