Récemment, lors d'une discussion sur la propagation du bouddhisme au Tibet, le sujet s'est tourné vers le rôle des traducteurs ou « lotsawa » (ལོ་ཙཱ་བ།), comme on dit en langue tibétaine. Il ne fait aucun doute que les Tibétains ont l'une des histoires les plus remarquables au monde en matière de traduction. À partir du VIIe siècle et pendant près de 900 ans, ils ont assumé la tâche colossale de transmettre, de préserver et de traduire l'ensemble du canon bouddhiste indien. Il s'agit de centaines de traducteurs travaillant sur quelque 5 000 textes, soit un total stupéfiant de 73 millions de mots, ce qui en fait l'un des plus grands échanges culturels et partages de connaissances que notre monde ait probablement connus jusqu'à aujourd'hui.
L'une des étapes les plus importantes a été la standardisation de la traduction, qui a donné naissance au Mahāvyutpatti (བྱེ་བྲག་ཏུ་རྟོགས་པར་བྱེད་པ་ཆེན་པོ།), ou « Grand volume de compréhension précise », compilé entre la fin du huitième et le début du neuvième siècle de notre ère, et qui constitue l'une des contributions scientifiques les plus importantes de l'histoire du bouddhisme tibétain. Servant de dictionnaire complet avec plus de 9 500 entrées lexicales, il a fourni les outils linguistiques nécessaires pour traduire en tibétain le vaste corpus de textes bouddhistes sanskrits.
Le Mahāvyutpatti est important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il représente un effort manifeste pour préserver et transmettre le savoir en créant un lexique standardisé pour traduire des concepts bouddhistes complexes du sanskrit au tibétain. Cela a permis aux Tibétains d'aborder le canon bouddhiste avec clarté et cohérence, favorisant ainsi le développement du bouddhisme tibétain. En outre, le mouvement de traduction a démontré l'engagement du Tibet en faveur de la rigueur intellectuelle, puisque des érudits de différents horizons ont collaboré pour garantir les normes les plus élevées en matière de traduction.
Le Mahāvyutpatti se distingue par sa profondeur intellectuelle et son approche globale. Alors que les mouvements de traduction indiens et chinois étaient également motivés par la nécessité de rendre accessibles les idées religieuses étrangères, l'approche unique du Tibet consistant à créer un dictionnaire systématique et standardisé pour les textes bouddhistes a constitué une réalisation majeure qui a directement soutenu le développement intellectuel et spirituel du bouddhisme tibétain.
L'impact du Mahāvyutpatti s'est étendu bien au-delà de son contexte d'origine. Au XVIIe siècle, des versions avec des équivalents chinois, mongols et mandchous ont été produites, montrant comment l'érudition tibétaine a atteint et influencé des cultures asiatiques plus larges. À l'époque moderne, des chercheurs comme Sándor Kőrösi Csoma (également connu sous le nom d'Alexander Csoma de Kőrös), pionnier de la tibétologie hongroise, ont joué un rôle clé dans la traduction du Mahāvyutpatti dans les langues européennes, soulignant encore davantage l'importance scientifique mondiale du dictionnaire.
Aujourd'hui, le Mahāvyutpatti reste une ressource essentielle pour comprendre les subtilités du bouddhisme tibétain. Il continue d'être utilisé, souvent à l'envers, pour retrouver les équivalents sanskrits des termes bouddhistes tibétains, ce qui permet de reconstituer les textes sanskrits perdus à partir de leurs traductions tibétaines.
L'initiative des tibétains et d'autres ont été fondamentales non seulement pour la préservation du bouddhisme, mais aussi pour favoriser un engagement intellectuel plus profond entre les cultures et les régions, façonnant ainsi les paysages intellectuels de l'Asie pour les siècles à venir.