Récemment, on entend beaucoup de plaintes concernant le Tibet, n’est-ce pas ? Oh non, la culture tibétaine est en train de s’éteindre ! Oh non, des enfants sont séparés de leurs familles et envoyés dans des pensionnats coloniaux ! Oh non, les monastères sont rasés et remplacés par des « centres d’éducation au bonheur » qui ressemblent étrangement à des prisons ornées de slogans inspirants !
Oui, d’accord. Des gémissements, des plaintes, des lamentations.
Certes, ces préoccupations proviennent de sources aussi peu fiables que les Nations unies, des ONG internationales, et – cerise sur le gâteau – des Tibétains eux-mêmes. Mais ne soyons pas trop rapides à juger. Il y a toujours deux côtés à une histoire, même quand l’un crie depuis une cellule d’isolement, tandis que l’autre s’exprime à travers un mégaphone et le plus grand pupitre.
Alors, prenons un moment pour écouter les défenseurs de la « politique tibétaine » de Pékin – ce groupe hétéroclite composé de médias d’État, de documents officiels truffés de mauvaise foi, et de quelques occidentaux dont l’analyse géopolitique se résume à : « c’est anti-américain. C’est la CIA. »
Commençons par le dernier livre blanc publié par le gouvernement chinois : « Les droits de l’homme au Xizang dans la nouvelle ère ». On y découvre que les Tibétains ne sont pas seulement libres, mais qu’ils sont aussi profondément heureux. Selon Pékin, la « libération pacifique » du Tibet a été une bénédiction historique, et les habitants profitent aujourd’hui d’un « épanouissement culturel sans précédent ».
Et accrochez-vous : « Des progrès globaux et historiques ont été réalisés dans le domaine des droits de l’homme dans la région autonome du Xizang depuis 2012 », a déclaré la mission chinoise à Genève - ce qui me donne presque envie de vomir ma soupe de Tsampa.
Les médias d’État, toujours frappants dans leur sincérité bien orchestrée. « Notre vie d’aujourd’hui est plus douce qu’un thé sucré. J’aimerais vraiment que mes parents puissent voir notre vie heureuse », a confié une Tibétaine de 90 ans, rapportée par Tibet Online. Probablement ils sont juste oublié que les tibétains préfèrent leur thé plutôt au beurre et salé.
Bien sûr, toute mention des violations des droits humains est rapidement écartée par le ministère chinois des Affaires étrangères, avec l’enthousiasme d’un robot en panne. « Il n’y a pas de violations au Tibet », a récemment déclaré un porte-parole. « Le peuple tibétain chante la joie. »
Mais la palme revient sans doute aux militants occidentaux pro-Chine, ces communistes de canapé qui n’ont jamais mis les pieds au Tibet, et qui citent Mélenchon, Vivas et compagnie comme sources définitives sur le sujet. Ceux-là vous diront, avec un sérieux déconcertant : « Le Tibet avant 1950, c’était l’enfer féodal ! » Ce qu’ils omettent de mentionner, c’est qu’aujourd’hui, c’est un État policier high-tech, avec des caméras à reconnaissance faciale, des monastères abandonnés, et des artistes emprisonnés pour avoir osé prononcer le mot liberté. Au Tibet aujourd’hui posséder une photo du Dalaï-Lama peut vous envoyer derrière les barreaux. Un pays où l’enseignement du tibétain est remplacé par des cours de mandarin patriotique. Une colonie où votre village millénaire est rasé pour faire place à un barrage destiné à produire de l’électricité pour des villes et des usines situées à des milliers de kilomètres du Tibet. De la prospérité, je vous le dis !
Et puis, bien sûr, il y a cette éternelle chanson sur le progrès économique. Oui, la Chine a construit des routes, des ponts et des centres commerciaux au Tibet. Super. On a donc mis en place une colonisation industrielle à grande échelle, et on nous dit que c’est une avancée.
Peut-être que je suis juste trop sceptique. Peut-être devrais-je regarder CGTN un peu plus souvent. Peut-être que je devrais relire Les droits de l’homme au Xizang dans la nouvelle ère avec un esprit plus ouvert.
Mais en attendant, il serait temps d’arrêter de faire semblant qu’il s’agit d’un débat équilibré. La colonisation ne devient pas acceptable juste parce qu’elle est déguisée avec des mots comme « modernisation » ou « paradis socialiste ». Et les Tibétains ne deviennent pas des citoyens reconnaissants simplement parce qu’un gouvernement autoritaire le répète à l’infini.
Comme nous le disons en tibétain : རྐུན་མ་ཧམ་ཆེན་གྱི་མི་གསོད་ (Le voleur avec beaucoup d’audace commet un meurtre) C'est ce qui se passe au Tibet. Si rien n'est fait, si l'on ne résiste pas et si l'on ne conteste pas, la Chine finira par anéantir le Tibet et il n'en restera rien.
Alors, la prochaine fois qu’on vous dit que la Chine a « libéré » le Tibet, répondez calmement : libéré de quoi, exactement ? De leur langue ? De leurs terres ? De leur identité ? De leur histoire ?
Parce que si c’est ça, la libération… je n’ose pas imaginer la répression.