Dans les hautes terres de l’Himalaya, un drapeau rouge flotte de plus en plus haut, porté par les chants d’une propagande bruyante et d’une armée silencieuse : celle de l’endoctrinement. Depuis plusieurs années sous Xi Jinping, mais avec une intensité nouvelle depuis 2024, la Chine ne se contente plus d’imposer le mandarin ou de surveiller les monastères. Elle envoie désormais des vétérans de l’armée dans les écoles tibétaines. Officiellement appelés « instructeurs sur le campus », ils forment les enfants dès l’âge de six ans à marcher au pas, saluer le drapeau chinois, et surtout, à penser « correctement ». À penser comme le Parti.
Le projet est clair : former une génération de Tibétains qui ne se reconnaissent plus dans leur culture, leur langue, leur foi. Mais qui se reconnaissent, aveuglément, dans le Parti communiste chinois.
Aujourd'hui, environ un million d'enfants tibétains entre 4 à 18 ans sont séparés de leurs familles et assimilés de force dans des pensionnats coloniaux par la Chine. Dans ces pensionnats, les enfants tibétains sont contraints de suivre un programme d'« enseignement obligatoire » en chinois.
En outre, ces « écoles gouvernementales » ne proposent pas d'étude approfondie de la langue, de l'histoire et de la culture tibétaine. En conséquence, les enfants tibétains perdent leur aisance avec leur langue maternelle et leur capacité à communiquer facilement avec leurs parents et grands-parents en langue tibétaine, ce qui contribue à leur assimilation et à l'érosion de leur identité.
À Nagchu, par exemple, 13 anciens militaires ont été déployés dans sept écoles, du primaire au collège, dans le but avoué de « transmettre les bonnes valeurs » – comprenez : obéissance, patriotisme, rejet du bouddhisme et de l’identité tibétaine. Ce n’est pas une initiative isolée. Elle s’inscrit dans le cadre d’un plan national plus vaste, consolidé par la nouvelle loi sur l’éducation à la défense nationale, entrée en vigueur en septembre 2024. Ce texte transforme chaque école en terrain d’endoctrinement, chaque enfant en soldat idéologique.
Et pourtant, à en croire Pékin, tout va pour le mieux. Dans son dernier livre blanc, intitulé Les droits de l’homme au Xizang dans la nouvelle ère, le gouvernement chinois assure que le Tibet vit un « épanouissement culturel sans précédent ». On y lit que les Tibétains sont « plus heureux que jamais », que « les minorités chantent la joie », et que le peuple célèbre chaque jour sa « libération ».

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Libération ? De quoi exactement ? De leur langue, remplacée par le mandarin ? De leurs terres, confisquées pour y construire barrages et autoroutes ? De leurs familles, séparées par des internats coloniaux ? De leurs monastères, rasés au profit de « centres d’éducation au bonheur » qui ressemblent étrangement à des prisons couvertes de slogans ?
Oui, bien sûr, la Chine a construit des routes, des hôpitaux, des centres commerciaux. On vous le rappellera à chaque fois que la question des droits humains au Tibet est évoquée. Mais la modernisation ne peut pas servir de caution à la destruction culturelle. Elle ne peut pas justifier l’effacement méthodique d’un peuple, de sa langue, de sa religion et de sa mémoire.
Les militants pro-Pékin – ces « communistes de canapé » jamais allés au Tibet – aiment à dire que le Tibet avant 1950 était un « enfer féodal ». Mais ce qu’ils taisent, c’est qu’aujourd’hui, c’est un État policier ultra-technologique, avec des caméras à reconnaissance faciale dans les rues, des surveillances électroniques dans les monastères, et des artistes emprisonnés pour avoir simplement évoqué le mot « Rangzen » (liberté en tibétain).
Depuis quelques années, la Chine transforme d’immenses territoires de prairies nomades au Tibet en camps de base militaires. Les nomades tibétains de Shigatse (གཞིས་ཀ་རྩེ།), du comté de Gampa (གམ་པ་རྫོང་།), du comté de Dingri (དིང་རི་རྫོང་།), du comté de Ngamring (ངམ་རིང་རྫོང་།), Ruthok (རུ་ཐོག་རྫོང་།) et Nyalam (གཉའ་ལམ་རྫོང་།) ont été invités à se déplacer et leurs territoires ont été utilisés pour construire des camps de base militaires et mis en garde les Tibétains contre la communication de la nouvelle de la relocalisation en menaçant les résidents d'une éventuelle suppression de toute compensation, ainsi que de sanctions.
Ce que fait Pékin au Tibet est une entreprise coloniale dans sa forme la plus crue, maquillée en projet éducatif et en progrès social. La colonisation ne bombarde pas toujours. Parfois, elle sourit et fait son numéro devant la caméra. Une colonisation qui ne s’impose pas par les armes seules, mais par l’éducation, la langue, la mémoire. Une colonisation qui tente de convaincre les colonisés qu’ils sont chanceux, qu’ils doivent remercier leur bourreau pour leur nouveau confort.
Alors que faire ?
Refuser l’amnésie. Refuser le cynisme. Ne pas se laisser convaincre que « c’est mieux qu’avant », que « c’est le prix du développement », ou pire encore, que « les Tibétains sont heureux ».
Comme le dit un proverbe tibétain : རྐུན་མ་ཧམ་ཆེན་གྱི་མི་གསོད་ – « Le voleur avec beaucoup d’audace commet un meurtre. » Aujourd’hui, ce meurtre, c’est celui de l’identité tibétaine. Et il se déroule sous les applaudissements orchestrés de la propagande chinoise.
Alors, la prochaine fois qu’on vous dit que la Chine a « libéré » le Tibet, répondez calmement : libéré de quoi, exactement ? De leur langue ? De leurs terres ? De leur identité ? De leur histoire ?
Parce que si c’est ça, la libération, je n’ose pas imaginer la répression.