Critique du livre “Burning The Sun’s Braids”: New Poetry from Tibet, traduit en Anglais par Bhuchung D. Sonam, édité par Blackneck Books (Dharamsala, octobre 2017)
L'une des caractéristiques les plus marquants du paysage tibétain est son soleil brûlant. Le soleil tibétain, ce regard brûlant balayant les vastes plaines est éclairant, dévorant et incontournable. J'ai déjà passé près de trois mois d'été au Tibet, voyageant de Golok à Lhassa jusqu’à Lithang. En regardant les touristes chinois se cacher sous leur parapluies pour protéger leur peau du soleil et je me senti supérieur de par mon origine tibétaine, en sécurité sous le brunissement qui s'infiltrait dans ma peau jusque dans mes os. Je savais que je n'aurais probablement plus de chance d’avoir un visa et je ressentais le besoin de stocker du soleil plein mon corps, pour pouvoir me rationner dans des terres moins ensoleillées.
Il n'est donc pas surprenant que ce soleil ait toujours été un motif récurrent dans les œuvres littéraires et artistiques tibétaines. Dans l'une de mes premières leçons de poésie tibétaine à l'école du village des enfants tibétains, je me souviens d'avoir mémorisé les métaphores canoniques du soleil. Au cours des dix dernières années, nous avons eu quelques œuvres majeures qui ont rendu hommage au soleil tibétain en l'incorporant dans leurs titres. Je pense à « The Sun Behind the Clouds » de Tenzing Sonam et Ritu Sarin, ainsi qu'à « The Sun Beatan Path » de Sonthar Gyal. Et maintenant, pour se joindre à ces deux films, nous avons le dernier livre de Bhuchung D. Sonam , poète, écrivain, critique et formidable traducteur.
« Burning the Sun’s Braids : New Poetry from Tibet » est un livre puissant de poésie écrit par les poètes les plus fins et les plus courageux du Tibet, Chen Metak, Kyabchen Dedrol et Khawa Nyingchak… Ils ont souffert pour leur courage et leur art intrépide. Leurs ouvrages, nets et précis, se lisent comme des récits de témoins rendus poétiques.
Le puissant poème « A Stranger » de Chen Metak dépeint une interrogation:
After you go away,
Shutting the door tightly
I will have to cry—
For that person
Whose shadow the moon erased
Whose color the rain washed away
Whose name the crow plucked out,
For people like me, and
For the ownerless who survive outside the door.
Dans ce poème envoûtant, le poète parle directement à l’interrogateur et transforme l'accusation en une sorte de communion. Ce faisant, l'orateur est capable de dire des choses autrement insoutenables, et de rendre le lecteur complice et de participer à ce que l'interrogateur qualifierait de crime, c'est-à-dire de dire la vérité. Bien sûr, le lecteur en tant qu'auditeur / interrogateur est déjà complice ; c'est la présence de l'interrogateur qui fait de la vérité avouée un crime. C'est le piège de la culpabilité. Si dans le contenu, « A Stranger » peut être lu comme un clin d'œil à « L'Étranger » de Camus (le titre pourrait aussi avoir été traduit par 'L'étranger', comme en Tibétain il n'a pas d'articles), en sa forme nous rappelle aussi de célèbres monologues dramatiques dans la poésie anglaise de « My Last Duchess » de Browning. Le monologue dramatique de Chen Metak peut également passer pour un dialogue, et ce faisant rapproche et s’expose, voire s’inverse au récit chinois - ce monologue imposé par l’état chinois, déguisé en un dialogue populaire sur l'occupation chinoise présentée comme une libération accueillie par les tibétains.
Comme l'écrivait Tsering Wangmo Dhompa dans l'introduction, « Burning the Sun’s Braids demande à être lu dans le contexte historique de la domination coloniale. Ces poèmes défient le pouvoir colonial chinois en pointant la pauvreté de la vie sous son joug et en dénonçant la dure réalité coloniale que subit le Tibet.
Voici quelques vers du poème de Theurang « Today, I Wish to Offer Three Prostrations towards Lhasa » qu'aucun Tibétain n'aura besoin d'expliquer:
Food at the D restaurant tasted burned
Exactly like the smoldering of my flesh and bones
The smile of the waiter resembled an approaching red cliff
From which some guests are tumbling down
Comme l’évoque la poétesse Dhompa, « C'est à travers les rappels d'une histoire commune que les poètes communiquent avec le peuple et éveillent les consciences. En cela, les poèmes sont une sorte de littérature révolutionnaire ou nationale. » Et écrire ce genre de poésie est un engagement et une passion à hauts risques.
Theurang, l'un des rédacteurs de la revue interdite « Eastern Snow Mountain » et auteur de « Written in Blood, » a passé quatre ans en prison. Shamdo Rinchen Sangpo a été arrêté et les brouillons de son livre « Tears of Hot Blood » ont été confisqués. Nyen a été détenu pour sa pièce intitulée « What Human Rights Do We have Over Our Bodies », publiée dans Eastern Snow Mountain et a purgé quatre ans de prison. Plus récemment, Gartse Jigme vient d'être libéré après cinq ans de prison pour ses livres « Tsenpo’s Courage, vols 1 et 2 ». Comme le dit Tenzin Dorjee dans sa postface: «Dans les états totalitaires, les poètes marchent sur des œufs entre le désir d’être publié et la crainte de la prison.
Burning the Sun’s Braids de Bhuchung comptent parmi ses livres les plus importants et les plus durables. Ce livre d’une pertinence pérenne est aussi une histoire de cœur pour Bhuchung D. Sonam.
En ayant choisi et traduit méticuleusement cette poésie largement inaccessible à la majorité de la jeunesse tibétaine et du monde, Bhuchung D. Sonam nous a rendu un service considérable. Quand des êtres renoncent à la liberté, le moins que nous puissions faire, nous qui jouissons de la liberté, c'est de lire leurs écrits en murmurant respectueusement leurs noms.
(par Tenzin Dickie)
Pour commandé :
https://shop.freetibet.org/products/burning-the-suns-braids?variant=12490800562259