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Billet de blog 14 août 2025

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Ouvrir la porte, pas dresser des murs

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a ceux qui n’ont jamais eu à partir sans choix, jamais eu à rassembler une vie dans une valise, jamais eu à dire adieu à une terre qui les a vus naître, aux ruelles chargées de souvenirs, à l’odeur familière des repas partagés, à la musique d’une langue apprise au berceau. Ils n’ont jamais regardé l’horizon avec l’espoir fragile que, de l’autre côté, il y aurait peut-être un refuge ou simplement un peu de répit. Alors ils ne comprennent pas. Ils confondent l’exil avec un choix, la migration avec une menace, et ceux qui fuient pour survivre avec des intrus. Ils ignorent ce que cela signifie de tout recommencer avec pour seule richesse un nom, et l’espoir, timide, que le monde ne l’écrasera pas.

Ils ne savent pas que l’exil n’est pas seulement le passage d’une frontière, mais le passage vers une autre version de soi. C’est une lente disparition, suivie d’une renaissance douloureuse. C’est porter l’absence comme une seconde peau. C’est devoir réapprendre, chaque jour, à vivre, à parler, à exister dans un monde qui, par mille petits gestes, vous rappelle que vous n’êtes pas d’ici. Que vous êtes étranger.

Pour cette personne
Dont la lune a effacé son ombre
Dont la pluie a emporté sa couleur
Dont le corbeau a arraché son nom
Pour les gens comme moi, et
Sans appartenance qui survivent à l’extérieur de la porte.
Sans aucun bruit
Je dois pleurer une fois.

- Chen Metak, a.k.a Sonam Tenpa, poète tibétain

Et pourtant, malgré tout cela, il y a une force, une dignité immense chez ceux qui recommencent. Une grâce silencieuse chez ceux qui survivent à l’arrachement. Alors pourquoi, toujours, ce besoin de frapper plus bas ? Pourquoi s’acharner sur ceux qui ne cherchent qu’à vivre, qu’à respirer en paix ? Peut-être parce qu’il est plus facile d’accuser l’étranger que d’interroger ses propres échecs. Plus simple de désigner un bouc émissaire que de tendre la main. Plus rassurant de se barricader que d’accueillir.

La peur est un levier puissant. Parce qu’en période d’élections, il est plus simple de désigner un coupable que de répondre aux vraies questions. Parce qu’il est plus rentable, politiquement, d’alimenter les fantasmes que de déconstruire les préjugés. Parce que certains, cyniques, n’hésitent pas à transformer la détresse humaine en argument de campagne. Le migrant devient alors une image, un danger fabriqué, un outil de discours pour ceux qui n’ont plus rien à proposer, sauf la haine en partage. Ils transforment l’exil en menace, le secours en faiblesse, la solidarité en trahison.

Et qu’on ne se méprenne pas : personne et surtout pas une mère, pas un père, ne placerait son enfant dans une embarcation précaire, à la merci des vagues, si la mer ne leur semblait pas moins dangereuse que la terre qu’ils fuient.

Mais l’humanité n’est pas une citadelle. Nous ne sommes pas faits pour vivre derrière des murs, mais côte à côte. La solidarité n’est pas un geste de charité mais plutôt une reconnaissance. Celle que leur combat pourrait être le nôtre. Que les frontières ne sont que des lignes arbitraires, et non des preuves de valeur. Que le chez-soi est plus qu’un lieu. C’est un droit.

Être solidaire des migrants, des exilés, des réfugiés, c’est se rappeler que nous cherchons tous, d’une manière ou d’une autre, un endroit où poser nos histoires. Et que le geste le plus profondément humain reste, encore et toujours, celui d’ouvrir la porte. Ouvrir la porte, c’est résister. C’est dire non à la haine. C’est affirmer haut et fort que notre humanité ne se négocie pas.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.